Selon une information relayée par le Financial Times, la possibilité d’obtenir des milliards d’euros de subvention dans le cadre de la nouvelle loi américaine de lutte contre l’inflation (IRA ou Inflation Reaction Act) pourrait inciter Volkswagen à mettre en pause son projet de construction d’une méga-usine de batteries prévu en Europe pour un plan similaire aux États-Unis. L’inquiétude se propageant en Europe depuis l’adoption de cette loi quant à une nouvelle désindustrialisation du Vieux Continent menace de devenir réalité. Face à cette situation, l’UE est à la traîne. Comment expliquer ce manque de réactivité de la part de Bruxelles ?
La loi IRA a été adoptée par le Congrès américain en août dernier sous couverture d’un ensemble de mesures contre l’inflation. Cependant, comme souligné par l’économiste André Bouët, cette loi vise avant tout la promotion de la production et l’utilisation de l’énergie propre aux États-Unis avec des mesures de nature protectionniste : elle contient des clauses de contenu local, c’est-à-dire préconisant des traitements fiscaux qui favorisent des biens produits sur le territoire américain par rapport aux mêmes biens produits en dehors des États-Unis.
Entrée en vigueur le 1er janvier dernier, l’IRA comporte un volet « climat et énergie » valant 391 milliards de dollars, lesquels peuvent être réclamés d’ici les dix ans à venir par des producteurs et des consommateurs de produits fabriqués sur le sol américain et issus de l’industrie des énergies propres.
À peine deux mois plus tard, fin février 2023, la Maison-Blanche a publié une longue liste des entreprises ayant récemment investi dans le secteur de l’énergie « verte » aux États-Unis. Dans cette liste, qui s’agrandit de jour en jour, figurent de nombreux grands noms européens du domaine manufacturier, comme Stellantis, Siemens, BMW, Volkswagen, Engie, etc.
Stellantis a annoncé fin février un investissement de 155 millions de dollars dans ses sites de production implantés dans l’Indiana. Carlos Tavares, le patron du groupe né d’une fusion du Groupe PSA et Fiat Chrysler Automobiles, a déclaré dans un communiqué : « Alors que nous poursuivons notre transition réussie vers un avenir décarboné dans nos activités européennes, nous mettons en place ces mêmes fondamentaux pour le marché nord-américain ».
Un autre géant européen, BMW, a déclaré en octobre dernier qu’il investirait 1,7 milliard de dollars dans ses usines de production de véhicules électriques et de batteries en Caroline du Sud. Quatre mois plus tard, la manufacture bavaroise de moteurs a révélé son plan d’investissement de 800 millions d’euros pour étendre ses branches au Mexique. Il est à noter au passage que si l’IRA excluait les alliés européens de ses subventions vertes, les crédits d’impôt liés à cette loi s’appliquent aux véhicules électriques dont l’assemblage final se fait en Amérique du Nord, y compris au Mexique et au Canada.
Volkswagen et son partenaire Northvolt, intéressés par les milliards de subventions américaines
Selon un article du Financial Times, Volkswagen, le plus grand constructeur automobile en Europe, a fait part aux autorités européennes au cours d’une réunion de son intention d’investir dans la construction d’une méga-usine de batteries aux États-Unis, en estimant que celle-ci pourrait lui permettre d’obtenir entre 9 et 10 milliards d’euros de subventions, de crédits d’impôts et de prêts dans le cadre de l’IRA.
En contrepartie, Volkswagen suspendrait un projet similaire prévu en l’Europe de l’Est, attendant de voir quelles seront les mesures proposées par l’Union européenne pour contrer le plan de relance économique de Joe Biden. Toujours selon le Financial Times, l’un des dirigeant de la marque automobile allemande a avoué que « les plans en Amérique du Nord ont progressé plus rapidement que prévu et ont dépassé la prise de décision en Europe » dans l’ordre de priorité.
Northvolt, fabricant de batteries suédois, dans lequel Volkswagen détient 20% de capital, a suggéré également qu’il s’apprêtait à mettre en pause son plan de construction d’usines en Europe, à moins que l’Union européenne n’apporte des soutiens plus concrets en réponse à l’IRA, d’après l’un de ses dirigeants qui assistait à la même réunion. Le Financial Times n’a pas révélé le nom de ce dirigeant, mais cela correspond à ce que Peter Carlsson, le Directeur Général de Northvolt, a déclaré à l’agence Bloomberg trois semaine plus tôt.
Lorsqu’il lui a été demandé de commenter l’info, un porte-parole de Volkswagen a confié à Reuters que le constructeur automobile allemand « évaluait toujours des emplacements appropriés pour nos prochaines usines de batteries en Europe de l’Est et en Amérique du Nord. Aucune décision n’a encore été prise. »
Cependant, Thomas Schmall, membre du conseil d’administration de Volkswagen, a averti sur LinkedIn la semaine dernière que l’Europe risquait de perdre « la course aux milliards d’investissements qui auront lieu dans les mois et les années à venir » au profit des conditions séduisantes inscrites dans l’IRA.
Avec l’IRA, les États-Unis ont pris une longueur d’avance sur l’Europe dans cette course. Arno Antlitz, Directeur financier de Volkswagen, a confié au Financial Times : « L’IRA nous donne un vent favorable en termes de vitesse et de conséquences, nous avons donc la possibilité d’étendre notre empreinte mondiale encore plus rapidement aux États-Unis avec l’IRA ».
Un manque de réactivité de l’UE vis-à-vis du plan de Joe Biden
Face à ces mesures percutantes du plan de relance économique des États-Unis, l’Union européenne est à la traîne. C’est ce que le président de France Hydrogène, Phillippe Boucly, a constaté dans La Tribune : « Il y a une question de timing. Il faudrait une réaction rapide de l’Europe. Même si certains projets vont dans le bon sens, l’UE est lente et compliquée quand les principes de l’IRA sont simples et pragmatiques avec un unique crédit d’impôts ».
Quant à elle, l’économiste Anne-Sophie Alsif a alerté, également dans La Tribune : « Si on ne fait rien, on est à la veille d’une nouvelle désindustrialisation. Nous ne sommes qu’au début de la révolution industrielle verte. On risque de réaliser les opportunités manquées dans vingt ans. Comme lorsqu’on a pris conscience pendant la crise sanitaire des conséquences de la désindustrialisation des années 2000 ».
La classe politique de l’UE est donc sous haute pression. Le 5 mars dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a promis une réponse « sous quinzaine » lors de son déplacement pour rendre visite au chancelier allemand Olaf Scholz, avant de rencontrer Joe Biden ce jeudi pour discuter comment « assurer la collaboration entre l’UE et les Etats-Unis en matière d’innovation et de chaînes d’approvisionnement sécurisées pour les technologies propres », selon l’Agefi. Cependant, sept mois ont déjà passé depuis l’adoption de la loi IRA et l’Union européenne « n’envoie aucun signal aux industriels européens, y compris sur les prix de l’énergie », s’inquiète Anne-Sophie Alsif.
Comment expliquer cette absence de réponse de l’UE ?
D’après l’économiste Antoine Bouët, dans sa récente étude publiée auprès du centre d’étude et de recherche en économie internationale CEPII, il existe techniquement très peu de marge de manœuvre pour que l’Union européenne se permette de se lancer dans une guerre de subventions avec les États-Unis : « Le montant des subventions des filières vertes dans l’UE est déjà actuellement élevé. Les pays européens subventionnaient déjà à hauteur de 84,5 milliards de dollars en 2021 les énergies renouvelables ».
Par ailleurs, « en termes relatifs, les dépenses de l’IRA représentent moins de la moitié de celles de l’UE : 0,2 % du PIB par an côté américain, contre 0,5 % du PIB côté européen. Comparativement, la France fait proportionnellement autant que l’IRA en termes de subventions avec le plan France 2030 qui équivaut à 2 % du PIB français sur dix ans ».
Selon le directeur du CEPII, cette marge de manœuvre serait d’autant plus étroite si l’on considérait le niveau actuel de dette publique encourue par de nombreux États membres importants de l’UE : « Le financement d’un nouveau plan de soutien aux industries stratégiques repose la question des marges de manœuvre budgétaires des États membres de l’UE ; ces marges sont très différenciées. La dette des administrations publiques en pourcentage du PIB est de 24 % en Estonie, 31 % au Luxembourg, 77 % en Allemagne, 138 % en France, 224 % en Grèce. L’UE pourrait s’endetter en son nom, mais cette solution risque de rencontrer l’opposition d’un certain nombre de pays dont l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède… »
« On pourrait envisager d’inclure une option protectionniste, soit sous la forme d’une loi imposant l’achat de biens produits sur le territoire européen pour les commandes publiques (Buy European Act) […] Avec un Buy European Act, primo, on porterait un nouveau coup au multilatéralisme ; secundo, cela contribuerait à gonfler les budgets publics à un moment où les priorités se bousculent ; tertio cela obligerait l’UE à renégocier sa participation à l’Accord sur les marchés publics (AMP), accord plurilatéral de l’OMC ».
« Bref, un Buy European Act aurait un coût administratif significatif », continue l’économiste avant de prétendre dans sa conclusion que, même dans le cas d’une désindustrialisation de l’Europe au profit des États-Unis, rien ne permettrait à l’heure actuelle de démontrer que celle-ci serait principalement provoquée par l’IRA : « Il n’est pas certain que la loi elle-même provoque une vague de délocalisations au détriment de l’UE », tandis que « le différentiel transatlantique des prix de l’énergie joue déjà comme une force d’attraction vers le territoire américain ».
Si, malgré tout, un Buy European Act, ou selon les termes employés le 6 mars dernier par le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire, un « IRA européen » devait voir le jour, il sera intéressant d’observer comment l’UE se défendra dans une guerre de subventions dont le but serait d’atténuer les inquiétudes des grands acteurs européens de l’industrie « verte », alors qu’elle est en train de s’impliquer activement dans une autre guerre : selon les dernières informations publiées par le Conseil européen, « l’UE et ses États membres ont mis à disposition de l’Ukraine et de sa population une aide d’environ 67 milliards d’euros ».
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