Le président de la République d’Ouzbékistan, Islam Karimov, est mort le 2 septembre des suites d’une hémorragie cérébrale, peu de temps après que des nouvelles inquiétantes sur son état de santé ont été communiquées à la presse internationale par sa fille. Islam Karimov, âgé de 78 ans, dirigeait sans partage l’Ouzbékistan depuis l’indépendance de l’ex-République soviétique en 1991. Sa disparition ouvre une période d’incertitude pour le pays, aucun successeur n’ayant été préparé ou désigné. Du fait de l’emplacement géopolitique stratégique du pays en Asie Centrale, les grandes chancelleries sont d’ores et déjà à pied d’œuvre pour y défendre leurs intérêts. L’organisation terroriste État Islamique aussi.
Route de la soie, et des cargos militaires
L’Ouzbékistan, aux portes Nord de l’Afghanistan et dans le grand désert d’Asie centrale, est l’un des joyaux historiques et culturels du monde musulman, place centrale de la Route de la soie aux confins du grand empire perse. Le monde contemporain en a fait, jusqu’en 1991, une république soviétique et, depuis, une République autoritaire courtisée aussi bien par les États-Unis que par la Russie. Son président pendant 27 ans, Islam Karimov, a accédé à la notoriété sous Mikhaïl Gorbatchev qui l’avait nommé premier secrétaire du Parti communiste ouzbek en 1989. Un an après, il devenait président de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan ; deux ans après, il faisait sécession pour obtenir une indépendance qu’il a su depuis fermement préserver.
Année après année, Karimov a renforcé ses pouvoirs par l’organisation de référendums populaires et préparé ses futurs septennats en laminant toute tentative d’organisation de l’opposition. Il a ainsi systématiquement été réélu, jusqu’aux dernières élections présidentielles de 2015, avec près de 90% des voix. Dans le même temps, Karimov a chèrement monnayé ses bonnes relations avec les États-Unis et avec la Russie. « Il a joué un rôle très important pour l’OTAN en Afghanistan en accueillant une base aérienne et en étant le point de départ d’un itinéraire d’approvisionnement logistique, le Réseau de distribution du Nord », explique Eugène Chausovsky, analyste de Stratfor. Base arrière américaine pour l’Afghanistan pendant l’administration Bush, l’Ouzbékistan met cependant sèchement fin aux relations avec les États-Unis après avoir été critiqué pour le massacre d’Andidjan 2005 – répression à la mitrailleuse d’une tentative d’insurrection populaire. Suite à cette rupture, Karimov rejoint la Communauté économique eurasienne et, provisoirement, le giron russe. Ceci lui permet de bénéficier d’investissements russes massifs et de débouchés commerciaux pour sa production de gaz et de coton. Cette relation privilégiée ne l’empêche pourtant pas de refuser régulièrement d’accéder aux demandes russes : « L’Ouzbékistan s’est progressivement détaché de l’influence russe, bien que les questions régionales et la difficulté à trouver d’autres partenaires fassent maintenir les relations entre Tachkent et Moscou », explique un rapport du think-tank géopolitique Stratfor. « L’Ouzbékistan n’a pas voulu rejoindre de bloc économique, comme l’union douanière et, en 2012, a quitté l’Organisation du traité de sécurité collective. »
Un Islam sous contrôle dans le pays de la grande Samarcande
C’est avec la même inflexibilité qui a servi ses relations internationales que Karimov a dirigé une population de 30 millions d’habitants, sans reculer beaucoup devant l’usage de la torture et des exécutions. « En matière de droits humains, l’Ouzbékistan est resté coincé dans les âges sombres », déclare Steve Swerdlow, chercheur sur les pays d’Asie Centrale de l’association Human Rights Watch. « Le gouvernement de Karimov a plus de 10 000 prisonniers politiques, soit plus que tous les anciens États soviétiques combinés. »
Le massacre d’Andijan en 2005 a été l’une des pires violations connues des droits humains du pays : les forces de sécurité gouvernementales ont tiré et tué des centaines de personnes non armées lors de manifestations publiques. Le gouvernement avait alors affirmé que les manifestants étaient des extrémistes islamistes, comme le Mouvement islamique d’Ouzbékistan qui avait commis des actes de terrorisme dans les années 1990. « Le massacre d’Andijan illustre l’homme et la façon dont il gouvernait », déclare Swerdlow.
Malgré la répression, Karimov a toujours été soutenu par la majorité du peuple ouzbek : « Il bénéficiait d’un soutien véritable de la majorité de la population », explique Chausovsky, car « il y a un paradigme différent en Asie centrale. La stabilité et le maintien de l’ordre sont une priorité supérieure à celle d’une démocratie à part entière ».
Quel Ouzbékistan après le « père de la Nation » ?
La fille aînée de Karimov, Gulnara Karimova, a longtemps été considérée comme son héritière politique. Personnage sulfureux, jet-setteuse et à ses heures chanteuse (un duo avec Gérard Depardieu fit la joie moqueuse des gazettes), Gulnara, poursuivie pour blanchiment d’argent à l’étranger, est tombée en disgrâce fin 2013. Elle est depuis maintenue en résidence surveillée.
Aucun successeur évident n’a donc été préparé à prendre la suite de Karimov. « Il a été le seul président que l’Ouzbékistan ait jamais vu. Il est considéré comme une sorte de père fondateur », déclare Chausovsky. L’exemple des printemps arabes montre trop que la vacance du pouvoir après la mort du dirigeant d’un pays autoritaire peut provoquer le chaos, voire la guerre civile. L’organisation clanique de la société ouzbek peut – théoriquement du moins – faire craindre des soulèvements, et donc des vagues de répression comme moyen de maintenir la stabilité. Autre scénario de risque, l’Ouzbékistan étant sur la « Route de la soie » de l’opium afghan vers l’Europe, les trafiquants pourraient profiter de la période de transition pour élargir leur base et renforcer leurs infrastructures locales, avec un évident intérêt comme source de financement pour l’organisation terroriste État Islamique ; d’après l’agence russe de contrôle des stupéfiants (citée par le site MiddleEastEye), celui-ci fournit déjà près de la moitié de l’héroïne vendue en Europe.
À Tachkent, un transfert de pouvoir intérimaire a déjà été opéré au bénéfice du président du Sénat ; dans les trois mois, des élections devraient avoir lieu. Cependant, « même si le chemin semble juridiquement tracé, cela ne signifie pas que les choses se passeront ainsi. C’est une étape sans précédent car il n’y a jamais eu de transfert du pouvoir auparavant », dit Chausovsky. Le Premier ministre Chavkat Mirzioïev, le ministre des Finances Roustam Azimov, et le chef de la sécurité Roustam Inoyatov, ont aujourd’hui la faveur des pronostics à l’étranger, pour une transition dans la continuité.
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