Mohammed Hassan Gureh a pris sa décision : il va vendre ses dernières chèvres et quitter son village. Comme beaucoup de bergers de l’est de l’Éthiopie, il doit renoncer à la vie nomade après avoir vu son troupeau décimé par la sécheresse.
Ce berger de 32 ans ne supporte plus de voir ses bêtes mourir. Des 250 chèvres qu’il possédait, il n’en reste que 35. Dans son village d’El Gel, aux confins de l’Éthiopie et de la Somalie, « les deux-tiers du bétail sont morts », soupire-t-il, le regard vide.
Comme lui, les éleveurs nomades de la Corne de l’Afrique attendent depuis plus de deux ans des précipitations qui ne viennent pas.
Les cinq dernières saisons des pluies depuis fin 2020 ont été inférieures à la normale, du jamais vu depuis au moins quarante ans. Et la prochaine, de mars à mai, s’annonce également insuffisante.
Bétail en danger
Cette sécheresse historique a plongé, selon l’ONU, 12 millions de personnes en situation d’« insécurité alimentaire aiguë » en Éthiopie, où un conflit meurtrier a par ailleurs ravagé le nord du pays. Plus de quatre millions de têtes de bétail sont mortes depuis fin 2021 et 30 millions d’autres, « affaiblies et émaciées », sont menacées.
Après 4 saisons de pluies défaillantes, la situation est critique en Éthiopie, Somalie et au Kenya : décès de millions de têtes de bétail, récoltes détruites, points d’eau asséchés…
Une situation qui sera de plus en plus fréquente avec le changement climatique. pic.twitter.com/Dldl5ogDbj
— Réseau Action Climat (@RACFrance) September 22, 2022
Mohammed Hassan Gureh a patienté, prié, mais a dû se rendre à l’évidence : « Il n’y a aucun signe d’amélioration. La sécheresse va continuer et s’aggraver ».
Alors il va vendre ses chèvres avant qu’il ne soit trop tard. Avec ce petit pécule, il quittera « dans les prochaines semaines » El Gel pour la ville voisine de Kelafo, en espérant pouvoir enfin subvenir aux besoins de sa femme, ses quatre enfants, son père aveugle et sa mère amputée d’une jambe.
Son projet est encore vague : se lancer dans du « petit commerce », comme beaucoup qui tentent de survivre en vendant du charbon, du bois de chauffage ou de l’encens, et se former, « développer ses compétences pour trouver des opportunités d’emploi ».
« C’est une décision très difficile de passer d’une vie de berger à un nouveau mode de vie que je ne connais pas. Mais je n’ai pas d’autre option », souligne-t-il.
Son ami Bele Kalbi Nur, lui, n’est pas prêt à franchir le pas.
Il a perdu 90% de son troupeau mais s’accroche à la dizaine de chèvres qu’il lui reste. « Je ne sais rien faire d’autre que berger nomade, je ne suis pas instruit, je ne sais pas cultiver », explique-t-il, alors qu’il rentre de plusieurs heures de marche pour mener paître ses bêtes.
Pour survivre, ce jeune homme de 29 ans a divisé sa famille. Il a confié quatre de ses huit enfants à sa belle-mère, à une trentaine de kilomètres.
Tous les éleveurs sont touchés
Dans la région éthiopienne de Somali, comme à travers tout le quart sud-est du pays, mais aussi dans le nord du Kenya et la Somalie voisine, des dizaines de milliers d’éleveurs sont confrontés au même dilemme.
Depuis des générations, ils sillonnaient cette région aride au rythme des deux saisons des pluies annuelles, en quête de pâturages et de points d’eau pour leurs bêtes. Chèvres, vaches et chameaux leur fournissaient lait et viande, et de l’argent liquide quand ils étaient vendus.
Mais depuis 2016, date du dernier épisode de sécheresse, seules deux saisons des pluies ont donné des précipitations normales, en 2017 et 2018.
Les pâturages sont devenus poussière, les puits se sont taris et un nombre croissant de nomades doivent abandonner leur vie itinérante et autosuffisante pour une existence sédentaire reposant sur l’aide humanitaire dans les villes ou dans des camps de déplacés.
Sans instruction, difficile de se reconvertir
« Dans ma vie d’avant, j’étais très heureuse, j’avais mes enfants, des bêtes qui donnaient du lait et de la viande. Nous nous déplacions librement d’un endroit à un autre », se souvient Alaso Abdi.
Cette septuagénaire est arrivée il y a quatre ans dans le camp de déplacés de Berley après avoir perdu ses dix chameaux et 500 chèvres : « J’ai décidé de rester parce que je ne peux rien faire, je n’ai nulle part où aller ».
« Nous avons actuellement un million de déplacés en région Somali : 20% résultent de conflits, mais 80% sont le résultat de la sécheresse. Ce nombre augmente de jour en jour », explique Abdirizak Ahmed, responsable de l’ONG Save The Children pour l’est de l’Éthiopie.
« Ce sont les gens qui viennent à proximité des agglomérations et qu’on peut compter, mais il y a des gens qui n’y vont pas qui souffrent dans la brousse, qui ne savent pas où trouver de l’aide », ajoute-t-il.
Errer sans but
Quand ils ne se sédentarisent pas, le chemin des nomades se transforme en errance, à l’instar de ce berger croisé entre les villes de Kelafo et Gode avec sa femme et un enfant, deux ânes, quelques chèvres et un dromadaire portant toute leur vie sur son dos.
Il a quitté son village il y a deux mois à la recherche de pâturages. Sans succès. Un de ses enfants est mort en chemin. Désespéré, il a fait demi-tour pour revenir vers son village d’origine.
Les Somali, qui donnent des noms aux épisodes de sécheresse, ont baptisé l’actuel « Sima » (« identique », en langue somali) : celui qui met tout le monde à égalité.
Une « crise interminable »
À travers la région résonne le même écho de détresse, la même litanie de troupeaux décimés, les mêmes appels à l’aide.
« Les mécanismes de survie sont épuisés », avertit Abdirizak Ahmed, soulignant que les ONG peinent à combler l’urgence humanitaire dans cette « crise interminable ». « On se prépare à un niveau de crise catastrophique dans les six prochains mois », prévient-il.
Pour la première fois depuis des générations, le bétail est devenu secondaire dans cette région.
À Antalale, à une quarantaine de kilomètres de Kelafo, les bêtes ont quasiment disparu. Leurs carcasses desséchées gisent tout autour du village.
Il faut désormais sauver les humains, implore un des habitants, Mahad Astur Kahin : « Maintenant, la vie des gens est en danger. La majorité est partie à cause de la faim et ceux qui restent ici n’ont plus rien ».
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