« L’avenir de la nation et du monde dépend de la capacité des citoyens américains à choisir les bonnes histoires. […] c’est la bataille des histoires, et non le débat sur des idées, qui détermine comment les Américains vont réagir à une compétition présidentielle. Ces récits habiles sont la principale forme d’échange de notre vie publique, ils constituent la monnaie de la politique américaine. »
C’est ce qu’affirme Evan Cornog, professeur de journalisme à l’université de Columbia, à propos des élections américaines.
Cette dimension narrative a été popularisée en France grâce notamment à Christian Salmon, et s’est ensuite diffusée auprès des commentateurs politiques, (qui en abusent parfois, qualifiant de « storytelling » des points de communication très peu concernés par la narrativité).
Le « je » et le « nous »
Pour rendre compte des diverses campagnes politiques en cours (primaires, campagne des candidats déjà déclarés), nous élaborons une méthodologie d’analyse, dans le cadre du projet #Idéo2017, qui s’appuie sur différentes fonctionnalités de logiciels existant pour analyser les tweets de compte politiques. En utilisant le Tropes, nous pouvons décrire le style d’un corpus.
En nous attachant à un recueil de 500 tweets publiés par le compte d’Emmanuel Macron (500 tweets extraits au 20 janvier), nous obtenons le résultat suivant :
- Style plutôt narratif : raconte un récit, à un moment donné, en un certain lieu.
- Mise en scène : dynamique, action. Prise en charge à l’aide du « Je ».
En regardant les éléments saillants dans ce corpus, le « nous » semble également particulièrement présent. Pour savoir s’il ne s’agit pas d’un trait commun aux tweets politiques de candidats, j’ai comparé avec un corpus de tweets de François Fillon. Cette comparaison fait ressortir l’importance du « nous » chez Emmanuel Macron. Par exemple :
Si l’Europe n’avance pas assez vite, nous devons commencer par le faire à quelques-uns. #MacronLille pic.twitter.com/NMMOo2QWWC
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 14 janvier 2017
et parfois combiné au « vous » :
Le printemps sera à nous. Vous allez le conquérir pour nos idées ! #MacronClermont @enmarchefr pic.twitter.com/eBSYiC1Fn5
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 7 janvier 2017
Ce récit s’inscrit dans un cadre de mouvement/déplacement, bien retranscrit par le nom même de « En marche ! », que j’avais déjà analysé précédemment.
Pris dans la dynamique du « nous » et du sentiment de « mise en marche », différents thèmes sont alors combinés, comme autant d’éléments narratifs dans le storytelling constitué. Ceci ressort visuellement sur le nuage de mots constitué à partir de ce corpus :
Les mots les plus fréquents – « Europe », « France, « français », « pays » – sont pris entre les éléments contextuels du récit (« enmarchebordeaux », « macronlille », « enmarche.fr », « macronclermont »), et étayés par des éléments plus programmatiques (« travail », « révolution », « santé »).
Les personnages, le décor, les actions
Ceci se dessine davantage encore sur le graphique suivant, qui permet de faire émerger les grandes thématiques convoquées par le candidat :
Les classes lexicales 1 et 2 concernent en effet l’Europe (avec des verbes comme « prendre (risque) », « agir », « rendre », « recréer ») et la France (avec des termes comme « projet », « émancipation », « construire », « venir », « porter »), et sont deux classes ayant une certaine proximité. Le récit proposé aux Français est donc lié à l’Europe, et les changements et propositions passent largement par l’Europe.
Grâce à une analyse des relations entre les catégories dans le logiciel Tropes, il est possible de caractériser les catégories employées dans les tweets, mais préciser également si elles sont des « actants », ou des « actés » (agent de l’action, patient/objet de l’action). Il ressort que les catégories « Macron » et « enmarche » sont des actants, alors qu’« Europe », « français », « nation », « projet », ou « travail », sont des actés.
La dimension dynamique engagée par le lexique, le nom du mouvement, se retrouve aussi dans la répartition des rôles dans le récit : le protagoniste (le candidat) ne subit pas l’action, mais est l’acteur des actions. On le voit dans les tweets suivants :
Je veux que la protection contre le chômage devienne une protection universelle. #MacronLille pic.twitter.com/nCvYBh8J8K
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 14 janvier 2017
ou :
Parce que je suis le candidat du travail, je veux simplifier les normes pour celles et ceux qui créent, qui entreprennent. #MacronLille pic.twitter.com/zzakHj9ZIl
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 14 janvier 2017
ou encore :
Je défends aujourd’hui une Europe de la souveraineté, une Europe qui unit les peuples. #MacronBerlin pic.twitter.com/HrvnhHjEDo
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 10 janvier 2017
On reconnaît linguistiquement une dimension active et volontariste de l’action politique.
Il est également notable qu’Emmanuel Macron aborde concrètement une pluralité de sujets dans la classe 4 repérée plus haut, que l’on pourrait considérer comme la catégorie programmatique, qui s’appuie sur les classes narratives autour de la France et de l’Europe.
La trame narrative
Le nuage de mots de cette catégorie est d’ailleurs probant :
Tout se passe comme si le candidat Macron :
- esquissait un décor qui motive de lui-même une certaine posture et certaines actions (la France et de manière plus générale d’Europe) ;
- occupait dans ce décor un rôle actif, qui constitue le moteur de l’action (avec des verbes et des substantifs qui renvoient à l’action, au changement, etc.) ;
- participait à des actions riches en interactants, et en actions générées par le fil narratif.
Alors que certains sondages créditent Emmanuel Macron d’intentions de vote assez conséquentes, et que certains commentateurs s’étonnent de cette « bulle » sondagière, il est intéressant de constater que ce candidat se démarque également par sa stratégie narrative, repérable même dans ses tweets : usage du « je » et du « nous », mise en scène d’un « décor » constitué par la France et l’Europe, utilisation d’éléments lexicaux comme autant de composants du récit constitué, rôle d’acteur vis-à-vis des sujets politiques qui sont des « actés ».
Il élabore en effet une communication narrative, qui met à profit différents ressorts utilisés aujourd’hui dans le storytelling. Cette forme narrative de communication entre, en outre, en adéquation avec des dimensions psychologiques et culturelles (familiarité des histoires, pouvoir de conviction par le recours à une forme d’intelligence narrative, projection et émotion), ce qui contribue à expliquer son succès actuel.
Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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