2016 : Pour une première fois depuis 2012, le nombre d’usines créées en France (82) serait supérieur au nombre d’usines qui se ferment (75). Dans un pays où les services représentent 80 % du PIB, la nouvelle n’est pas anodine. Elle l’est d’autant moins au moment où le débat sur le 4.0 s’invite, de manière encore balbutiante, dans les programmes politiques des candidats à la présidence en France.
Le 4.0 : Une révolution économique ?
Mais, au fait, qu’est ce que le 4.0 ? Une usine automatique ? Ce n’est pas un phénomène nouveau. Déjà en 1993, Fiat se vantait d’avoir une de ses usines à Turin 100 % automatisée, capable de produire (presque) sans une intervention humaine. La fin des années 90 a été marquée par l’implantation de MRP, ERP, autant de progiciels aux noms barbares pour informatiser la production et son suivi. Le service commercial de l’usine pouvait être connecté au service approvisionnement émettant une commande quasi automatique au premier lorsque le seuil de sécurité du stock est atteint. Qu’est ce que le 4.0 vient donc changer ? Rien et tout à la fois.
L’avènement de ce que les journalistes et praticiens nomment la « smart factory » ou « usine intelligence » permet d’optimiser encore plus les ressources pour produire. Cette optimisation est permise par des outils numériques et des données disponibles sur le cloud. Concrètement ? L’ensemble des machines est connecté à l’intérieur de l’usine. A l’extérieur, ces mêmes machines sont potentiellement connectées à toutes les machines du client et même plus, de ses partenaires, y compris de l’utilisateur final.
Concrètement, tout change : le mode de travail dans chacun de ces endroits en premier lieu, les pratiques des collaborateurs aussi. Le produit industriel peut devenir très personnalisé. Pour l’automobile (mon auto avec la couleur et la finition que je veux sans attendre trois mois) et pour tout autre produit dans des temps très rapides et tout en étant informé de l’état d’avancement de la production et de la livraison…
Une 4e révolution industrielle ? Peut-être. Sur un plan technologique, la démarche s’inscrit dans la révolution numérique en marche depuis les années 1990. Pour autant, cette grappe d’innovations, pour parapher Schumpeter, va très certainement remplir sa fonction destructrice–créatrice d’emplois. Destructrice car si elle se diffuse pleinement, ce sont pratiquement tous les métiers de l’entreprise qui seront touchés, supprimés ou modifiés. Les métiers du marketing seront non seulement amenés à travailler sur un nombre de données qui vont bien au-delà des simples réponses aux questionnaires ou autres panels mais sur une quantité d’informations en temps réel. Les responsables des usines, peu habitués à rencontrer le client finale disposeront d’informations clés sur les profils des consommateurs, leurs goûts, leurs commandes.
Sans aucun doute, ces quelques illustrations laissent à penser combien l’organisation classique de l’entreprise qui évolue, somme toute, assez peu depuis l’avènement de la grande entreprise de Galbraith, va être bouleversée. Sans nul doute, ce changement génère des créations de nouveaux emplois, ou, du moins, de nouveaux métiers, ne serait-ce que pour accompagner cette transformation, puis, pour maintenir l’organisation et les systèmes numériques nouvellement installés.
Le 4.0 : Une opportunité pour les grands groupes français ou pour la France en général ?
En Europe, l’Allemagne est la grande pionnière de l’industrie du 4.0. Rien d’étonnant. L’industrie et le secteur automobile (pionnier du 4.0 pour faciliter les interactions entre constructeurs et sous-traitants) représentent respectivement 25 % et 3 à 5 % du PIB allemand. Pour maintenir la compétitivité de ces secteurs sur son territoire, l’Allemagne a misé sur une main d’œuvre très qualifiée et des systèmes de production « à la pointe ». Dès 2006, ce pays s’intéresse à l’organisation des usines en mode plate-forme, mettant en place un programme national « High Tech Strategie » qui deviendra ensuite le projet « 4.0 ».
Ces investissements allemands ont des retombées indirectes sur les usines localisées en France, en témoigne des initiatives du groupe Bosh dans ses usines de Rodez. En France, le Ministère de l’économie n’a vraiment initié de gros investissements sur le 4.0 qu’en 2014. Cela n’empêche pas certains gros groupes de s’être emparés du sujet depuis quelques années : Danone et sa micro-usine de Yaourts au Bengladesh, lui offrant ainsi la possibilité de concilier production de packages à échelle mondiale et produits locaux ; Essilor et les verres qui sont, par définition, personnalisés ou même Eurocopter pour la production de la plus grande partie de la gamme Puma.
L’entrepreneuriat français et le monde des PME sourd aux appels des sirènes du 4.0 ?
Est-ce à dire que seuls les gros groupes français sont concernés par la révolution du 4.0 et pour leurs seules usines, qui ne sont pas toujours localisées sur le territoire ? Certes, on peut comprendre que de tels investissements aussi coûteux soient réalisés avant tout par de grosses entités. Mais qu’en est-il des petits, et, en particulier des initiatives des PME qui produisent en France ? Calme plat. Alors qu’elles pourraient jouer la carte d’un co-investissement leur permettant de jouer la carte d’une production de biens assez complexes, de qualité, personnalisé tout en augmentant les quantités produits, force est de constater qu’elles se lancent tout juste – et encore pour certaines – dans l’investissement.
Et quid des démarches entrepreneuriales ? Force est de constater que la recette du développement économique par le cluster ne fonctionne pas encore très bien pour la révolution 4.0 en France. En théorie, le territoire et l’État créent les conditions. Le grand groupe doit pouvoir offrir des débouchés commerciaux aux start-up locales qui proposent elles-mêmes des solutions technologiques ou des services innovants, co-développées avec les universités et centres de recherche publics ou privés.
Or, justement, dans les incubateurs dans les écoles d’ingénieurs ou dans les universités et écoles de management, peu d’entre eux hébergent des entreprises susceptibles de déployer soit des briques de logiciels, soit des services d’accompagnement et de paramétrage de ces mêmes logiciels. La French Tech de Paris, de Lyon et de Grenoble, semble être plus séduite par les objets et applications connectées que par le 4.0. Les jeunes pousses dans les services se focalisent plus sur le conseil en open innovation qu’en processus d’industriel.
Tout au mieux, constatons-nous la création de bon nombre d’entreprises qui déclarent accompagner la transformation numérique de leur client. Pourtant, là encore, ces dernières se focalisent plus encore sur la gestion de communautés de pratiques, de transformation commerciales que sur un réel accompagnement des usines 4.0 avec des outils de simulation, ou autres logiciels.
Ce vide entrepreneuriat surprenant laisse ainsi les gros acteurs français en quête de solutions qu’elles trouvent ailleurs… auprès de PME ou d’autres start-up hors des frontières françaises.
Des exceptions ? Oui. Une seule… et elle est de taille, Total et son incubateur dédié au digital industriel lancé en 2015 qui utilise cette clé pour faire une démarche d’essaimage et d’accélérateur de croissance pour les jeunes pousses. Le groupe y trouve son intérêt : une grande partie de sa stratégie étant fondée sur le 4.0, son initiative lui permet de réduire ses risques d’investissement en la matière, de finançant le développement des briques technologiques recherchées et en permettant le développement de plusieurs entreprises qui auront la charge de trouver des débouchés commerciaux ailleurs.
L’État français a-t-il trop tardé dans ce mouvement ? Les recherches et start-up ont-elles trop tardées à s’intéresser à ses débouchés si bien que les gros groupes sont parties sans elle ? La quantité de travail est telle que les débouchés apportés par le 4.0 seront là, avec des créations d’emplois à la clé… à condition que nos start-up sachent s’en emparer avant que les gros groupes ne trouvent des solutions ailleurs.
Séverine Le Loarne, Professeur Management de l’Innovation & Management Stratégique, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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