Débat des primaires : la bataille pour le contrôle de l’agenda

octobre 15, 2016 16:11, Last Updated: novembre 3, 2016 14:57
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Pour commenter ce premier débat télévisé de la primaire de la droite et du centre, ce jeudi 13 octobre, on aurait pu s’intéresser à de multiples aspects : l’organisation matérielle du débat et les règles convenues entre les candidats, l’importance présumée du débat dans le déroulement de la campagne et son impact sur l’issue de la compétition, ou encore la couverture médiatique et les réactions sur les réseaux sociaux qu’il a suscitées.

Tous ces aspects et bien d’autres – comme la communication non-verbale, si importante à la télévision – auraient mérité de retenir notre attention tant il est vrai que les actes de communication politique sont multidimensionnels. C’est pourtant à une autre dimension que nous allons attacher nos remarques : la stratégie de contenu mise en œuvre par les différents candidats dans cette séquence ritualisée de communication politique. De façon plus précise, nous allons nous intéresser aux choix des enjeux stratégiques opérés par les candidats.

Cela peut paraître curieux dans le cadre d’une primaire où les différences d’image (de « style ») sont censées prévaloir sur les divergences concernant les problèmes à traiter et les mesures à adopter. Ainsi, à en croire un sondage Odoxa réalisé par Internet les 5 et 6 septembre derniers, 75 % des Français (et pas moins des deux tiers des électeurs potentiels) estimeraient que les électeurs de la primaire se fondent davantage sur la personnalité que sur le programme (25 %).

Le précédent Kennedy

C’est une distinction bien factice que d’opposer stratégie d’image et stratégie d’enjeu dans une campagne électorale. Images et enjeux sont en effet très interconnectés, comme le montre l’expérience américaine très antérieure à la nôtre en matière de débat télévisé. John Fitzgerald Kennedy, qui est réputé avoir fondé sa victoire sur Richard Nixon en 1960 sur sa supériorité dans le débat télévisé, est le meilleur exemple de cette interconnexion, quel que soit par ailleurs le mythe créé autour de cet évènement quant au pouvoir de la télévision.

Kennedy a mis l’accent sur l’enjeu de la politique sociale pour travailler son image publique dans le sens de l’homme politique qui prend soin de ses compatriotes. C’est bien ce qu’ont montré Jacobs et Shapirodès 1994 : Kennedy a utilisé des enjeux très saillants dans l’opinion pour façonner les critères d’évaluation des attributs personnels des candidats et a encouragé la perception de différences profondes dans leurs images.

Kennedy et Nixon, lors de la campagne de 1960.

James Vaughan/Flickr, CC BY-NC-SA

C’est cela ce qui motive l’affrontement pour le contrôle de l’agenda. Il s’agit alors de souligner les considérations qui vont aider le candidat à être reconnu pour son expertise ou son souci dominant et à ignorer celles qui vont le gêner. En d’autres termes, il s’agit de peser sur les critères de décision individuelle du vote ou de formation des perceptions.

Quels que soient leurs objectifs (consolider ou modifier la hiérarchie des préférences sondagières, construire une image ou se faire connaître), les sept candidats dans ce débat disposent de trois mécanismes – le contrôle de l’agenda, le cadrage et le choix d’une tonalité – pour mettre en œuvre deux stratégies : insister sur leurs priorités reconnues, leur crédibilité sectorielle (issue ownership), ou bien surfer sur la vague de l’opinion publique.

Une offre libérale et sécuritaire

Ils sont placés dans un dispositif très contraint et ne disposent que de 17 minutes de temps de parole, découpé en une minute de présentation et de conclusion, une minute pour répondre aux questions des journalistes ou des internautes et de trente secondes pour répondre à d’éventuelles interpellations, l’ordre des prises de parole ayant été tiré au sort.

Pour ce premier débat, les deux domaines de questions sélectionnés sont l’économie puis le régalien (immigration, sécurité, terrorisme, laïcité). Faut-il s’en étonner quand on voit que l’information diffusée par les médias et les réseaux sociaux depuis un mois privilégie – dans un ordre décroissant – la menace terroriste, la présidentielle 2017 et la crise migratoire ? Faut-il s’étonner que les souhaits des électeurs de la droite relatifs aux domaines abordés durant ce premier débat télévisé classent – en ordre décroissant – le chômage, la lutte contre le terrorisme et l’immigration ?

Dans le domaine économique, les candidats de la droite affichent une grande proximité, mais ils auront à cœur de se distinguer par des propositions particulières, sans toutefois parvenir à éviter les détails trop techniques, incompréhensibles par le téléspectateur ordinaire.

Dans le domaine dit du régalien le débat récent a donné lieu à des affrontements dont la simplicité ne le cède qu’à leur accessibilité médiatique : la controverse du burkini, « l’identité heureuse », l’épisode des Gaulois, le recours au référendum pour le regroupement familial et l’internement des fichiers S, par exemple. Le débat va sans doute se tendre dans sa deuxième partie car l’agenda public est probablement plus ouvert à la contradiction en ces matières que l’économie aux relents technocratiques peu en vogue.

Globalement libérale et sécuritaire : telle apparaît l’offre électorale des candidats à la primaire de la droite et du centre lors de ce premier débat, c’est-à-dire bien là où on pouvait l’attendre. Cette offre se complète par l’expression de traits individuels communs : la compétence et la détermination, au moins dans les effets recherchés.

La compétence est supposée attestée dans le premier temps réservé au domaine économique où le catalogue des propositions a bien été exposé avec force chiffres (c’est toujours bon pour la crédibilité de prendre appui sur la quantification). La compétence affichée dans la présentation du programme économique peut ainsi valoriser les propos ultérieurs tenus sur les aspects régaliens, moins soumis à l’évaluation quantitative. L’ordre de présentation – l’économie puis le régalien – n’est certainement pas gratuit dans l’organisation thématique du débat.

Naviguer entre deux stratégies

Il s’agit donc d’une offre globalement libérale marquée par le consensus à propos de la baisse des charges sociales, la flexibilité accrue du marché du travail, l’augmentation de la durée du travail, le relèvement de l’âge de la retraite, la réduction de la pression fiscale, la suppression d’emplois publics, la baisse des dépenses publiques et le retour à l’équilibre budgétaire en fin de quinquennat.

Bien sûr, des nuances sont apparues dans la référence à un État fort un peu plus marquée chez Juppé, dans les âges de la retraite, l’importance de la baisse des dépenses publiques et des prélèvements fiscaux. La suppression des 35 heures suscite l’agrément unanime, à l’exception de Sarkozy qui veut laisser la liberté aux entreprises. La hausse de la TVA préconisée par Juppé, Fillon et Copé à des niveaux différents n’a plus l’agrément de Sarkozy.

On voit bien que les candidats ont navigué entre les deux stratégies évoquées plus haut : d’une part, coller à leurs priorités reconnues élevées au rang d’enjeux stratégiques pour leur candidature, d’autre part surfer sur la vague des préoccupations publiques. C’est bien ce que montre le consensus néo-libéral appelé par l’insatisfaction publique face à la gouvernance sociale-libérale.

La vertigineuse question de l’identité

C’est aussi ce que montre l’orientation sécuritaire exprimée dans la partie régalienne du débat où les candidats ont fait assaut de propositions pour appliquer un état d’exception face à la menace terroriste, avec des nuances là aussi. Par exemple, Fillon dit son hostilité à la détention arbitraire alors que Copé prône « un tournant sécuritaire total » et que Juppé rappelle la ligne rouge de l’État de droit. Sarkozy renouvelle sa proposition de suppression du regroupement familial et d’internement des fichiers S dangereux. Comme il fallait aussi s’y attendre, c’est la laïcité qui a donné lieu aux plus grandes divergences des cadres interprétatifs, de même que la vertigineuse question de l’identité avec ses corollaires de l’intégration versus l’assimilation.

La conclusion a permis aux candidats de réaffirmer leur détermination : « On ne peut plus attendre » selon Le Maire ; « Je crois en la France », nous dit Sarkozy qui réaffirme son « expérience » et son « énergie » ; « La France est grande. N’ayez pas peur », pour Nathalie Kosciuzko-Morizet. Il n’y a pas deux candidats déjà qualifiés, selon Fillon qui nous invite à « prendre le pouvoir » ; « Réhabiliter l’action et la décision », pour Copé ; « Je suis prêt et déterminé », tel se présente Juppé.

En cas de défaillance les candidats peuvent espérer « se refaire » lors des deux autres débats organisés avant le premier tour de la primaire, les 3 et 17 novembre prochains, ainsi que du débat de l’entre-deux-tours prévu le 24 novembre pour les deux qualifiés. On peut faire confiance à l’agenda des médias et à l’actualité électorale et générale pour renouveler la substance de ces affrontements télévisés.

Mais quelles que soient leurs différences, les candidats chercheront, comme ce 13 octobre, à contrôler l’agenda pour dessiner de la manière la plus favorable les lignes de clivage qui les séparent en sachant que l’attention portée à un enjeu doit s’accroître avec la saillance de l’enjeu dans l’opinion.

Jacques Gerstlé, Professeur de sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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