The Guardian, Bild, 20 Minutes, Le Monde : depuis le début du conflit en Ukraine, des dizaines de sites pirates répliquent l’identité graphique de médias européens pour diffuser des articles pro-russes et anti-occidentaux. Une vaste opération d’influence dénoncée en septembre, mais qui s’avère toujours active.
Mi-mai, le journal Le Parisien, « hacké » depuis fin février, a annoncé porter plainte auprès de l’Icann, société de gestion de l’attribution des noms de domaine. « C’est un site qui ressemble en tout point au Parisien… à l’exception de son contenu », écrit le 11 mai le quotidien dans ses pages et dénonce le plagiat. Même design et charte graphique, reprise du logo, liens hypertexte renvoyant à la page d’accueil et aux articles du journal : les différentes pages pirates ressemblent à s’y méprendre à celles du Parisien. Un détail frappe cependant : le nom de domaine de l’URL de ce site miroir (.ltd) est différent de celui du média (.fr).
La vingtaine d’articles publiés par ce site pirate – désormais inaccessibles – ont « en commun de critiquer l’Occident, les États-Unis ou la guerre en Ukraine », note Le Parisien. Dans les faits, peu de ces papiers semblent avoir bénéficié d’une audience particulière, à quelques exceptions près.
Début mai, l’ancien sénateur Yves Pozzo di Borgo, un des relais de la propagande pro-russe en France, a partagé sur Twitter un de ces articles sur un supposé « exode massif » des soldats ukrainiens « pour échapper à l’esclavage militaire ». L’ancien homme politique affirmera ensuite s’être fait berner. Mais un de ses tweets relayant le lien, partagé plus de 600 fois, demeure toujours actif.
« Favoriser des narratifs anti-ukrainiens et pro-russes »
Le Parisien est loin d’être la seule victime. Selon une enquête publiée fin septembre par l’organisation européenne EU DisinfoLab, spécialisée dans la lutte contre la désinformation, les sites de 17 médias européens ont été copiés dans le cadre d’une opération d’influence similaire. « Le but de cette campagne était de favoriser des narratifs anti-ukrainiens et pro-russes, avec des articles insérés dans des sites miroirs », explique à l’AFP Alexandre Alaphilippe, directeur du EU DisinfoLab.
Des médias comme The Guardian, Der Spiegel ou encore 20 Minutes ont ainsi vu leur logo, charte graphique et URL usurpés par ce type d’opération. Idem pour le quotidien allemand Bild : un faux article publié en août via une URL similaire – toujours disponible en ligne – prétend que la criminalité à Berlin aurait « fortement augmenté » la nuit à cause des coupures de courant liées à la crise énergétique et la guerre en Ukraine.
Depuis septembre, d’autres médias comme Le Monde font les frais de manipulations similaires. Fin décembre, un article pirate publié sur l’adresse lemonde.ltd titrait que le ministre français des Armées « Sebastian (sic) Lecornu » « sout(enait) les meurtres de soldats russes en Ukraine ». « Je ne sais pas si les acteurs sont les mêmes, mais on observe très clairement un modus operandi similaire », commente Alexandre Alaphilippe. Il est souvent difficile d’attribuer ce type de manipulation, pour des questions de traçabilité des noms de domaine employés.
Le EU DisinfoLab a malgré tout pu déterminer que l’opération dénoncée en septembre partait de Russie grâce aux métadonnées de vidéos diffusées sur ces faux sites : elles révèlent que le fuseau horaire utilisé correspondait à celui de la région sibérienne et que les ordinateurs à la manœuvre étaient paramétrés en russe.
« Exploiter nos failles »
Touché par l’affaire, Facebook est arrivé aux mêmes conclusions. Le réseau social a annoncé fin septembre avoir démantelé une opération « d’influence secrète » constituée de plusieurs centaines de comptes et pages au « comportement inauthentique », créés pour amplifier la visibilité de ces articles issus de sites pirates. Facebook a depuis relié ce réseau de comptes à deux entreprises russes, Social Design Agency et Structura National Technologies, qui ont déboursé 105.000 dollars en publicités pour pousser ces contenus sur la plateforme.
L’impact de cette stratégie d’amplification est toutefois resté limité : en septembre, seuls 4000 comptes avaient commencé à suivre les 703 pages créées. « Ce type d’opération fait beaucoup d’erreurs et a un impact à relativiser », fait valoir Alexandre Alaphilippe. Il reconnaît toutefois une opération « très bien conçue sur le papier pour exploiter nos failles : si aucun média ne porte plainte, ce type de site continue d’exister. Et à la fin, on ne sait plus si on lit véritablement Le Parisien ou Le Monde. »
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