« Il y a du mécontentement dans le monde agricole français, nous commençons à trouver le temps long », déclare Jean-Guillaume Hannequin

Par Julian Herrero
3 septembre 2024 16:21 Mis à jour: 3 septembre 2024 16:28

ENTRETIEN – Dix mois après le début du mouvement de protestation, rien n’a réellement changé pour les agriculteurs. En plus de la situation de blocage politique, l’été 2024 a été particulièrement rude pour eux en matière de récolte de blé. Dans un entretien accordé à Epoch Times, le président de la FDSEA 55 Jean-Guillaume Hannequin revient sur cette situation difficile.

Epoch Times – Les récoltes de blé ont été très mauvaises cet été, notamment à cause des intempéries. Comment avez-vous vécu la situation dans votre département ?

Jean-Guillaume Hannequin – Dans la Meuse, la situation a été extrêmement compliquée, en particulier à deux niveaux.

Premièrement, la récolte de céréales a été effectivement catastrophique. Vous imaginez bien que c’est très contraignant pour les agriculteurs puisque cela a un impact sur les bénéfices de l’entreprise et leur rémunération.

Deuxièmement, il n’a pas cessé de pleuvoir pendant l’été. Nous avons donc dû nous adapter à ces conditions météorologiques pour réussir à récolter dans les meilleures conditions. C’était très épuisant. Je crois sincèrement que le monde agricole français dans son ensemble est épuisé. L’année a vraiment été difficile.

Des aides de l’État existent-elles pour ce genre d’événements ?

Un système assurantiel a été mis en place. Vous avez la possibilité de vous assurer quand vous subissez une perte située entre 20 et 50 %. Au-delà de 50 %, les fonds de l’État viennent supporter ces risques exceptionnels.

Aujourd’hui je pense que nous sommes au-delà des 25 %. Pour ma part, j’ai subi au moins 30 % de pertes.

Mais le système assurantiel est récent et pas très bien ficelé. Par conséquent, seulement 30 % des agriculteurs sont assurés et ils sont 70 % à être en difficulté.

Ces mauvaises récoltes peuvent-elles entraîner un nouveau mouvement de colère du monde agricole français ?

Tout va dépendre de la personnalité qui sera nommée Premier ministre. J’espère qu’Emmanuel Macron va trouver un nouveau chef de gouvernement rapidement parce qu’il y a du mécontentement dans le monde agricole. Nous commençons à trouver le temps long.

Et il est clair que le prochain ministre de l’Agriculture devra trouver de l’argent pour financer le fonds de roulement qui permet le cycle de production. Selon Bercy, le déficit pourrait atteindre les 5,6 % du PIB. J’imagine donc que ce sera difficile pour l’État de trouver les fonds. Mais pour les agriculteurs, un tel discours ne sera pas audible. Il faut absolument une aide d’urgence pour financer le cycle de production.

L’absence de majorité claire à l’Assemblée et de nouveau gouvernement laisse les agriculteurs dans l’attente après les promesses faites par le gouvernement, il y a quelques mois. Craignez-vous que ces mesures annoncées ne soient pas mises en œuvre par le prochain gouvernement ?

Nous craignons effectivement que les mesures annoncées ne voient jamais le jour. On nous avait promis tellement de choses, notamment d’un point de vue fiscal. Aujourd’hui, quand vous faites une bonne année, vous payez des impôts et des charges sociales, ce qui est tout à fait normal. En revanche, vous n’arrivez pas à mettre de côté pour pallier les coûts lors des mauvaises années, comme cette année 2024.

Cependant, la déduction pour épargne de précaution (DEP) existe et va vous aider en tant qu’agriculteur à justement économiser pour les mauvaises années. Un certain nombre d’agriculteurs ont réussi à le faire. Le problème étant qu’on nous avait promis la défiscalisation de cette DEP pour les années difficiles, mais ça n’a pas été inscrit dans le projet de loi de finances 2024. En plus, des avancées avaient été actées et devaient figurer dans le projet de loi d’orientation agricole, mais faute de majorité à l’Assemblée, tout a été abandonné.

Franchement, au-delà des aspects de revendications et de syndicalisme pur et dur, il peut naître vraiment une réelle défiance vis-à-vis du monde politique. Si on ne va pas au bout de tout ce qui a été discuté, il y aura une cassure. Cette cassure est déjà un peu entamée parce que nous ne sommes que partiellement écoutés. Cela n’avance pas assez vite par rapport à ce qu’il faudrait faire pour relancer l’activité agricole en termes de compétitivité et de souveraineté.

De leur côté, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont décidé de proposer leur propre texte de loi « Entreprendre en Agriculture » qui est « constitué de mesures visant à donner une réelle ambition à l’agriculture française » et à « redonner de la visibilité aux femmes et aux hommes qui font vivre les territoires ». Les deux syndicats ont exhorté l’État et les députés de s’en saisir. La composition actuelle de l’Assemblée nationale ne rend-elle pas difficile l’adoption d’un tel texte ?

Oui et c’est d’ailleurs certainement pour cette raison qu’Emmanuel Macron peine à trouver un nouveau Premier ministre. Au-delà de l’agriculture, si on ne parvient pas à trouver des gens pragmatiques qui veulent construire un État français fort, rien ne sera possible.

Je comprends que les deux extrêmes s’opposent au bloc central qui regroupe la gauche et la droite modérées, mais je pense qu’on peut trouver chez eux des gens raisonnés et raisonnables capables d’échanger avec les autres formations politiques, notamment sur les sujets agricoles. Avec l’extrême-gauche, c’est un peu difficile, mais cela reste à voir avec le RN.

Dans mon département, il y a deux députés Rassemblement national. J’arrive à échanger avec eux, mais j’ai le sentiment qu’ils ne parviennent pas à réfléchir par eux-mêmes. Ils font ce que leur dit de faire Marine le Pen. C’est ce qui me fait peur. Quoi qu’il en soit, le pays est complètement bloqué. Les affaires courantes sont à peine gérées. Je pense qu’une nouvelle dissolution va avoir lieu très rapidement.

Nous à la FDSEA, nous allons garder cet esprit de construction. Nous sommes un syndicat constructif et pas seulement dans la critique. Si nous pouvons rassembler assez de députés pour avancer, tant mieux. Si on n’y arrive pas, il faudra se battre. Mais pour le moment, nous sommes dans l’inconnu.

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