Des étrangers pourront-ils encore être poursuivis en France pour des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre perpétrés ailleurs dans le monde sur d’autres étrangers ? La Cour de cassation rend vendredi deux décisions cruciales sur la compétence universelle de la justice française.
La réponse à cette question de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, saisie du pourvoi de deux Syriens accusés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis dans leur pays, aura potentiellement de lourdes répercussions sur l’activité du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris, chargé d’environ 160 procédures.
Le 17 mars, la Cour a examiné le cas d’Abdulhamid Chaban, ancien soldat syrien arrêté en France et mis en examen pour complicité de crimes contre l’humanité en février 2019, et celui de Majdi Nema, un autre Syrien poursuivi pour torture et crimes de guerre. Les deux contestent les faits.
Des crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui doivent être reconnus dans le pays d’origine
En novembre 2021, la Cour, déjà saisie du dossier Chaban, avait estimé que la justice française était incompétente dans cette affaire, invoquant le principe de la « double incrimination » prévu dans la loi du 9 août 2010 : les crimes contre l’humanité et crimes de guerre doivent être reconnus dans le pays d’origine d’un suspect que la France entend poursuivre. Or la Syrie ne reconnaît pas ces crimes et n’a pas ratifié le statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale.
Cet arrêt avait provoqué un séisme dans le monde judiciaire et des organisations de défense des droits de l’Homme. La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), partie civile, avait fait opposition pour un motif procédural, permettant le retour de l’affaire devant la Cour de cassation.
Dans le cas de Majdi Nema, ancien porte-parole du groupe rebelle Jaysh al-Islam (Armée de l’Islam), arrêté en janvier 2020 à Marseille où il effectuait un séjour d’études, la cour d’appel de Paris a maintenu sa mise en examen en avril 2022, estimant que la loi syrienne prévoyait « par équivalence » plusieurs crimes et délits de guerre définis dans le code pénal français.
Des interrogations sur les « intentions du législateur »
Lors de l’audience, les parties se sont interrogées sur les « intentions du législateur » lorsqu’il avait imposé ce critère de double incrimination, ainsi que celui de la « résidence habituelle », également invoqué par la défense de Majdi Nema pour contester sa mise en examen, celui-ci ne se trouvant dans l’Hexagone que pour un court séjour d’études au moment où il a été interpellé.
Concernant ce dernier, elles se sont aussi penchées sur la définition des « auteurs de torture », qui selon la loi ne peuvent être que des agents publics ou des personnes agissant à titre officiel. Or, Majdi Nema était un rebelle, et non un membre du régime syrien, et la question est de savoir si son mouvement exerçait une autorité de fait dans la région de la Ghouta.
Une « interprétation souple » de la double incrimination
Pour les parties civiles, la double incrimination ne doit pas impliquer que les infractions visées soient définies à l’identique dans les codes pénaux français et du pays où ont été commis les crimes. La défense des deux Syriens a mis en garde pour sa part contre le « piège » consistant à transférer à l’autorité judiciaire des décisions devant relever du pouvoir politique.
Le procureur général près la Cour de Cassation, François Molins, a préconisé le rejet des pourvois, appelant à une « interprétation souple » de la double incrimination et à ce que la compétence universelle ne devienne pas « lettre morte ». Il a souligné qu’actuellement le pôle crimes contre l’humanité travaillait sur 30 zones géographiques et que les dossiers liés à 16 de ces zones, parmi lesquelles la Syrie, la Russie ou encore l’Ukraine, pourraient être remis en cause si la justice française était déclarée incompétente.
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