« Nous aurons des décès » : dans la Nièvre, le manque de docteurs est tel qu’à partir du 26 janvier, des soignants viendront pour la journée en avion depuis la capitale régionale, Dijon.
« On n’a plus aucun dermatologue, qu’un seul rhumatologue, un seul allergologue…. », égrène Thierry Lemoine, président du Conseil de l’ordre des médecins de la Nièvre, un des départements de la diagonale du vide.
« On est face à une catastrophe sanitaire »
Avec un généraliste pour plus de 2000 patients, contre 854 au niveau national, « 15 à 20% des patients n’ont pas de médecin traitant ». « On est face à une catastrophe sanitaire. Oui, probablement qu’on meurt dans la Nièvre faute de médecins », dit-il.
« Nous aurons des décès. On en a déjà probablement eu », affirme Catherine Save, infirmière libérale installée depuis 1990 dans le bourg de La Machine. Cette ancienne cité minière d’environ 3300 habitants perdra cet été son dernier généraliste, installé sur la rue principale entre deux commerces abandonnés.
« On va détecter des cancers en phase terminale, des détresses pulmonaires, des problèmes cardiaques trop tard… », liste l’infirmière. Déjà, « il y a beaucoup moins de surveillance », par manque de médecins, avertit-elle. « On régresse, l’espérance de vie est plus courte ici ».
En écho, Sophie Bernier, la pharmacienne du bourg, se souvient de ce patient qui « a fini aux urgences pour des problèmes cardiaques car il n’avait plus de traitement », faute de médecin pour renouveler son ordonnance.
En dehors de La Machine, les médecins les plus proches sont à Decize, à une dizaine de km, mais les deux seuls docteurs qui restent dans ce village refusent toute nouvelle patientèle et ne consultent pas à domicile. « Les petites mamies de 90 ans finissent aux urgences », déplore la pharmacienne de La Machine.
Aucune candidature, c’est alarmant
« Sur 3340 habitants, 843 ont plus de 70 ans », rappelle le maire Daniel Barbier (ex-PS). L’élu dit vivre « avec angoisse » le départ à la retraite en juillet, à 67 ans, du dernier généraliste du village, Dominique Raes.
« C’est catastrophique », résume le Dr Raes. Tout comme les deux généralistes avant lui, il n’a pas trouvé de successeur : « Je n’ai reçu aucune candidature », lâche-t-il en pointant le numerus clausus qui a plafonné le nombre d’étudiants en médecine de 1971 à 2020.
« Les pouvoirs publics savaient bien que les médecins allaient prendre leur retraite », enrage-t-il.
« En 1992, quand je faisais mes études, un enseignant annonçait déjà un désert médical en 2015 », abonde le Dr Lemoine, de l’Ordre des médecins. En attendant les effets de la réforme universitaire, la situation ne peut qu’empirer, « l’âge moyen des généralistes étant de 57 ans aujourd’hui », selon lui.
« C’est alarmant », reconnaît le président du département, Fabien Bazin (PS).
Son département de 200.000 habitants a décidé de recruter des médecins, rétribués 6500 euros bruts par mois pour un maximum de 40 heures. Vingt salariés devaient être embauchés en 2022, les cinq premiers dans le centre de santé de La Machine. Mais aucun n’a encore montré le bout de son stéthoscope, faute de candidats.
« Un constat d’échec »
En attendant, les préfabriqués du « pôle santé » installé face à la petite poste du village accueillent un docteur une demi-journée par semaine, quelques paramédicaux et des « massages de détente et relaxation », comme le promet une affichette sur la porte d’entrée.
« Un constat d’échec », selon le maire. « On va y arriver », répond Fabien Bazin, annonçant « deux recrutements » sous peu et des « discussions » pour faire valider les diplômes non européens de « cinq candidatures étrangères ».
Faute de médecins, le dernier recours est l’hôpital de Nevers, le principal du département avec près de mille lits. Mais lui aussi souffre d’une carence de personnel.
« Il nous manque une cinquantaine de médecins et au moins 35 infirmières », résume Patrick Bertrand, président de la Commission médicale du Centre hospitalier de Nevers.
« Ça me rappelle quand j’étais médecin dans les atolls en Polynésie, dans les années 1980, où il n’y avait pas de docteur », dit-il dans un rire jaune. Faute de bras, « un quart » des lits en soins intensifs de cardiologie, son service, est fermé.
Un gâchis pour cet hôpital relativement neuf, ouvert en 1998, et doté d’« équipements de très haut niveau », selon Yannick Chartier, secrétaire général du Groupement hospitalier chapeautant Nevers et ses annexes. « On a neuf blocs opératoires à Nevers mais seuls 4-5 tournent ».
Un pont aérien avec Dijon
Pour dénouer la crise, le maire et président de l’hôpital de Nevers, Denis Thuriot (LREM), a décidé de créer un pont aérien avec Dijon, à 200 km, soit 35 minutes de vol, au lieu des trois heures de voiture et un peu plus de deux en train.
Cela fera faire « des économies », selon lui : la rotation d’un avion de 10-15 places coûte 13.000 euros, alors que l’embauche d’intérimaires représente 3,5 millions d’euros par an pour l’hôpital plombé par un déficit annuel de 6 millions d’euros.
« Une heure d’avion est 13 fois plus émettrice en CO2 qu’une heure de voiture », critiquent les écologistes départementaux. « Mais qu’est-ce qu’on fait ? », répond le maire. « On laisse mourir les gens ? »
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