Deux retentissantes affaires de viol faisaient les gros titres de la presse cette semaine en Inde, obligeant ce pays-continent d’Asie du Sud à se confronter à la face sombre de sa société.
« Que reste-t-il à dire à un pays qui a converti le viol collectif et la mort d’une enfant en une arme politique ? », s’insurgeait vendredi l’intellectuel Pratab Bhanu Mehta dans une tribune publiée par le quotidien Indian Express.
Impunité des élites, complicité de la police, tensions entre communautés… Deux agressions sexuelles distinctes, survenue pour l’une en Uttar Pradesh (nord) et pour l’autre au Jammu-et-Cachemire (extrême nord), soulèvent des problèmes sociétaux qui dépassent le fléau des violences sexuelles.
Si ces affaires remontent chacune à plusieurs mois, elles ont connu de nouveaux rebondissements ces derniers jours. Des manifestations ont été organisées en réponse mais sans générer pour l’instant un mouvement massif semblable à celui déclenché par le viol collectif et le meurtre d’une jeune fille à New Delhi en 2012 – une histoire qui avait choqué la planète.
Là où la classe moyenne indienne s’identifiait à l’étudiante en médecine suppliciée dans un bus en sortant du cinéma avec un ami, ces deux faits divers ont pour décor des milieux beaucoup plus modestes et marginalisés.
En Uttar Pradesh, un grand État pauvre et notoirement corrompu, un influent législateur du parti du Premier ministre Narendra Modi est accusé d’avoir violé en juin une adolescente dans le district d’Unnao.
L’affaire a pris une ampleur nationale depuis la mort en détention, la semaine dernière, du père de la jeune fille. Cette dernière a tenté de s’immoler devant la résidence du chef du gouvernement de cet État pour protester contre la police, qu’elle accuse d’avoir torturé son père car il souhaitait maintenir les poursuites.
Les autorités locales n’ont entrepris aucune action envers les suspects jusqu’à ce que mercredi soir, sous la pression médiatique, le dossier soit transféré au Central Bureau of Investigation (CBI, équivalent indien du FBI), les enquêteurs fédéraux.
Élu de l’assemblée législative d’Uttar Pradesh sous la bannière des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP), Kuldeep Singh Sengar dément les accusations portées contre lui. « Ce sont des gens de basses classes. C’est une conspiration de criminels », a-t-il déclaré à des journalistes.
Il n’a pas été arrêté à cette heure.
Plus au nord, dans l’État du Jammu-et-Cachemire, une enquête a donné une nouvelle dimension de violence communautaire au viol en réunion suivi de mort d’une fillette musulmane de huit ans en janvier dans une région en majorité hindoue.
Selon l’acte d’accusation de la police, rendu public cette semaine, la victime a été kidnappée par des villageois qui l’ont droguée avant de la garder captive pendant cinq jours dans une cabane puis un temple hindou. Sa dépouille avait été retrouvée en forêt.
Pendant sa détention, plusieurs personnes – parmi lesquelles un policier – l’auraient violée à tour de rôle avant de la tuer. Huit hommes ont été arrêtés.
Selon les enquêteurs, ils ont voulu terrifier les Bakerwals, une communauté nomade de bergers musulmans dont était issue l’enfant, pour les dissuader d’aller dans leur région.
Des avocats de l’association du barreau local ont cette semaine bloqué la route à des policiers qui se rendaient au tribunal pour déposer l’acte d’accusation contre les suspects, tous hindous.
Cette agression a provoqué de vives réactions dans le monde politique et la société civile.
Le Premier ministre Modi, un nationaliste hindou, reste quant à lui silencieux sur cette affaire, comme sur celle en Uttar Pradesh.
En revanche, sa ministre chargée des droits de la femme et des enfants, Maneka Gandhi, a assuré sur Twitter qu’elle tenterait de faire modifier la législation en vigueur afin que soit infligée « la peine de mort pour le viol d’enfants de moins de 12 ans ».
« Est-ce que nous voulons vraiment que le monde d’aujourd’hui nous voie comme ça ? Si nous ne pouvons pas nous lever pour cette fille de huit ans sans considération de genre, de caste, de couleur ou de religion alors nous ne représentons rien dans ce monde… », s’est pour sa part émue sur Twitter la championne indienne de tennis Sania Mirza.
Le viol en réunion de New Delhi en 2012, qui avait jeté une lumière crue sur le rapport des hommes aux femmes en Inde, a entraîné un durcissement de la législation contre les crimes sexuels.
Environ 40.000 cas de viols sont signalés chaque année dans cette nation de 1,25 milliard d’habitants, selon les statistiques officielles. Les observateurs estiment cependant que ce chiffre n’est que la partie émergée de l’iceberg en raison de la forte culture du silence qui prévaut sur ce sujet dans la société indienne.
« Le sentiment de révulsion qui est si bouleversant en ce moment va vite se dissiper jusqu’à la prochaine atrocité », prédit sombrement l’universitaire Pratab Bhanu Mehta.
D.V avec AFP
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