La déroute de la Silicon Valley Bank puis de deux autres banques régionales américaines a été peu après suivie d’un jeudi rouge en bourse pour les banques européennes. Credit Suisse, la deuxième banque suisse, a enregistré la pire journée depuis la crise financière de 2008.
Silicon Valley Bank (SVB) et Credit Suisse sont, de loin, très différentes l’une de l’autre. Tandis que cette dernière fait partie des 30 plus grandes banques mondiales, donc trop grosse pour faire faillite (too big to fail), la première est qualifiée comme régionale, occupant le rang de seizième parmi les banques américaines avant d’être en déroute le 9 mars dernier.
Pourtant, seulement six jours après la nouvelle concernant la banque préférée des start-ups de la Silicon Valley, Credit Suisse a fait une chute vertigineuse à la bourse de Zurich (-24,24%), laquelle a entraîné la perte de valeurs boursières des banques européennes, dont plusieurs françaises comme la Société Générale (-12,18%), BNP Paribas (-9,33%), ou encore le Crédit Agricole (-5,2%).
Stress test de 2021
Selon l’économise Marc Touati, président du cabinet ACDEFI, « contrairement à SVB qui était une banque régionale concentrée sur le secteur de la tech, les liens et les ramifications avec les autres établissements financiers européens sont cette fois beaucoup plus forts. (…) Il faudrait que les banques communiquent très vite pour indiquer si elles sont partie prenante de Credit Suisse, quel est leur degré d’exposition ».
Cela évoque le souvenir, encore frais dans son esprit, du « stress test » (test de résistance) imposé par l’Autorité bancaire européenne (ABE) en 2021 pour déterminer l’impact sur le ratio de solvabilité des banques du Vieux Continent suite à une crise simulée à 265 milliards d’euros. Le résultat du test des banques françaises était en général en dessous de la moyenne attendue par l’ABE dans le cadre de l’accord de Bâle 3 : la Société Générale et BNP Paribas ont vu leur ratio chuter respectivement à 7,73% et 8,23%, inférieur aux 10% considérés comme le niveau soutenable pour la Banque centrale européenne (BCE).
Face à la situation inquiétante transatlantique, la Première ministre Elizabeth Borne a déclaré que les problèmes de Credit Suisse sont « du ressort des autorités suisses. Ils doivent être réglés par elles ». Quant au ministre de l’Économie Bruno Lemaire, il a assuré que les banques françaises « ne sont exposées à aucun risque à la suite de la faillite de la SVB ».
Cependant, ce n’est pas l’avis de plusieurs experts dans le domaine, à l’instar de l’économiste Laurence Scialom, professeur à l’université de Paris Nanterre, qui a mis en garde que « ce serait une grave erreur de penser que seules les « happy few » de cette liste [des banques systémiques] peuvent provoquer des dégâts d’ordre systémique. Rappelons-nous que le défaut du hedge fund LTCM a considérablement ébranlé le système financier mondial en 1998 ».
« La leçon en est que la systémicité du défaut d’un acteur de la finance n’est pas une variable toujours objectivement quantifiable, elle dépend beaucoup de quand la faillite a lieu. Si celle-ci se produit sur des marchés déjà déstabilisés ou très fragiles, comme en 1998 suite à la crise russe, ou si elle révèle des fragilités préexistantes qui avaient été minimisées, alors la perte de confiance et la panique peuvent produire une crise dont les effets systémiques sont sans commune mesure avec la taille de l’acteur qui a failli. »
L’effet domino suite à la hausse de taux de la Fed
Pour l’économiste Laurence Scialom, « les déboires de Silvergate et de SVB mettent le monde de la finance face à des réalités qu’il a eu tendance à vouloir ignorer ou minimiser ». C’est que « la remontée rapide des taux a provoqué des moins-values latentes considérables sur les portefeuilles obligataires en dégonflant la bulle qui s’était développée sur les marchés de dette dans le contexte de taux très bas. Or, ces moins-values latentes se transforment en pertes sonnantes et trébuchantes dès lors que sous la pression des besoins de liquidité, les banques doivent vendre les obligations à perte », explique-t-elle dans Alternatives Économiques.
En l’occurrence, d’après Garfield Reynolds et Michelle Jamrisko sur Bloomberg News, « la Silicon Valley Bank a été le premier tournant d’une rupture financière que le resserrement cumulé de 4,5 points de la Fed au cours de l’année dernière provoque. Son effondrement, ainsi que la saisie de Signature Bank par les régulateurs [américains], se sont rapidement métastasés en une cession plus massive dans les banques régionales américaines, et même en une surveillance accrue des problèmes de Credit Suisse – une banque officiellement désignée comme systémique à l’échelle mondiale ».
Cette analyse est partagée par Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam : « Depuis SVB, on sait que toute hausse des taux supplémentaire aura un impact sur la stabilité financière. Les marchés ont changé de lunettes et ils analysent tout, et en premier lieu les difficultés de Credit Suisse, avec ces nouvelles lunettes. Ils risquent aussi de commencer à douter de l’efficacité de l’arsenal réglementaire mis en place après la grande crise financière de 2008 ».
Pour restaurer la confiance du marché, les régulateurs suisses et européens ont, chacun leur tour, tenté de trouver leurs solutions. La Banque nationale suisse (BNS) a décidé de soutenir Credit Suisse avec un prêt pouvant aller jusqu’à 50 milliards de francs suisses, ce qui a fait rebondir l’action de la deuxième banque helvétique. La Banque centrale européenne (BCE), quant à elle, a annoncé une nouvelle hausse de ses taux de 0,5 point le même jour. Mais selon Reuters, « les responsables de la Banque centrale européenne (BCE) ne se sont mis d’accord sur une nouvelle forte hausse de taux d’intérêt qu’après l’obtention par Credit Suisse d’un soutien financier de la banque centrale suisse et la stabilisation des marchés financiers ».
Cette injection massive de liquidité suivie par une hausse importante des taux rappelle le secours que la Banque centrale d’Angleterre (BoE) a apporté aux fonds de pension britanniques en septembre dernier, avec 50 milliards de livres de bons du Trésor mis sur le marché et une hausse en deux jours de 3,8 % à 4,6 % du taux des bons du Trésor britannique.
Pourquoi de telles mesures radicales ? Pour le comprendre, il faut retourner au début de l’année 2022, lorsque la Fed a augmenté son taux d’intérêt de 3 points, ce qui a fait que le bon du Trésor américain à dix ans permettait d’obtenir un rendement de 3,6 %, contre 0,5 % deux ans auparavant. Cet actif proposait dès lors un rendement particulièrement intéressant, tout en restant considéré par le grand public comme l’un des moyens d’investissement les plus sûrs du monde.
Cela a provoqué un phénomène baptisé « assèchement de liquidité », lequel touchait « même des pays comme le Royaume-Uni, la 6e puissance économique mondiale » et qui ont vu leurs capitaux retirés pour être investis aux Etats-Unis : « Les investisseurs ont retiré 70 milliards de dollars (71,2 milliards d’euros) des obligations des pays émergents, dont 4,2 milliards sur la seule semaine du 26 au 30 septembre, selon les données collectées par JPMorgan et EPFR Global », rapporte Le Monde.
L’assèchement de liquidité qui a causé tant de panique dans le secteur bancaire outre-Manche relève du même phénomène qui a provoqué la chute en bourse de Credit Suisse jeudi dernier : un assèchement de capital correspondant à la part de Harris Associates, considéré comme le principal actionnaire du géant bancaire helvétique. En effet, la société d’investissement contrôlée par le groupe français Natixis a vendu la totalité de sa participation dans Credit Suisse, selon les déclarations de son directeur général David Herro au Financial Times le 9 mars dernier.
« Nous avons beaucoup d’autres options pour investir », a expliqué Monsieur Herro. « La hausse des taux d’intérêt signifie que de nombreuses financières européennes se dirigent dans l’autre direction. Pourquoi opter pour quelque chose qui brûle du capital alors que le reste du secteur le génère maintenant ? »
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