Le sens des élections législatives a évolué au fil du temps. Jusqu’en 1962, elles constituaient l’élection reine du système politique français, dont découlait le pouvoir exécutif. Elles sont concurrencées depuis 1965 par l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, chacune de ces élections ayant son autonomie et son calendrier, tous les sept ans pour la présidentielle, tous les cinq ans pour les législatives.
Jusqu’en 1981, cette concurrence n’avait pas donné lieu à des cohabitations : chacune de ces élections amenait au pouvoir le même camp politique. Mais l’expérience de trois cohabitations (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) a conduit à chercher à les faire disparaître. Dans ce but, le mandat présidentiel a été réduit à cinq ans et le calendrier électoral a été agencé pour que les législatives viennent cinq ou six semaines après la présidentielle. C’est le cas depuis 2002. Avec ce calendrier, le président a de fortes chances d’avoir une majorité parlementaire, dans la dynamique de la première élection qui porte le camp du Président, presque toujours issu d’un grand parti de gouvernement.
Son électorat est mobilisé alors que ceux des oppositions, sous le coup de la défaite présidentielle, ressassent leur échec et règlent des comptes à l’intérieur de leur camp. Certains électeurs, modérément opposés au nouveau président, estiment néanmoins que l’élection fondamentale a eu lieu et qu’il faut laisser le président mettre en œuvre son programme.
Dès lors, les législatives ne semblent plus fonctionner que comme des élections de confirmation ; elles perdent pour beaucoup de citoyens une partie de leur intérêt – ce qui explique largement la montée des abstentions à ces élections : de 32 % au premier tour de 1997 à 42,8 % à celui de 2012.
Le poids des enjeux locaux et des personnalités
Les législatives des 11 et 18 juin 2017 vont-elles connaître l’habituel effet de dynamique présidentielle ? On pourrait en douter, a priori, parce que, pour la première fois depuis les réformes institutionnelles de 2002, le Président élu n’est pas soutenu par un grand parti de gouvernement mais par une force nouvelle, encore en construction.
Les élections législatives sont organisées dans le cadre de 577 circonscriptions. Du fait de l’évolution de sens de ces élections vers des élections de confirmation, la campagne nationale est réduite, il n’y pas de grand débat télévisé, les médias nationaux parlent actuellement surtout de possibles affaires visant un nouveau ministre, des divisions des partis de gouvernement traditionnels et d’une possible recomposition politique, mais peu des programmes.
Les législatives dépendent désormais beaucoup des enjeux locaux et du poids des personnalités en compétition dans chaque lieu. Des candidats dits de la société civile risquent souvent de ne pas être assez connus pour attirer les électeurs, sauf si la dynamique nationale présidentielle se révèle la plus forte.
Le nouveau Président aura-t-il une majorité parlementaire stable ? Ou le Président et le premier ministre devront-ils la trouver sur chaque projet avec une dose de compréhension de la part d’oppositions constructives ou de soutiens critiques ? Ou encore aurons-nous une cohabitation ? C’est tout l’enjeu de ces élections, très ouvertes.
La résistible féminisation des candidatures
Avec 7 882 candidats, presque autant qu’en 2002 (avec un chiffre record de 8 444 prétendants), il y aura 13,7 candidats par circonscription : 911 écologistes, 664 extrême gauche, 571 FN, 567 divers droite, 556 France insoumise, 480 Républicains, 461 LREM et 461 PCF, 388 Debout la France, 374 divers gauche, 182 extrême droite, 149 Régionalistes, 148 UDI, 76 Modem, 62 PRG.
La division de certaines familles politiques en plusieurs tendances conduit à multiplier les candidatures. C’est particulièrement le cas pour les écologistes et l’extrême gauche, familles très divisées mais nourries par un dynamisme militant prêt à s’investir dans des campagnes électorales.
L’afflux de vocations politiques en 2017 est dû pour partie au renouvellement du système partisan, avec des partis et des candidats nouveaux critiquant le « vieux monde ». Jouent aussi les règles sur le financement public de la vie politique. Reçoivent des subsides pour financer leur fonctionnement tous les partis qui ont obtenu au moins 1 % des suffrages dans 50 circonscriptions. Ce seuil bas favorise la présentation de nombreux candidats.
Ces derniers sont à 42 % des femmes, contre 39 % en 2002, 41,6 % en 2007, 40 % en 2012. La féminisation des candidatures ne progresse pratiquement pas. Le PS et Les Républicains ont un taux de féminisation assez faible – comparé à celui des petits partis ou de LREM – parce qu’ils ont de nombreux députés sortants – souvent des hommes – et qu’il est toujours difficile de ne pas réinvestir un sortant bien implanté. Rappelons aussi que les femmes étant jusque-là souvent investies dans les circonscriptions difficiles à gagner pour leur parti, elles sont très sous-représentées à l’assemblée : il n’y avait que 27 % de femmes dans l’Assemblée élue en 2012.
Une dynamique présidentielle en marche
Pour l’instant, une dynamique présidentielle semble se manifester depuis le 7 mai :
- Emmanuel Macron a nommé un premier ministre issu de la droite, ce qui contribue à la diviser ;
- la gauche est complètement éclatée ;
- les sondages indiquent cette dynamique : les intentions de vote législatif en faveur de La République en marche sont en progression depuis le 7 mai. Aujourd’hui, les instituts enregistrent en sa faveur environ 29-31 % des intentions pour le 1er tour, beaucoup plus que pour les autres partis : LR/UDI autour de 20-23, FN autour de 17-19 %, France insoumise à 12-15 et PS/EELV à 9-12 %. Une telle répartition des suffrages peut donner une majorité absolue de députés LREM comme l’annoncent certains instituts de sondage, mais tout reste ouvert.
Notons encore que les premiers sondages faits en mai 2017 ont été réalisés sans connaître les noms des candidats dans chaque circonscription. On peut depuis le début de la campagne officielle poser une question plus précise d’intention de vote, avec non seulement la liste nationale des partis mais aussi celle des candidats de la circonscription. Cela ne semble pas avoir beaucoup fait varier les sondages, indiquant une tendance à voter davantage selon la ligne politique des candidats que de leur notoriété ou personnalité.
Au moment du second tour de la présidentielle, 61 % disaient ne pas souhaiter que le Président dispose d’une majorité absolue de députés à l’issue des législatives. Ce qui signifie que les Français étaient nombreux à ne pas vouloir donner au même homme tous les pouvoirs. Cela ne présageait pas du vote des individus qui peuvent à la fois ne pas vouloir une majorité absolue pour le Président et voter pour un candidat de La République en marche.
Des suffrages exprimés au résultat en sièges, une alchimie très difficile à prévoir
Si les intentions de vote sont mesurables, le résultat en sièges qui concerne l’essentiel – la composition politique de l’Assemblée – reste très imprévisible car la plupart des sièges sont attribués au second tour. Pour se maintenir, il faut avoir obtenu au moins 12,5 % des inscrits, soit souvent plus de 20 % des suffrages exprimés, du fait d’abstention très haute ces dernières années. D’où l’importance de la participation électorale. Si celle-ci est très forte le 11 juin, il pourra y avoir davantage de triangulaires, voire quelques quadrangulaires au second tour.
Pour 2017, on ne sait pas très bien si les législatives seront, ou non, mobilisatrices. Dans les sondages, l’intérêt pour les législatives semble décliner depuis le 7 mai (selon le sondage légitrack d’Opinionway). Tout se passe comme si la fièvre présidentielle retombait alors que la campagne législative se déroule de plus en plus dans les circonscriptions.
Outre la possibilité ou non de se maintenir au tour décisif, le résultat final dépendra beaucoup des reports de voix entre forces politiques, du fait de l’atomisation du corps électoral. Notre mode de scrutin majoritaire à deux tours favorise non seulement la ou les forces politiques les plus importantes mais aussi celles qui bénéficient d’accords de désistement. L’isolement du FN et de La France insoumise limitera beaucoup le nombre de députés que ces deux forces pourront faire élire.
Renouvellement à tous les étages
On doit s’attendre à beaucoup de renouvellement dans l’assemblée puisqu’environ 215 députés sortants ne se représentent pas, pour des motifs variés :
- certains se sentent trop vieux et/ou pensent avoir fait trop de mandats successifs ;
- d’autres sont atteints par la loi sur le non-cumul ;
- d’autres encore, bien que jeunes, se disent déçus par leur mandat ;
- enfin, certains jugent qu’ils n’ont que peu de chances d’être réélus dans la conjoncture du moment.
Les sortants qui sont obligés d’abandonner un mandat en raison de la nouvelle loi sur le non-cumul – elle interdit d’être député et en même temps maire, adjoint au maire, président ou vice-président d’une intercommunalité, d’un département ou d’une région – renoncent souvent à leur mandat de député au profit de celui de maire ou de responsable d’exécutif, jugés plus intéressants et gratifiants.
La politique du gouvernement et ses effets électoraux
Normalement, pendant le mois de gouvernement « intérimaire » – après la présidentielle et avant l’élection de l’Assemblée –, le pouvoir met en avant dans les médias des thématiques qui peuvent rapporter des voix. C’est le cas d’une loi sur la moralisation de la vie politique, c’est aussi le cas avec une préparation de la rentrée scolaire avec des classes de CP et CE1 à 12 dans les zones difficiles.
Le Président a aussi utilisé au service de sa communication politique et de la campagne législative ses interventions diplomatiques : il a cherché à montrer son activisme sur tous les grands dossiers internationaux pour conforter son image de leader mondial, doté d’une autorité forte dans le concert des nations, qu’il s’agisse de la construction européenne, des relations avec les États-Unis et la Russie, ou de l’accord de Paris sur le climat.
Par contre, le lancement des escarmouches sur une ordonnance de dérégulation du contrat de travail est à haut risque. De même qu’une augmentation annoncée de 1,7 point de CSG (sauf pour les petits revenus) pour diminuer les cotisations sociales sur les emplois.
Rappelons le précédent de l’entre-deux-tours législatif de 2007 où le premier ministre, François Fillon, et son ministre de l’Économie, Jean‑Louis Borloo, laissaient entendre que le gouvernement pourrait augmenter la TVA (François Fillon évoquait même une augmentation de 5 points) pour faire baisser les charges sociales qui pèsent sur les emplois. La droite avait quand même gagné la majorité absolue, mais celle-ci ne fut pas aussi forte qu’espéré au soir du premier tour.
Une dynamique présidentielle semble donc se manifester actuellement et pouvoir déboucher sur une majorité – absolue ou relative – pour gouverner. Mais beaucoup d’éléments peuvent encore intervenir, susceptibles de modifier le résultat.
Pierre Bréchon, professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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