Raghuvir Singh Meena en a marre: les champs de pois chiches de cet agriculteur ne cessent d’être ravagés par des vaches errantes, dont la prolifération est symptomatique de l’Inde des nationalistes hindous, champions fervents de ce bovin sacré.
Les vaches rôdeuses sont devenues un casse-tête dans ce pays d’Asie du Sud de 1,25 milliard d’habitants. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 des nationalistes hindous de Narendra Modi, qui brigue un deuxième mandat de Premier ministre à l’occasion des élections législatives qui débutent jeudi prochain, elles se sont propagées.
Le chef de gouvernement et son Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien) ont fait de la défense de la vache, animal révéré dans l’hindouisme, l’une des grandes causes de leur mandat. Ils ont multiplié les mesures de protection, des milices ont semé la terreur avec des lynchages perpétrés au nom de la vache. Mais les agriculteurs, en majorité hindous, sont loin d’être enchantés. Ils accusent le BJP d’avoir, en causant une multiplication de vaches désœuvrées, créé une « nouvelle menace » pour leur mode de vie.
« Nous avons tout essayé, les épouvantails et les barbelés, mais les animaux errants ne manquent pas une occasion de dévorer nos cultures », rapporte Raghuvir Singh Meena, en promenant un regard mauvais sur ses champs du district de Pilani au Rajasthan, grand État de l’ouest de l’Inde. Les nationalistes hindous « suivent leurs objectifs politiques, ils ne se soucient pas des agriculteurs pauvres », déclare-t-il.
Pour les détracteurs du BJP, son patronage a galvanisé des milices de défenseurs autoproclamés des vaches. Celles-ci ont attaqué en toute impunité des membres de la minorité musulmane ou de la communauté défavorisée des dalits (ex-« intouchables »), les soupçonnant de consommer de la viande de bœuf, d’abattre ou faire commerce de vaches.
Entre mai 2015 et décembre 2018, 44 personnes ont été tuées dans des lynchages commis au nom de la vache sacrée, parmi lesquelles 36 musulmans, selon un décompte de Human Rights Watch. L’ONG a accusé la police de fermer les yeux sur ces violences, engageant parfois même des poursuites contre les victimes plutôt que les agresseurs. L’abattage de vaches et la consommation de viande de bœuf sont interdits au Rajasthan et dans de nombreux États d’Inde, pays officiellement laïc dont la minorité musulmane représente 14% de la population.
La crispation politico-religieuse autour de la figure de la vache, le durcissement de la législation pour les secteurs de la viande et du cuir – traditionnellement tenus par les musulmans – et les peurs de violences ont considérablement perturbé le commerce de bétail. Des éleveurs préfèrent désormais abandonner les vaches vieilles ou infirmes plutôt que de les vendre à un abattoir, faisant qu’un grand nombre de bovins sont dorénavant lâchés dans la nature.
« À cause des ces protecteurs de la vache, plus personne n’ose toucher une vache maintenant », dit Sumer Singh Punia, ancien chef de village du district de Churu. « Il n’y a pas assez de refuges pour les vaches et ceux qui existent sont tellement surpeuplés que chaque jour un animal y meurt. » « Nous sommes hindous, nous ne voulons pas faire de mal à la vache mais nous ne pouvons pas nous permettre de garder et nourrir tant de vaches errantes quand nous avons déjà du mal à joindre les deux bouts« , ajoute-t-il.
En 2017, le gouvernement Modi avait décrété une interdiction fédérale de vente de bétail (vaches, buffles, bœufs, chameaux…) pour l’abattage, sous prétexte de lutter contre la souffrance animale. Ses opposants y ont lu une tentative d’imposer le végétarisme à travers l’Inde, une habitude alimentaire des traditionalistes hindous mais minoritaire dans la population. La Cour suprême avait finalement révoqué cette interdiction.
D’après l’ex-chef de village Punia, de nombreux électeurs de son district rural, qui avait massivement voté pour les nationalistes hindous en 2014, hésitent à soutenir à nouveau Narendra Modi lors du scrutin de cette année. « Le gouvernement nous donne un peu d’argent pour s’occuper des vaches errantes mais l’argent suffit à peine et les paiements ont été aléatoires », raconte-t-il.
Certains villageois mettent en commun leurs maigres économies pour construire des abris improvisés où placer les vaches errantes, au moins pendant la saison des récoltes. En décembre et janvier, des agriculteurs excédés d’Uttar Pradesh (nord) ont même enfermé les bovins en goguette à l’intérieur d’écoles publiques pour éviter qu’ils n’endommagent davantage leurs champs.
Pour Gurpreet Mahajan, professeure à l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, le BJP a utilisé la vache comme un symbole religieux et culturel hindou mais sans réellement considérer les répercussions pratiques. « Je ne pense pas que tout le monde ait complètement envisagé la manière de traiter ce symbole précis et sa concrétisation dans la réalité », estime-t-elle.
Directeur du Gramya Bharat Jan Chetna Yatra, une ONG établie à Pilani, Sandeep Kajla appelle les partis politiques à prendre le sujet à bras le corps à l’occasion du vote, qui durera jusqu’au 19 mai. « Un agriculteur peut surveiller un animal. Mais ici, les vaches rôdent par centaines. Comment un agriculteur peut-il surveiller tant de vaches ? C’est pourquoi le gouvernement doit prendre des mesures concrètes pour résoudre ce problème », dit-il.
D.C avec AFP
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