Tout comme l’alimentation, le secteur du végétal n’échappe pas à la prolifération de concepts et d’anglicismes comme « plant addict », « plant parenting » (« parentalité végétale »), et tout récemment « slow gardening » (éco-jardinage sans stress), lesquels rencontrent un écho particulièrement puissant chez les jeunes urbains. À l’image des applications digitales facilitant l’entretien des plantes, ou encore les modules connectés de petite production alimentaire.
Sont-ils révélateurs d’une conscience écologique aiguë ou de la relation plus profonde que les jeunes générations entretiennent avec le végétal et, plus largement, le vivant ?
Mieux cerner leur degré d’« affiliation » à la nature permet d’expliquer le fossé fréquemment observé entre la conscience écologique et la mise en œuvre de comportementaux vertueux ; bien qu’assez stable chez les individus, ce plus ou moins grand sentiment de proximité avec la nature peut évoluer au gré des expériences, des émotions au contact du vivant, ne serait-ce qu’au travers des soins apportés à des plantes d’intérieur.
En janvier 2020, mille jeunes urbains, âgés de 25 à 40 ans, ont répondu à une enquête récemment publiée et conduite par ASTREDHOR et Audencia Business School. Cette enquête explore différentes dimensions de leurs relations au végétal dans l’espace privé.
Les jeunes urbains ont-ils beaucoup de plantes chez eux ? Rêvent-ils d’en avoir plus ? Qu’attendent-ils idéalement de leurs plantes ? Comment perçoivent-ils les activités autour du jardinage ? L’étude s’est également intéressée au lien social généré par les plantes, y compris sous l’angle des réseaux sociaux. Elle explore aussi le lien entre conscience environnementale, engagement en matière d’alimentation durable et relations aux plantes.
Conscience écolo, esthétisme et bienfaits psy
Les évocations spontanées associées aux plantes d’intérieur chez les jeunes urbains se traduisent majoritairement en matière de bien-être mental procuré par le végétal, comme la relaxation, la détente mais aussi l’esthétisme. Bien-être physique également qui s’est révélé par les évocations des « services » rendus par les végétaux en matière de qualité de l’air. 19 % de jeunes urbains déclarent cependant rester indifférents aux plantes.
Si les jeunes urbains sont en attente d’une reconnexion à la nature, leur vision des plantes semble plutôt anthropocentrée, tournée vers l’usage, les utilités de la plante – en particulier son bénéfice potentiel pour lutter contre le stress ou l’anxiété générés par la vie urbaine.
Mieux comprendre le fonctionnement du vivant et ses exigences n’est pas clairement une préoccupation première, au contraire : certaines de ces exigences pour les maintenir en vie, comme l’arrosage par exemple, sont perçues comme des contraintes.
S’occuper de ses plantes, corvée ou plaisir ?
Le soin apporté aux plantes est perçu comme une tâche qui prend du temps et occupe de l’espace, très souvent restreint en milieu urbain. Dans notre enquête, 60% des jeunes urbains habitent en appartement et sont de ce fait obligés de jardiner « hors sol », 14% d’entre eux ne disposent pas d’espace extérieur et sont potentiellement contraints de jardiner « en intérieur ».
La présence d’insectes et de terre est aussi très souvent perçue comme une source de nuisances ou de « saleté ». Interrogés sur leur plante idéale, les jeunes urbains citent en premières qualités des critères de facilité, de résistance et de durée de vie. Cela ne préjuge pas pour autant du plaisir qu’ils prennent à jardiner, mais un clivage a été observé. La moitié des jeunes urbains déclare apprécier rempoter, tailler, entretenir. Pour l’autre moitié, ces activités sont plutôt perçues comme une contrainte.
Enfin, la presse et les réseaux sociaux se font l’écho d’une tendance au « plant parenting » chez les jeunes, à l’image de l’éducation d’un enfant ou de l’adoption d’un animal de compagnie. Même si 43% des jeunes urbains déclarent s’attacher à une plante comme ils le feraient à un animal, 26% d’entre eux n’ont pas ou plus de plantes car en partie mortes.
Chez les jeunes urbains, il est donc difficile de parler d’une véritable reconnexion au vivant ou encore de la restauration d’une véritable « affiliation » à la nature, alors que de nombreux anthropologues pointent la nécessité de dépasser le dualisme humain-nature dans les pays occidentaux en vue de la transition écologique.
La relation aux plantes chez les convertis aux circuits courts alimentaires
La question de l’alimentation durable prend de plus en plus de place dans notre société, notamment chez les jeunes générations. Ainsi, dans notre enquête, 44% des jeunes urbains déclarent être flexitariens (forte réduction de la consommation de viande, sans se l’interdire pour autant) et 39% achètent régulièrement ou exclusivement des aliments issus de l’agriculture biologique. S’occuper des plantes s’inscrit-il dans le prolongement de cette conscience écologique ?
Nous avons croisé ces éléments relatifs à la conscience environnementale des jeunes urbains avec leur perception des activités de jardinage. Les résultats montrent une continuité entre la conscience environnementale des jeunes urbains et leur appétence pour les plantes.
Notre enquête révèle également que les jeunes urbains qui font des choix pour une alimentation durable (achats réguliers auprès des circuits courts alimentaires ou consommation fréquente d’aliments certifiés bio) sont les plus enclins à verdir leur environnement et à valoriser les soins requis par le végétal.
De la ville comestible à la résilience urbaine
Face à la croissance urbaine, les services écosystémiques des plantes (réduction des îlots de chaleur, ombrage, hygrométrie, etc.) ne sont plus à démontrer et les actions individuelles des citoyens-jardiniers peuvent contribuer activement à la résilience urbaine face au changement climatique.
Pour encourager ce jardinage privé, il faudrait savoir compter sur les liens sociaux induits par l’entretien de plantes, y compris d’intérieur. En effet, selon notre enquête, les jeunes urbains qui valorisent l’entretien et la préservation de leurs plantes sont les plus à même d’entretenir les échanges et liens sociaux avec le voisinage ou les amis autour du végétal ; ils éprouvent un fort sentiment d’appartenance à une communauté « verte ».
Ceux-là mêmes se retrouvent dans l’engouement des jeunes générations pour les « villes comestibles » qui promeuvent activement l’alimentation durable, via notamment les circuits courts urbains ou périurbains, lesquels peuvent induire en retour un sentiment d’appartenance à ces collectifs. Il pourrait être opportun d’encourager les synergies entre les communautés alimentaires et les communautés autour du jardinage pour faciliter une véritable reconnexion au vivant, dépassant la vision d’une nature « utile », et ainsi inciter à une plus grande présence du végétal dans les lieux de vie privés.
Manger et jardiner constituent deux activités qui permettent à homo urbanus de maintenir, restaurer ou encore resserrer son sentiment d’affiliation avec la nature, le végétal. Les confinements successifs dus au Covid-19 ont montré combien ces deux activités étaient essentielles à l’équilibre psychologique des citoyens, au premier rang desquels les urbains qui ont fortement réinvesti la cuisine maison et le soin aux plantes d’intérieur.
Article écrit par Gervaise Debucquet, Enseignante-chercheuse, socio-anthropologie de l’alimentation, Audencia; Allan Maignant, Directeur ASTREDHOR Loire-Bretagne, Astredhor (Institut technique de l’horticulture) et Anne-Laure Laroche, Animation d’une Unité Mixte Technologique STRATège, Astredhor (Institut technique de l’horticulture)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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