Quand les deux monstres de la Révolution perdaient leur tête le même jour

Par Lawrence W. Reed
28 août 2022 08:12 Mis à jour: 31 août 2022 23:38

Louis Antoine de Saint‑Just, Maximilien Robespierre n’étaient pas considérés comme des monstres avant la Révolution. Mais cela a changé. Pourquoi ?

« La plupart des arts ont produit des miracles, tandis que l’art du gouvernement n’a produit que des monstres. »

L’homme qui a prononcé ces paroles connaissait fort bien son sujet. Il était lui‑même un monstre, rendu tel par ce poison que nous appelons le pouvoir. Le 28 juillet 1794, lui et bien d’autres quitteraient enfin cette terre au soulagement du plus grand nombre.

Il s’appelait Louis Antoine de Saint‑Just (1767‑1794). Son ami intime et allié politique était Maximilien Robespierre. Ensemble, ils ont organisé la Terreur, soit une répression sans nom et des tueries. Les deux hommes ont accédé au pouvoir suprême, avant d’être dévorés par la même machine vers laquelle ils en avaient envoyé tant d’autres. À la différence de toutes leurs victimes, Saint‑Just et Robespierre méritaient incontestablement leur châtiment.

Dans un discours prononcé en février 1794, Robespierre (1758‑1794) compare la terreur à la vertu. La fin (une république vertueuse et égalitaire) justifie tous les moyens :

« Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible, elle est donc une émanation de la vertu, elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie. »

Pour toute personne saine d’esprit, cet amalgame entre terreur et vertu est indécent. Mais les plus sanglants et les plus radicaux des révolutionnaires utilisaient constamment une terminologie positive et édifiante pour légitimer leurs crimes : « justice », « démocratie », « patrie », « gouvernement populaire », etc. Ainsi, c’est au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité que les braves citoyens français s’entretuaient et que leurs têtes tombaient.

Le 5 septembre 1793, les députés de la Convention nationale décident de mettre « la terreur à l’ordre du jour » pour protéger la Révolution de ses ennemis intérieurs et extérieurs, des royalistes et des gouvernements étrangers. Trois mois plus tard, elle confère une vaste autorité exécutive au célèbre Comité de sûreté générale et de surveillance.

De son siège au Comité, Robespierre transmet les décisions du groupe à Saint‑Just, surnommé alors l’ « Archange de la Terreur ». Saint‑Just supervise la saisie des biens, les arrestations massives et les exécutions. La rhétorique de Saint‑Just est terrifiante, à glacer le sang :

« Il n’y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera ; vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes ; vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle ; »

« Le vaisseau de la Révolution ne peut arriver à bon port que sur une mer rougie par des torrents de sang. »

« Une nation ne se régénère que sur des monceaux de cadavres. »

« Louis Antoine de Saint-Just », 1793, par Pierre-Paul Prud’hon. (Domaine public)

Le 10 juin 1794, la Convention nationale promulgue la tristement célèbre loi du 22 prairial. Elle dresse une longue liste d’ « ennemis publics » qui doivent être punis de mort, sans qu’ils aient de réels recours juridiques. Durant six semaines des rivières de sang coulent dans les rues de Paris. Puis, alors que le chaos atteint son apogée, la Révolution dévore soudain ses deux plus farouches intendants. Robespierre et Saint‑Just sont arrêtés le 27 juillet et guillotinés le jour suivant. Le premier est âgé de 36 ans, le second de 26 ans seulement.

Un examen attentif du parcours de ces deux figures de l’histoire révèle l’effet déconcertant et corrosif du pouvoir politique. Rien d’autre ne peut expliquer le changement remarquable de leur personnalité. Avant la Révolution, Robespierre était un opposant à la peine de mort au caractère tempéré. Le pouvoir suprême entre les mains, le voilà devenu un monstre.

La transformation de Saint‑Just est encore plus troublante, comme l’ont noté plusieurs historiens. Décrit comme « libre et passionné » quelques années auparavant, il devient du jour au lendemain « concentré, tyrannique et impitoyablement minutieux », « l’idéologue glacé de la pureté républicaine », « inaccessible comme la pierre à toutes les passions ». Il abandonne une femme dont il est épris, balaye ses amis, délaisse sa passion pour la littérature, et se métamorphose en un tueur implacable cherchant à contrôler, torturer ou assassiner pour « recréer » la société.

Si vous aviez croisé Robespierre ou Saint‑Just dans une rue de Paris avant la révolution de 1789, vous auriez probablement eu une conversation agréable. Vous les auriez jugés comme des jeunes gens sympathiques, intelligents et éloquents. De même, si vous vous étiez assis dans la classe à côté d’Adolf Hitler à l’Académie des Beaux‑Arts de Vienne en 1910, vous n’auriez probablement jamais soupçonné son évolution une fois parvenu au pouvoir.

Le philosophe du XXe siècle Eric Hoffer a étudié ce type de profils devenus fanatiques une fois parvenus au sommet de l’État. Selon lui, le pouvoir fait ressortir le pire de tout mortel. Rares sont ceux qui parviennent à s’en détourner, à le repousser :

« La corruption inhérente au pouvoir absolu provient du fait que ce pouvoir n’est jamais exempt de la tendance à transformer l’homme en une chose. … Car l’impulsion du pouvoir est de transformer toute variable en constante et de donner aux commandes le caractère inexorable et implacable des lois de la nature. C’est pourquoi le pouvoir absolu corrompt même lorsqu’il est exercé à des fins humaines. Le despote bienveillant qui se voit comme le berger du peuple exige encore des autres la soumission des moutons. La tare inhérente au pouvoir absolu n’est pas son inhumanité mais son anti‑humanité. »

Portrait de Maximilien Robespierre, artiste inconnu, vers 1790. (domaine public)

Il n’y a sans doute pas de motivation plus toxique que le pouvoir – le désir de bousculer les autres, de s’emparer de leurs biens, de les contrôler, les réduire à des chiffres, etc. Nous ne devrions jamais sous‑estimer les transformations qu’opère le pouvoir et les meilleurs d’entre nous ne sont pas à l’abri.

Mais la première leçon à retenir de la Révolution est celle‑ci : le pouvoir ne doit jamais être concentré dans les mains d’un seul homme ou d’un petit groupe d’hommes.

On pense souvent que le danger commence à l’échelle nationale. Pourtant la corruption et les climats venimeux s’immiscent au plus bas de l’échelle.

Si le pouvoir est un démon, Robespierre et Saint‑Just ont été complètement possédés et défigurés par lui.

Comment reconnaitre quand ce démon est parmi nous ? C’est simple, ceux qui sont consumés par le pouvoir cherchent à faire taire les opinions dissidentes. Pour semer le chaos et la confusion, ils redéfinissent la nature elle‑même, s’attaquent à tout principe de longue date qui leur font obstacle.

Enfin, ils prononcent pléthore de fausses promesses.

Considérons tantôt les mots de Frédéric Bastiat [Harmonies économiques], bien au fait des dérives du pouvoir :

« Ne plus compter sur l’État que pour le maintien de l’ordre et de la paix ! N’attendre de lui ni nos richesses, ni nos lumières ! N’avoir plus à rejeter sur lui la responsabilité de nos fautes, de notre incurie, de notre imprévoyance ! Ne compter que sur nous‑mêmes pour nos moyens de subsistance, pour notre amélioration physique, intellectuelle et morale ! »

L’économiste nous exhorte de prendre beaucoup de recul avec l’État. Certes, ses exigences sont élevées, mais lorsque l’alternative est la tyrannie, son avertissement mérite qu’on s’y penche.

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