ÉTATS-UNIS

Donald Trump et le spectre de l’« impeachment »

mai 21, 2017 13:40, Last Updated: mai 21, 2017 13:41
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Alors qu’on venait à peine de célébrer les 100 premiers jours de Donald Trump à la Maison-Blanche, le voici empêtré dans une crise dont il se serait bien passé, depuis qu’il a limogé le directeur du FBI, James Comey.

La date du 9 mai est à retenir car Washington est sens dessus dessous et toutes les éventualités sont possibles pour l’issue de cette crise. Les démocrates reprochent au Président un accès d’autoritarisme et d’avoir voulu interférer sur les enquêtes en cours concernant les liens entre sa campagne et des intérêts russes. Lui se défend en expliquant que Comey n’était pas bon et qu’il convenait de changer un directeur aussi stratégique. La bataille a enflé avec une demande des démocrates pour la nomination d’un procureur indépendant ou « conseiller spécial », toujours dans le cadre de ces enquêtes si sensibles – ce qu’ils ont finalement obtenu en la personne de Robert Mueller.

Le Sénat transformé en tribunal

Depuis une semaine, il ne se passe donc pas une journée sans qu’il y ait une mise en cause du président des États-Unis et beaucoup y voient un remake du Watergate. Une question s’est alors imposée dans les médias : tout cela peut-il conduire à un impeachment ?

La procédure de mise en accusation, ou impeachment, du Président ou d’un autre officiel est prévue dans la Constitution américaine (article II, section 4) et comporte deux étapes : la Chambre des représentants doit d’abord voter pour l’impeachment, à la majorité simple et un procès est ensuite organisé devant le Sénat. Le vote de la Chambre correspond à la mise en accusation qui est prononcée en France, dans une affaire pénale, par un juge d’instruction. Comme le fait un juge, la Chambre prend sa décision après une enquête, un débat, puis un vote de tous les membres de cette assemblée.

Quant à l’étape du Sénat, il s’agit bien d’un véritable procès, comme celui qui a lieu dans une Cour de justice, avec un jury composé de 100 sénateurs, un procureur (l’accusation) composé de membres de la Chambre des représentants et un accusé qui se fait assister par l’avocat de son choix. Ce procès est présidé par le vice-président ou par le président de la Cour suprême quand la procédure concerne le président des États-Unis. Si la gravité des faits l’exige, le Président peut être mis en détention – ce qui signifie qu’il ne quittera plus le territoire, voire la ville –, mais il jouit alors d’un bureau (qui peut être le sien) et peut tout à fait travailler comme d’habitude et continuer à diriger le pays jusqu’à l’issue du procès. Pour condamner le Président et obtenir sa destitution, il faut obtenir que les deux tiers du Sénat se prononcent contre l’accusé.

En 1868, le précédent Johnson

Pour être condamné, la Constitution prévoit trois crimes : la trahison, la corruption ou « d’autres crimes et délits ». Le problème est que ces autres crimes et délits ne sont pas définis et que toute interprétation devient donc possible. Il appartient à la Chambre des représentants de décider à chaque fois si une infraction justifie une mise en accusation. C’est pourquoi on dit souvent que l’impeachment n’est pas uniquement une action légale, mais aussi une vraie arme politique. Toutefois, à ce jour en tout cas, les décisions ont toujours été mesurées et la définition couramment admise comprend les crimes de droit commun, l’abus de pouvoir et la violation de la confiance publique au sens le plus large.

Statue d’Andrew Johnson, à Raleigh (Caroline du Nord). PROOZinOH/Flickr, CC BY-NC

Le Président Johnson en a fait les frais en 1868. Il a été le premier visé par un impeachment. Pour replacer cet événement dans son contexte, il faut savoir que Johnson avait accédé au pouvoir dans les pires conditions, après l’assassinat d’Abraham Lincoln. Le Parti républicain s’était alors engagé en faveur de la reconnaissance des droits civiques pour les anciens esclaves, alors que cette terrible institution qu’est l’esclavage venait tout juste d’être abolie par le 13e amendement.

Johnson était un homme de dialogue et souhaitait tendre la main aux États du Sud, en évitant toute humiliation. Pour les sudistes, cela comprenait bien entendu l’abandon de cette loi sur les droits civiques, dans un but de pacification nationale. Mais les plus radicaux du Parti républicain ne l’ont pas accepté et le Congrès a adopté le 14e amendement, qui a donné aux noirs des droits élémentaires dans une démocratie en les mettant à égalité avec les autres citoyens, mais contre l’avis du Président.

Le climat est devenu électrique : lorsque Andrew Johnson a limogé son secrétaire à la Guerre (on voit bien le lien avec les événements actuels), cette décision a suffi pour lancer une procédure d’impeachment. Au total, la Chambre des représentants a trouvé onze chefs d’accusation et l’impeachment a été voté, ouvrant la voie à la deuxième étape, celle du procès devant le Sénat. Heureusement pour lui, Andrew Johnson a été acquitté. Mais il est passé à deux doigts de la destitution car son acquittement a été obtenu… à une voix près !

Nixon et le Watergate

Depuis cette affaire, la procédure de l’impeachment n’a été déclenchée qu’à deux reprises contre un président des États-Unis. Le deuxième cas d’impeachment pour un locataire de la Maison Blanche remonte aux années 70 : en 1974, dans l’épisode si célèbre du Watergate. Alors qu’un conseiller spécial, Archibald Cox, avait été chargé d’enquêter sur le cambriolage de l’immeuble du Watergate (le siège du Parti démocrate à l’époque) – un scandale qui a été révélé par deux journalistes du Washington Post –, Nixon a multiplié les gestes d’obstruction.

Il a surtout refusé ainsi de remettre à l’enquêteur des enregistrements, qui lui étaient pourtant demandé par une injonction judiciaire. Pire, il a demandé à Elliott Richardson, son ministre de la Justice, de renvoyer Cox. Richardson a alors démissionné de son poste, ainsi que son vice-ministre William Ruckelshaus, dans un épisode qui est entré dans l’histoire sous le nom de « Massacre du samedi soir » et qui a obligé Nixon à nommer un nouveau procureur spécial, Leon Jaworski.

L’enquête de Jaworski a finalement prouvé que Nixon s’était rendu coupable d’une entrave à la justice. La Chambre des représentants a alors ouvert une enquête et retenu trois chefs d’accusation. On a reproché au Président des financements irréguliers de campagne, un abus de pouvoir ou l’obstruction évidente à la justice. Mais Nixon a préféré démissionner, ce qui stoppé la procédure.

En 1970, Gerald Ford, qui était alors député, a proposé une nouvelle définition des crimes pouvant conduire à un impeachment par « n’importe quelle action que la majorité de la Chambre des représentants considère comme grave », consacrant ainsi le caractère politique de cette action.

L’affaire Monica Lewsinsky

Enfin, il y a un troisième cas, plus près de nous, dans lequel l’impeachment a été demandé. Il s’agit de l’affaire Lewinsky, qui a concerné Bill Clinton en 1999. Aucune tentative de faire pression sur qui que ce soit n’est à déplorer ici, ni même un abus de pouvoir : un procureur indépendant, Kenneth Starr, avait été nommé pour enquêter sur une affaire immobilière douteuse remontant au temps où il était gouverneur de l’Arkansas. Au fil de son enquête, ce procureur a, de lui-même (il en avait le droit), élargi son enquête à d’autres faits et a fini par mettre en évidence une relation extraconjugale du président avec une stagiaire de la Maison-Blanche.

Bill Clinton a choisi de nier les faits devant le procureur indépendant, ce qui revient à un parjure en justice. Dans le rapport remis par Starr à la Chambre des représentants, le Président Clinton a été accusé de parjure, d’obstruction à la justice, de subornation de témoins et d’abus de pouvoir. À la fin de l’année, la mise en accusation du Président a été votée et comprenait deux chefs d’inculpation : le parjure devant le grand jury et l’obstruction à la justice. Le procès au Sénat s’est ouvert et a débouché sur un acquittement de Bill Clinton en 1999 car la majorité des deux-tiers n’a pas été atteinte.

Qu’est-ce qu’un conseiller spécial ?

Les démocrates se félicitent de la nomination d’un conseiller spécial, à savoir un procureur indépendant chargé de l’enquête sur le volet russe des ennuis du président Trump. Les exemples de Richard Nixon et de Bill Clinton illustrent bien la fonction d’un procureur indépendant, chargé d’enquêter sans pression de quiconque et donc en toute indépendance. Il y a toutefois une vraie différence entre Archibald Cox et Kenneth Starr. Car si on se souvient que Kenneth Starr avait élargi à plusieurs reprises son champ d’investigation, ce n’était pas quelque chose qui était possible pour Archibald Cox. Ce dernier avait quant à lui des prérogatives très précises, limitées à une recherche très ciblée, définie par le ministre de la Justice. Surtout, son limogeage pouvait intervenir à tout moment, sur simple demande du président des États-Unis, comme cela a été le cas.

Fort des enseignements apportés par les difficultés rencontrées par Cox, le Congrès a adopté une loi élargissant considérablement les pouvoirs de ces procureurs indépendants. Il fallait tout d’abord qu’ils soient nommés par un panel de juges et protégés juridiquement contre tout limogeage. Cela a été fait dans le cadre d’une loi sur l’éthique gouvernementale, Ethics in Government Act de 1978, et renforcé par une décision de la Cour suprême en 1988.

Et cela a donné de bons résultats avec une première enquête menée par Lawrence Walsh dans l’affaire Iran-Contra, sous Reagan. Mais les parlementaires ont trouvé que Kenneth Starr était allé trop loin en fouillant sans aucune limite dans la vie privée du président Clinton et en l’exposant comme il l’a fait. Ils ont donc laissé la loi s’éteindre doucement en 1999. Une nouvelle loi a alors été votée, qui est beaucoup moins protectrice pour ces enquêteurs indépendants.

Janet Reno a été la première ministre de la Justice a se servir de ce nouveau dispositif législatif en nommant John Danforth, un ancien sénateur du Missouri, pour enquêter sur le raid conduit par la police contre le ranch de la secte des Davidiens, à Waco, en 1993. 76 personnes avaient alors été tuées dans l’assaut.

Robert Mueller (ici en 2013), nommé conseiller spécial pour enquêter sur l’affaire des liens entre l’équipe de Trump et la Russie. Saul Loeb/AFP

Le conseiller spécial qui vient d’être nommé par le procureur général adjoint Rod Rosenstein, Robert Mueller, est donc le deuxième nommé sous la nouvelle règle. Cette nomination a été faite contre l’avis du président Trump et du ministre de la Justice Jeff Sessions, qui n’en ont d’ailleurs pas été informé au préalable. Mueller se retrouve donc avec un statut équivalent à celui d’Archibald Cox : Donald Trump peut le renvoyer s’il le souhaite.

Encore faudra-t-il qu’il soit sûr que les conséquences ne seraient pas alors les mêmes que pour Richard Nixon.

La version originale de cet article a été publiée dans The Conversation.

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