« Ne pas juger un livre à sa couverture » est un adage populaire qui peut s’appliquer de manière convaincante à de nombreuses situations. Toutefois, cet adage ne tient pas la route dans le cas des reliures d’orfèvrerie.
Les reliures d’orfèvrerie, également connues sous le nom de reliures d’apparat, sont un type de reliure dont la couverture est ornée d’éléments somptueux tels que des pierres précieuses, de l’argent, de l’or, de l’ivoire et de l’émail. Ce style, apparu au Moyen-Âge, signifiait généralement que l’intérieur du livre contenait un texte important et précieux ainsi que de magnifiques illustrations miniatures. L’ornementation extérieure représentait donc un signe de dévotion approprié. Ces livres étaient destinés à être exposés non pas par leur dos, mais par leur couverture.
Avec l’invention de l’imprimerie, les reliures d’orfèvrerie sont devenues moins populaires, bien que cette pratique se soit poursuivie au cours des siècles. Des reliures remarquables ont été fabriquées pour la cour de Versailles et des exemplaires ornés de bijoux ont été remis au goût du jour au XXe siècle, notamment par la société anglaise Sangorski & Sutcliffe.
Sacramentaire de Berthold
Au Moyen Âge, les reliures d’orfèvrerie étaient des symboles de statut représentant la richesse du propriétaire – même les livres ordinaires étaient un luxe. À cette époque, chaque étape du laborieux processus de fabrication des livres était réalisée à la main, de la création des pages de vélin à la copie du texte, en passant par la fabrication de la reliure. De nombreux manuscrits médiévaux, intrinsèquement fragiles, n’ont pas survécu jusqu’à aujourd’hui. Les reliures d’orfèvrerie existantes sont encore plus rares, car au cours de l’histoire leurs matériaux précieux ont souvent été pillés et réutilisés.
Le Sacramentaire de Berthold du XIIIe siècle, qui fait partie de la célèbre collection de manuscrits médiévaux enluminés de la Morgan Library & Museum, est le manuscrit allemand le plus luxueux de son époque et est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de l’art roman. Il présente les textes utilisés par le célébrant de la grand-messe et porte le nom de l’ecclésiastique qui l’a commandé : Berthold, l’abbé de Weingarten.
Au cours de son mandat, Berthold se concentre sur la production d’objets culturels exceptionnels afin de renforcer la réputation de son abbaye en tant qu’institution religieuse de renommée internationale. Un incendie dévastateur en 1215 renforce la détermination de Berthold qui commande une nouvelle série de livres liturgiques enluminés, dont celui appelé aujourd’hui le Sacramentaire de Berthold.
La reliure, la calligraphie et les enluminures de ce livre témoignent d’un grand sens artistique. La première de couverture, ornée de bijoux, comprend une représentation centrale d’une Vierge à l’Enfant intronisée, en haut-relief et en argent doré, insérée dans une croix. Ce groupe est entouré de douze figures en repoussé (façonnées par martelage au verso) identifiables par les inscriptions : l’abbé Berthold, les saints patrons de l’abbaye de Weingarten Saint-Martin et Saint-Oswald, les quatre évangélistes, les archanges Michel et Gabriel, Saint-Nicolas, et les vertus Virginité et Humilité.
Collection Versailles de Jayne Wrightsman
C’est à la cour de Versailles, au XVIIIe siècle, que s’est développée la pratique des reliures de maroquin en cuir doré (technique consistant à appliquer des feuilles d’or sur du cuir de chèvre tanné à l’aide d’un procédé végétal) pour les volumes imprimés. Bien que ces reliures ne soient pas ornées de bijoux comme leurs prédécesseurs médiévaux, elles ont continué à être considérées comme des symboles de statut et reflètent l’excellent goût esthétique de leur propriétaire. Les exemplaires exceptionnels et importants créés pour les membres de la famille royale et de leur cercle le plus proche sont aujourd’hui très prisés.
L’un des plus grands collectionneurs modernes d’art français du XVIIIe siècle était la philanthrope Jayne Wrightsman, aujourd’hui décédée. Comme l’explique William Strafford, spécialiste de Christie’s, dans le podcast The AD Aesthete : « Très souvent, comme pour de nombreux collectionneurs du XVIIIe siècle, c’est le commanditaire de l’œuvre qui est à l’origine de cette fascination. … Je pense que sa collection de livres était une autre façon d’entrer dans ces mondes qu’elle collectionnait à travers ses peintures et de ses meubles. (…) C’étaient des morceaux d’histoire miniatures ».
L’intérêt et la recherche de pièces représentatives et rares constituaient une partie essentielle de sa remarquable collection, qui témoigne de l’importance artistique et historique des reliures. Jane Wrightsman a fait don d’une grande partie de cette sous-collection à des musées, le Metropolitan Museum of Art (MET) étant l’un des principaux bénéficiaires.
Parmi les livres offerts au MET figurent des ouvrages ayant appartenu aux bibliothèques du roi Louis XV, de Madame de Pompadour et de Marie-Antoinette. Un exemplaire du roi Louis XV est relié en cuir maroquin rouge avec des éléments décoratifs dorés. Les bordures contiennent des fleurons, des motifs stylisés de fleurs ou de feuilles, qui dans ce cas sont des feuilles d’acanthe et des branches d’olivier. Les pièces d’angle, motifs décoratifs situés aux coins de la reliure, présentent des fleurs de lys, symbole de la monarchie française.
Les femmes de la cour étaient également d’importantes collectionneuses de livres et sont bien représentées dans les cadeaux Wrightsman du MET. La bibliothèque de Madame de Pompadour comptait plus de 35.000 volumes. L’un et l’autre, celui de sa collection ornée de bordures florales, et celui de Marie-Antoinette orné de fleurs de lys royales, sont dominés par une pièce centrale armoriée, une décoration héraldique qui valorise le propriétaire du livre.
Les motifs décoratifs des reliures de cette période reflètent également les tendances et les innovations du moment. Dans les années 1780, les frères français Montgolfier, précurseurs dans le développement de la montgolfière, ont effectué le premier vol non attaché à Versailles, pour le plus grand plaisir du roi et de sa cour. Le motif de la montgolfière est ainsi devenu un motif décoratif populaire, comme en témoigne ce charmant livre dont la couverture est ornée d’une montgolfière dorée.
Sangorski & Sutcliffe
Les reliures semblables aux modèles médiévaux incrustés de pierres précieuses ont connu un renouveau pendant le mouvement Arts and Crafts. Ce mouvement artistique s’est inspiré du Moyen Âge et a rejeté la fabrication et l’impression de masse bon marché. Sangorski & Sutcliffe, fondée à Londres en 1901 et toujours en activité aujourd’hui, est l’une des entreprises de reliure les plus remarquables ayant adhéré à ces principes d’artisanat, de beauté et de créativité.
Les reliures de Sangorski & Sutcliffe, comme leurs prédécesseurs historiques, sont aujourd’hui collectionnées par d’éminentes institutions et des collectionneurs privés. Une reliure de Wine, Women, and Song, aujourd’hui conservée à la Cooper Hewitt, Smithsonian Design Library, est un exemple rare des premières réalisations de l’entreprise. Elle présente du cuir maroquin avec des pointillés dorés (une surface marquée par de nombreux petits points), des motifs feuillagés complexes et des améthystes enchâssées qui représentent des raisins, en accord avec le sujet du livre.
La création la plus célèbre de Sangorski & Sutcliffe a vu le jour en 1909, lorsque l’entreprise a été chargée de créer une reliure unique pour le Rubáiyát d’Omar Khayyám, un célèbre livre de poésie persane traduit en anglais. Cette reliure, connue sous le nom « Le Grand Omar », a été conçue en deux ans. La première de couverture était décorée de trois paons dorés, avec des plumes ornées de bijoux, placés dans des bordures de vignes estampées. Au total, le livre présentait 1050 pierres précieuses, dont des topazes, des émeraudes et des rubis, ainsi que d’abondantes quantités de feuilles d’or. Ce livre a magnifiquement répondu à l’intention de son concepteur et de son mécène, qui souhaitaient qu’elle soit la plus belle reliure moderne.
Hélas, cet exemplaire n’est connu que par des photographies. En avril 1912, il était en route pour l’Amérique et a manqué de peu le voyage initialement prévu. Au final, il est monté à bord d’un autre navire, le Titanic. Le livre a apparemment coulé avec le navire et on suppose qu’il repose dans son épave. Dans les années 1930, une deuxième version de la reliure a été réalisée par Sangorski & Sutcliffe. Au début de la Seconde Guerre mondiale, la reliure a été placée dans un coffre-fort londonien pour être conservée pendant le Blitz. Cependant, son emplacement a été lourdement bombardé et le livre, malgré ses protections, a été très endommagé : son cuir a fondu et ses pages ont brûlé. En 1945, une troisième version a été commencée par l’entreprise, en utilisant un certain nombre des pierres précieuses restées intactes de la deuxième version décomposée, et ce travail s’est poursuivi jusque dans les années 1980. Cet exemplaire se trouve aujourd’hui à la British Library. Son accès est très restreint et il est à espérer qu’il restera toujours en sécurité.
L’expérience esthétique de la lecture d’un livre de poche ou d’une couverture rigide, ou encore d’un livre numérique, n’a rien à envier à ces reliures qui sont de véritables trésors. Malheureusement, il serait difficile aujourd’hui de recréer ces objets, car le savoir-faire artisanal requis est en voie de disparition. Le respect, le travail et les fonds consacrés à ces magnifiques reliures continuent cependant à rappeler au spectateur d’aujourd’hui le pouvoir et l’importance de l’écrit.
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