Jean pour ses 10 ans est le plus heureux des enfants. Son papa et sa maman lui ont offert un drone volant. Il oublie le temps. Il pilote son jouet bien innocent.
Jolie petite histoire.
Le drone vole au-dessus du jardin, puis au-dessus de l’usine voisine et il s’introduit malencontreusement dans le pavillon des voisins.
Jean pour ses 30 ans est le plus triste des consultants. Il commence à croire que ce drone n’est pas banal, capable de traîner dans les endroits les plus insolites.
Ce drone n’est plus son rêve, c’est un cauchemar. Jean est inquiété pour plusieurs motifs.
- Au motif de la violation du droit à l’image
- Au motif de la violation du domicile
- Au motif de la violation du secret défense
Assisté de son avocat, Jean réalise que ce drone est bien plus qu’un jouet : c’est un outil numérique dont les actions sont soumises à des contraintes juridiques qui lui ont échappé pendant toutes ces années !
Au fait, un drone, c’est quoi ?
Un drone est un appareil volant sans pilote à bord, généralement dirigé à distance par un opérateur humain, avec un degré plus ou moins important d’autonomie. Les déclinaisons civiles du drone sont variées : sécurité des infrastructures, inspection de sites sensibles, loisirs, commerce, etc.
Les appareils peuvent embarquer de multiples équipements (caméras, appareils photo, capteurs sonores). Ces caméras de surveillance peuvent ainsi être utilisées en tant qu’outil de reconnaissance faciale ou d’identification de plaques d’immatriculation.
Un rapport de la NASA, paru en 2004, distinguait quatre catégories de « missions » des drones civils : (1) activité commerciale ; (2) sciences de la Terre (météorologie, géologie, etc.) ; (3) sécurité intérieure ; (4) aménagement du territoire.
Les États-Unis sont sur le point de leur ouvrir une partie de l’espace aérien (plus de 30 000 devraient y circuler en 2020). Le lobby du drone (notamment l’Association of Unmanned Vehicle Systems International (AUVSI)) a beaucoup oeuvré pour qu’ils soient autorisés à circuler. Un projet de la FAA (Federal Aviation Administration) prévoit pour assurer la sécurité de tous les citoyens américains la mise en œuvre de 7 500 drones d’ici quelques années. Dix-huit États se sont cependant prononcés en faveur d’une limitation des drones de surveillance afin d’éviter les abus.
L’utilisation des drones se démocratise et s’installe dans la secteur civil. Après de premières utilisations dans le domaine militaire, ils peuvent servir pour des missions de défense ou de surveillance. Développés à l’origine pour se substituer aux avions de combat et ainsi limiter les pertes humaines, ils se sont démocratisés lors de la guerre du Vietnam.
L’usage des drones
L’usage professionnel des drones (hors secteur militaire) concerne l’agriculture, la topographie ou encore le cinéma. Ils sont ici voués à obtenir des relevés précis (imagerie thermique, calcul de distance ou de volume) et à filmer des scènes sous différents angles, notamment des vues du ciel, ce qui rend les images spectaculaires.
On peut également s’en servir pour filmer des zones dangereuses comme Tchernobyl ou pour des missions de sauvetage (avalanche, noyade…)
Le drone domestique, quant à lui, prend son essor grâce à trois critères.
Il rappelle les voitures télécommandées de notre enfance et les courses effrénées qui en découlent. D’ailleurs les drones ont leurs championnats du monde et leurs stars. Casey Neistat, s’est ainsi fait tracter en snowboard par un drone déguisé en Père Noël dans une vidéo vue plus de 8 millions de fois. Le drone a d’ailleurs été le cadeau en vogue à Noël 2016.
Par ailleurs, ils permettent de filmer et rendent la photographie « professionnelle » plus accessible. Ils peuvent aussi vous suivre automatiquement et filmer votre vie – l’intérêt étant ensuite de partager ces moments sur vos réseaux sociaux.
Enfin, c’est l’utopie des voitures volantes du Cinquième élément de Luc Besson qui rend le drone si tendance. Amazon et La Poste se sont ainsi lancés dans la livraison automatique de colis par transport aérien.
Niveau prix, il faut compter au moins 400 euros pour un drone de bonne qualité. Mais on peut s’amuser avec des modèles « d’appartement » pour la modique somme de 12 à 25 euros.
Que dit le droit ?
L’augmentation de l’utilisation des drones aux États-Unis et en Europe soulève d’importantes interrogations quant au respect des libertés civiles et de la vie privée.
En France, la prise de vue aérienne est réglementée par l’article D. 133-10 du code de l’aviation civile. Un arrêté réglemente l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord (juillet 2012).
La captation et l’enregistrement d’images relatives aux personnes relèvent quant à elles de la loi 78-17 du 6 janvier 1978. En effet, en fonction des caractéristiques techniques de ces technologies, les images peuvent permettre de distinguer les traits du visage, la morphologie de la silhouette, les mouvements de la personne, mais aussi de lire des plaques d’immatriculation.
La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a amorcé une réflexion relative au cadre de régulation adapté afin d’accompagner l’innovation et le développement de nouveaux usages, tout en fixant les limites à ne pas franchir en termes de surveillance.
De leur côté, certaines associations américaines se montrent très actives sur le sujet, notamment l’EFF (Electronic Frontier Foundation) et sa Loi sur la Liberté de l’Information. Néanmoins, la réglementation semble encore insuffisante et l’utilisation de drones pourrait donner lieu à de nombreux abus. Le commerce des drones en France à usage civil est libre et cela devient un phénomène de société (vidéos sur Facebook, YouTube).
Droit à l’image
La captation et l’enregistrement d’images impliquant des personnes physiques relèvent de la loi 78-17 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Cette loi encadre la collecte et le traitement des données à caractère personnel, à savoir toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, y compris par la captation de son image, mais également de la plaque d’immatriculation de son véhicule par exemple.
Dès lors qu’un drone capte et fixe l’image d’une personne physique, on peut s’interroger sur le respect du droit à l’image. Le Code civil (article 9) et la jurisprudence précisent que toute personne a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion sans son autorisation. Mais l’obtention de ce consentement n’est généralement pas possible dans le cadre de la captation d’images sur la voie publique.
La libéralisation de la technologie contribue sans doute à son acceptation sociale. Le drone peut être assimilé à une forme de panoptique : Foucault (1975) développait les idées de Bentham en les appliquant à la société tout entière. Le panoptique induit une forme d’autocontrôle : « Celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ».
De possibles dérives
Alors que l’usage des drones civils se répand en France, certains élus proposent d’utiliser ces robots sur la voie publique, pour compléter le système de vidéosurveillance déjà existant : la caméra étant mobile, elle peut surveiller plusieurs zones. Les appareils sont d’ailleurs de plus en plus performants, certains étant capables de voler à 6000 m d’altitude et d’éviter les obstacles.
Il devient alors possible de collecter, stocker, transmettre ou analyser de nombreuses informations, et de surveiller les individus, ce qui soulève des questions politiques, philosophiques, juridiques et sociologiques.
L’arrivée d’Internet a été synonyme d’ouverture sur le monde, d’accès aux informations, de divertissement. Mais aussi de hacking, de pédopornographie, d’arnaques, et de deep web.
L’irruption de Facebook a été bénéfique en termes d’ancrage social et de rapidité des interactions. Mais pensons également au partage indû de photographies privées, au bad buzz, au narcissisme exacerbé, sans parler de la mort en live.
Jean devra donc se montrer plus prudent à l’avenir. Nous lui conseillons de regarder la petite vidéo suivante.
Romain Sohier, Enseignant-chercheur en Marketing – Laboratoire Métis, École de Management de Normandie et Caroline Diard, Enseignant-Chercheur en Management des Ressources Humaines – Laboratoire Métis, École de Management de Normandie
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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