Le changement est « irréversible » en Iran, affirmait le mois dernier Narges Mohammadi. La militante iranienne emprisonnée, couronnée vendredi par le Prix Nobel de la Paix, avait fait parvenir des réponses écrites depuis sa prison de Téhéran. Revoici cet entretien à l’AFP diffusé le 14 septembre.
Elle n’a pas vu ses enfants depuis huit ans, a passé la majeure partie de ces dernières années en prison, et n’a « presque aucune perspective de liberté ». Pourtant, depuis la prison d’Evin à Téhéran, où elle est de nouveau incarcérée depuis plus d’un an, Narges Mohammadi, 51 ans, poursuit son combat.
« Le gouvernement de la République islamique n’a pas réussi à étouffer les protestations du peuple iranien, et la société a accompli des choses qui ont ébranlé et affaibli les fondements du gouvernement religieux despotique », écrit la quinquagénaire, figure historique de la défense des droits humains en Iran, lauréate de plusieurs prix internationaux, dont celui de la liberté de la Presse Unesco en mai dernier.
« Le mouvement a accéléré le processus de démocratie, de liberté et d’égalité », désormais « irréversible » selon elle, malgré une répression impitoyable (des centaines de morts selon des ONG, et des milliers d’arrestations depuis un an).
Une contestation née de la mort de Mahsa Amini
Née de la mort de la jeune kurde iranienne Mahsa Amini après son arrestation par la police des mœurs pour non respect du strict code vestimentaire islamique, la contestation, qui s’est d’abord exprimée dans des manifestations d’ampleur, est désormais plus diffuse mais elle se répand dans la société, selon Mme Mohammadi. Les femmes y sont bien sûr en première ligne, et leur rôle est « déterminant » en raison de décennies « de discriminations et d’oppression » dans leur vie publique et personnelle, pointe-t-elle.
Scènes encore inimaginables il y a un an, des femmes apparaissent aujourd’hui dévoilées dans l’espace public, malgré les risques – le port du foulard étant un des piliers de la République islamique. De jeunes journalistes sont emprisonnées pour avoir enquêté sur la mort de Mahsa Amini.
Mais le « mouvement révolutionnaire » dépasse les élites jeunes et urbanisées, insiste Mme Mohammadi. « L’insatisfaction et les protestations touchent les régions périphériques et les villages », affirme-t-elle, citant le chômage, l’inflation, la corruption comme facteurs alimentant la colère. « Les gens sont devenus mécontents et hostiles, même envers la religion », affirme la militante, estimant que les différents cycles de protestation qui ont secoué l’Iran ces dernières années, notamment contre la cherté de la vie, « montrent l’irréversibilité et l’ampleur de la contestation ».
Une contestation dont les pays occidentaux ne veulent ou ne peuvent voir l’importance, s’irrite la prisonnière. « Je suis très critique de la politique d’apaisement des gouvernements occidentaux qui ne reconnaissent pas les forces et les figures progressistes en Iran, ainsi que de leurs politiques visant à perpétuer la dictature religieuse », assène-t-elle.
« Une douleur insupportable et indescriptible »
Les pays occidentaux sont toujours engagés dans de très difficiles négociations avec Téhéran pour relancer l’accord de 2015 sur le nucléaire. Par ailleurs, l’Iran, souvent accusé de pratiquer une « diplomatie des otages », détient des dizaines d’étrangers dans ses prisons. « Cela fait plus de huit ans que je n’ai pas vu Kiana et Ali, et cela fait plus d’un an et demi que je n’ai même pas entendu leur voix. C’est une douleur insupportable et indescriptible », écrit Mme Mohammadi. Son mari et ses deux enfants, des jumeaux de 17 ans, vivent en France.
Parfois contrainte à l’isolement ou privée d’appels téléphoniques, l’Iranienne fait l’objet « d’un acharnement judiciaire et policier pour la faire taire », depuis plus de 20 ans, selon l’organisation Reporters sans Frontières. « Le prix de la lutte n’est pas seulement la torture et l’emprisonnement, c’est un cœur qui se déchire à chaque privation, une souffrance qui pénètre jusqu’à la moelle de tes os », écrit Mme Mohammadi.
Pourtant, « le quartier des femmes d’Evin est l’un des quartiers de détenues politiques les plus actifs, résistants et joyeux en Iran. Au cours de mes années en prison, à trois reprises, j’ai partagé la détention avec au moins 600 femmes et je suis fière de chacune ». « La prison a toujours été le cœur de l’opposition et de la résistance en Iran, et pour moi elle incarne aussi l’essence de la vie dans toute sa beauté », déclare Mme Mohammadi.
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