Toutes les îles de la Caraïbe orientale, de l’île de Saba au Nord à la Grenade au Sud, en passant par la Guadeloupe et la Martinique, dépendent des énergies fossiles pour la production de leur électricité. En 2021, la part des énergies renouvelables est de 33,70 % en Guadeloupe, 25 % en Martinique et 25 % en Dominique mais pour les autres îles elle n’est que de 10 %, voire plus faible. Cette dépendance a un coût financier, mais aussi un impact écologique du fait des fortes émissions de gaz à effet de serre provenant des énergies fossiles utilisées.
Pour réduire cette dépendance énergétique et limiter les émissions de CO2, le développement des énergies renouvelables est essentiel. Ainsi, la région Guadeloupe a pour objectif, dans sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), d’atteindre l’autonomie énergétique en 2030. Dans ce contexte, la géothermie – c’est-à-dire l’exploitation de la chaleur de la terre – peut jouer un rôle clé car elle est non polluante, renouvelable et disponible 24 heures sur 24. De plus, cette ressource est compatible avec le tourisme en raison de sa faible emprise foncière et, surtout, elle est résiliente aux évènements climatiques tels que les cyclones.
Les îles de la Caraïbe orientale sont d’origine volcanique, avec une activité parfois intense et récente (une centaine d’années maximum). Il existe plusieurs types de géothermie. Le contexte insulaire volcanique permet d’envisager l’utilisation de la géothermie « de haute énergie » pour produire de l’électricité, car les températures dans la roche peuvent atteindre la centaine de degrés ou plus, à des profondeurs de l’ordre du kilomètre.
Les reconnaissances préliminaires, de même que les forages exploratoires menés dans la Caraïbe orientale, indiquent la présence de nombreux réservoirs géothermiques. Des potentiels qui demeurent, à ce jour, globalement inexploités. En effet, il n’existe qu’une centrale en activité aux Antilles, celle de Bouillante, en Guadeloupe, mise en service en 1986. Elle a une capacité de 15 mégawatts et couvre 6-7 % du mix énergétique de l’île.
La mise en place d’une centrale géothermique nécessite en amont un travail important d’exploration qui permet d’évaluer la puissance que l’on peut extraire du réservoir géothermal, pour vérifier la faisabilité technique et économique du projet.
Le travail d’exploration inclut l’utilisation de méthodes géophysiques, qui, comme une sorte d’échographie à grande échelle, fournissent une « image » des propriétés physiques du sous-sol, par exemple, la résistivité électrique ou la vitesse de propagation des ondes sismiques. Ces propriétés sont ensuite interprétées en termes de quantités utiles pour l’évaluation de la puissance extractible, par exemple la température ou la géométrie du réservoir.
Mais les méthodes actuelles souffrent de limitations techniques et ne sont pas toujours adaptées aux particularités des îles, notamment leurs reliefs et la présence de la mer. Par conséquent, les résultats obtenus peuvent être entachés d’erreurs ou avoir une incertitude élevée ce qui impacte négativement la qualité de l’évaluation de la ressource et donc l’aspect économique du projet.
Vers de nouvelles méthodes d’estimation de la ressource géothermique
Dans le cadre d’un nouveau projet, qui fait suite à une collaboration née en 2008 entre la région Guadeloupe, l’ADEME, le BRGM et l’OECO (Organisations des États de la Caraïbe Orientale), nous développons des méthodes innovantes d’exploration géothermique en milieu volcanique insulaire.
En particulier, l’objectif est de développer de nouvelles techniques d’imagerie géophysique adaptées aux spécificités des îles de la Caraïbe et notamment à la proximité de zones urbanisées, du relief et de la mer. Dans un premier temps, nous cherchions à valider sur une zone connue – le champ de Bouillante – la valeur ajoutée des nouvelles méthodes par rapport aux approches classiques. Dans un second temps, l’attention s’est portée sur la caractérisation du champ de Bouillante en mer, ce qui n’était pas possible avec les méthodes précédentes.
Ce travail a permis d’obtenir une évaluation plus précise de la structure du réservoir de Bouillante ainsi que de sa structure sous la mer. En effet, notre méthodologie permet d’acquérir et de traiter simultanément les données acquises en milieu terrestre et marin. Grâce à cette expérimentation, il est maintenant possible d’envisager une étude similaire sur d’autres îles de la Caraïbe pour améliorer l’évaluation de leurs ressources géothermiques.
Mesurer la résistivité électrique du sous-sol
Dans le cadre de cette étude, nous nous appuyons sur les méthodes électromagnétiques, qui sont sensibles aux variations de résistivité électrique du sous-sol.
En effet, un réservoir géothermique dans un contexte insulaire volcanique se caractérise le plus souvent sous la forme d’une source de chaleur profonde (magma à plusieurs kilomètres), au-dessus de laquelle se trouve une roche « réservoir » contenant des fluides chauds (à plus de 100 ℃) sous pression, elle-même sous une couche altérée, « argilisée », par les fluides géothermaux, qui agit comme un couvercle et permet de garder chauds et sous pressions ces fluides. Chacune de ces trois couches possède des caractéristiques de résistance électrique distinctes, ce qui permet de les différencier et rend pertinente l’utilisation des méthodes électromagnétiques.
Cette approche est originale d’une part car nous déployons simultanément à terre et en mer des capteurs de champs électrique et magnétique et d’autre part car nous utilisons des méthodes « passives » et « actives ». Cette combinaison permet d’obtenir une image 3D des propriétés électriques du sous-sol. Cette image est continue entre les sous-sols terrestre et marin, ce qui permet d’évaluer la continuité en mer du réservoir de Bouillante.
En effet, les méthodes passives, et en particulier la magnétotellurique, sont historiquement les méthodes de choix pour l’exploration de la géothermie. Peu chère et facile à mettre en œuvre, la magnétotellurique permet de contraindre l’image du sous-sol jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres en profondeur, mais elle ne peut pas être utilisée proche des villes, car le bruit ambiant de l’activité humaine est supérieur au signal électromagnétique naturel – généré par exemple les orages lointains ou les éruptions solaires – enregistré par les capteurs.
Développer les méthodes actives pour les zones densément peuplées
C’est là que les méthodes actives peuvent prendre le relais en utilisant des sources artificielles plus fortes que le bruit ambiant et qui peuvent être déployées à proximité des zones urbanisées.
En utilisant ces sources et en distribuant densément sur la zone d’étude des capteurs légers développés par le BRGM, il est possible d’obtenir des images de plus haute résolution qu’avec les méthodes passives. L’inconvénient cependant, est que la profondeur d’investigation (la profondeur maximum à laquelle la méthode ne permet plus de reconstruire une image du sous-sol) dépend de la distance entre la source et le récepteur et en pratique, cette profondeur est limitée à trois kilomètres.
Combiner ces deux méthodes (actives et passives) permet donc de bénéficier des avantages de chacune d’elles, mais le traitement et l’intégration des données ne sont pas simples et nécessitent un développement algorithmique et méthodologique important. Autre difficulté, la prise en compte du relief de l’île et le très fort contraste de résistivité entre la mer très conductrice et la terre qui est résistante. Lever ces verrous est le sujet d’une thèse qui prendra fin en mars 2023, dont les résultats préliminaires permettent d’ores et déjà d’obtenir des images du sous-sol de la zone de Bouillante avec un niveau de détails supérieurs aux résultats des précédentes études.
Ces méthodes pourront ensuite être déployées aux autres îles de la Caraïbe pour améliorer l’évaluation de leur potentiel géothermique.
Alexandre Stopin, Chef de Projet. Géophysicien, BRGM
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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