« Des antagonismes indépassables » : trois mois après le début des émeutes, la Nouvelle-Calédonie risque de nouveau de s’embraser

Par Ludovic Genin
26 août 2024 07:58 Mis à jour: 26 août 2024 17:08

Trois mois après le début des émeutes, la sécurité n’est toujours pas rétablie en Nouvelle-Calédonie, où les émeutes liées à la réforme du corps électoral ont débuté le 13 mai dernier.

Les positions se sont même radicalisées et les violences ont annihilé tout dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes. Malgré une économie exsangue, les antagonismes entre le monde occidental et le monde kanak semblent indépassables et le mois de septembre pourrait voir le conflit s’attiser de nouveau.

Alors que la Chine soutient les mouvements kanaks indépendantistes, avec comme stratégie de s’approprier les réserves de nickel et contrôler une voie maritime stratégique en Asie Pacifique, un rapport de l’ONU met de l’huile sur le feu remettant en question l’application de l’accord de Nouméa par la France.

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Une situation toujours tendue

Si la tension est nettement redescendue depuis mi-juillet, le sud de la Grande Terre – l’île principale de l’archipel – est toujours inaccessible par la route. En cause, l’insécurité qui règne au niveau de la tribu de Saint-Louis, fief indépendantiste et passage obligé à une dizaine de kilomètres de Nouméa.

Depuis début août, l’accès à la tribu est même totalement interdit par les forces de l’ordre qui bloquent la circulation des deux côtés en raison, notamment, de la présence de tireurs embusqués. Ailleurs sur l’île, des barrages n’ont pas été levés et rendent la circulation très difficile, notamment dans les communes de Ponérihouen et Poindimié, sur la côte Est.

Une situation toujours suffisamment tendue pour justifier, aux yeux du Haut-commissariat, le maintien d’un couvre-feu de 22 h à 05 h, de même que l’interdiction du port et du transport d’armes et la vente d’alcool.

Une économie de l’archipel asphyxiée

Selon les chiffres du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, les destructions, pillages et incendies ont causé au moins 2,2 milliards d’euros de dégâts.

Quelque 700 entreprises ont été touchées, dont 66 % à Nouméa. Les autorités dénombrent 26 établissements scolaires victimes des émeutes, dont un collège et un lycée totalement détruits. Tous bâtiments publics confondus, la facture des dégradations se monte à 293 millions d’euros.

Conséquence: l’économie est à genoux. Près d’un salarié sur cinq est au chômage plein ou partiel. L’État a débloqué 300 millions d’euros, mais cette somme ne couvre pas les besoins des collectivités locales au-delà de septembre, ont-elles estimé.

Une aide supplémentaire doit être décidée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, selon le haut-commissariat, qui précisait dans un communiqué début juillet que ce soutien « s’inscrira dans le cadre de discussions avec le territoire sur le projet d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie ».

Le dégel du corps électoral en question

Revendication de longue date des non-indépendantistes, le dégel du corps électoral aux élections provinciales calédoniennes faisait l’objet d’âpres discussions depuis des mois. L’examen de la loi au Parlement, sans accord local, avait été vu comme un « passage en force » par les indépendantistes, déclenchant leur mobilisation.

Face à l’embrasement du territoire, Emmanuel Macron avait annoncé fin mai, lors d’une visite éclair à Nouméa, que le texte était « suspendu ». Un terme jugé ambigu par les indépendantistes, qui souhaitent que le président de la République annonce son retrait pur et simple et jurent de continuer la mobilisation jusque-là.

Les non-indépendantistes, dont le député Ensemble pour la République (ex-Renaissance) Nicolas Metzdorf, estiment eux que la réforme n’est pas enterrée. Le sujet doit être évoqué en septembre à Paris, lors d’une réunion proposée par Emmanuel Macron aux groupes politiques calédoniens.

Les violences qui durent depuis trois mois ont radicalisé les positions et annihilé tout dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes.

Des antagonismes possiblement indépassables

La présidente loyaliste de la province Sud, l’ex-secrétaire d’État Sonia Backès, a même proposé en juillet une « autonomisation des provinces », disant constater que « le monde kanak et le monde occidental ont […] des antagonismes encore indépassables ». Un projet de partition unanimement rejeté par les loyalistes modérés et les indépendantistes.

Le dialogue pourrait toutefois reprendre en septembre, si d’ici là le Front de libération nationale kanak et socialiste, l’alliance des mouvements indépendantistes dans laquelle la CCAT (le mouvement à l’origine de la mobilisation) veut jouer un rôle, arrive à tenir un congrès et à se mettre d’accord sur la revendication à porter à Paris.

Mais une date est redoutée, car elle pourrait être marquée par un regain de violence : le 24 septembre, qui marque la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France en 1853. « Fête de la citoyenneté » depuis 2003, la date était considérée depuis 1979 par les indépendantistes comme « jour de deuil du peuple kanak ».

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L’empreinte de la Chine derrière la pression indépendantiste

Selon le rapport de l’Irsem Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien, il est dans l’intérêt du régime chinois d’encourager des mouvements indépendantistes dans les îles du Pacifique Sud, afin de récupérer des parts de marché et fragiliser ses adversaires. Selon les auteurs, il y a deux raisons pour lesquelles le PCC veut interférer en Nouvelle-Calédonie.

Si la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, elle sera de facto sous influence chinoise et assurerait à la Chine son approvisionnement en nickel. Ce petit bout de territoire français intéresse particulièrement Pékin, la Nouvelle-Calédonie étant le 3e producteur et la 2e réserve de nickel au monde. Ce métal est nécessaire pour fabriquer de l’acier inoxydable et les batteries des véhicules électriques, un marché que la Chine veut absolument dominer.

Mais le nickel n’est pas le seul intérêt de la Chine dans la région. Sous tutelle du PCC, la Nouvelle-Calédonie « deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise » et isolerait l’Australie.

Selon l’Irsem, la stratégie du régime chinois est d’influencer l’économie et la politique calédoniennes par le financement de partis politiques, de think-tanks, d’influenceurs, de décideurs publics, de médias ou de chercheurs. Le PCC s’appuie ainsi sur différents relais pour amener la Nouvelle-Calédonie vers « l’indépendance » et la ramener au final dans sa propre zone d’influence.

Un rapport d’experts de l’ONU met de l’huile sur le feu

Les deux principales formations non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie ont dénoncé le 21 août la « désinformation » de quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU, qui ont accusé la France de vouloir « démanteler l’accord de Nouméa » et se sont alarmés de la situation des Kanak.

« Les Loyalistes et le Rassemblement-LR considèrent que la communication partisane de quatre hauts fonctionnaires de l’ONU […] est une faute politique grave » qui « ternit durablement le travail jusqu’alors respectable des Nations unies sur la question calédonienne », écrivent les deux partis dans un communiqué commun.

Quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU ont estimé dans un communiqué que le projet de réforme électorale porté par le gouvernement, qui a embrasé la Nouvelle-Calédonie à partir de mai, « menace de démanteler les autres acquis majeurs de l’accord de Nouméa liés à la reconnaissance de l’identité autochtone Kanak ».

« La tentative de démantèlement de l’accord de Nouméa porte gravement atteinte à leurs droits humains et à l’intégrité du processus global de décolonisation », ont aussi estimé les experts de l’ONU, qui sont mandatés par le Conseil des droits de l’homme mais ne s’expriment pas au nom de l’organisation.

Pointant « les nombreuses erreurs contenues dans cette communication », les Républicains et le Rassemblement-LR répondent que « la France ne démantèle pas l’Accord de Nouméa, elle l’applique simplement » et rappellent que trois référendums d’autodétermination « supervisés par l’ONU » ont été organisés en 2018, 2020 et 2021.

« Le 13 mai, la CCAT a organisé un coup d’État pour arracher par la violence ce que les indépendantistes n’ont pu gagner par les urnes », ajoute le communiqué.

La réforme portée par le gouvernement prévoit que les élections provinciales locales, actuellement réservées aux natifs et résidents arrivés avant 1998 (date de l’accord de Nouméa) et à leurs descendants, soient ouvertes aux personnes ayant au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie.

Les indépendantistes craignent que ce dégel ne « minorise encore plus le peuple autochtone kanak » mais les loyalistes rappellent que la période de dix ans de résidence était justement inscrite dans les accords de Nouméa, jusqu’à son gel en 2007 suite à une révision constitutionnelle.

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