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E-commerce : le fléau des fake-reviews

janvier 8, 2018 21:08, Last Updated: avril 13, 2019 16:08
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Les « fake-news » sont régulièrement sous les feux de la rampe, entre autres « grâce » à Donald Trump qui en aura fait le buzzword 2017 et au projet de loi annoncé par le président Macron. A contrario, les « fake-reviews », les faux commentaires en ligne ou les faux avis de consommateurs, jouissent d’une notoriété moindre auprès du grand public, tout en présentant « dans l’esprit » une certaine analogie.

« Fake-news » vs « fake-reviews »

Que cela soit sur les forums, les sites marchands, les plateformes, les consultations en ligne, les commentaires malhonnêtes se multiplient. Positifs ou négatifs, ils poursuivent des objectifs qui peuvent être distincts : pour certains individus, cela peut être pour le seul plaisir de déverser leur fiel gratuitement. Pour des professionnels, des « fake-reviews » peuvent viser à discréditer la concurrence, ou au contraire à vanter les mérites de leur propre entreprise, de leurs services, de leurs produits : n’est-on pas « jamais mieux servi que par soi-même » ? Les deux dernières situations soulignent une forme de professionnalisation des « faux commentaires » à des fins strictement mercantiles.

Si tous les secteurs d’activités peuvent être concernés, ceux de l’hôtellerie, les organismes de formation, et les services entre particuliers seraient les plus actifs dans cette pratique déloyale d’autovalorisation.

Méfiance… ! (smallbusinessplanned.com)

Un phénomène ni marginal ni sans effets

Si ce phénomène est quantitativement important et a un impact sur la vente de produit et de services, ses capacités de nuisances ne s’arrêtent pas là. Tout le monde a en mémoire les polémiques et les débats sur les « fake-news » lors des élections américaines. Il faut savoir que les « fake-reviews » sont tout aussi calamiteuses. Elles peuvent dénaturer des consultations en ligne supposées recueillir l’avis des populations. Vous apprendrez peut-être en lisant cet article que ce sont des « fake-reviews » qui ont eu des conséquences inattendues sur notre sujet : l’e-commerce !

Dans le cadre d’une consultation publique sur la neutralité du Net aux États-Unis à laquelle la FFC (Federal Communications Commission) a avancé le chiffre de 22 millions d’internautes ayant participé sur son site. Une étude réalisée sur des millions de commentaires en octobre 2017 par la société Gravwell (entreprise spécialisée dans l’analyse de données) révélait que seulement 17,4 % des commentaires émanaient de vrais usagers.

Il apparaît peu surprenant, devant de telles révélations, qu’en novembre 2017 le procureur de New York, (estimant que la consultation publique lancée par la FFC avait pu être intentionnellement biaisée) ait annoncé que son bureau allait mener une enquête. C’est tout à son honneur. Malheureusement, en attendant que cette enquête aboutisse éventuellement, une chose est devenue certaine : le jeudi 14 décembre 2017, les États-Unis abrogeaient la neutralité du net, un principe fondateur du net.

Pour un débat supposé public, transparent et démocratique, que dire ? Pas de commentaire ! Ces « fake-reviews » auront ici soutenu une abrogation qui pourra avoir des conséquences importantes en matière économique (libre concurrence et régulation des acteurs dominants du marché) : un vaste chantier en perspective pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) !

Pour revenir au « fake-reviews » concernant des produits et à des services, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) œuvre déjà depuis 2010 à recenser et agir contre les pratiques discutables.

Selon sa dernière enquête intitulée « Les faux avis de consommateurs sur les plateformes numériques ». publiée le 17 novembre 2017, 35 % des avis clients en ligne n’étaient pas conformes aux règles d’information du consommateur. Quand on sait que 80 % des acheteurs en ligne tiennent compte des avis sur le Net selon une étude réalisée par Nielsen, le problème est à prendre très au sérieux ; dans un souci de suivi du phénomène, cette enquête devrait d’ailleurs être reconduite en 2018.

Où trouver de l’aide pour repérer les faux ?

www.revinate.com

Lutter contre les « faux commentaires »… Un effet d’annonce ?

Crier au loup est une chose, et le loup est bien là. Mais alors comment être en mesure, sans pour autant être un spécialiste, de trier le grain de l’ivraie ? Voilà une question légitime et à laquelle des réponses doivent être apportées. Outre la reconduite de l’enquête évoquée qui montre la détermination de la DGCCRF dans ce combat, dès le 22 novembre 2017, le site de la DGCCRF a mis en ligne une vidéo intitulée « Avis consommateur : attention aux faux commentaires sur Internet ». La DGCCRF tout en annonçant également le renforcement imminent du cadre légal. Ce renforcement est une réalité depuis ce 1ᵉʳ janvier 2018. Ce 1er janvier 2018, le décret n°2017-1436 visant à préciser le terme d’« avis en ligne » qui avait été publié le jeudi 5 octobre 2017 au Journal officiel est entré en vigueur. Indéniablement, une approche pédagogique formant les usagers à une plus grande vigilance est pertinente.

Nous pouvons raisonnablement émettre l’hypothèse qu’infléchir progressivement l’influence des « fake-reviews » avec des utilisateurs formés, informés et moins dupes aura pour effet à moyen terme de décourager les praticiens de la chose s’ils n’en tirent plus profit. La pédagogie sera probablement plus efficace que la loi.

Par le passé, des initiatives législatives analogues ont visé à sanctionner les pratiques considérées comme « déviantes » : Ce fut le cas de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet HADOPI. Dans son dernier rapport cette dernière indique qu’entre décembre 2011 et le 31 octobre 2017, 2 146 procédures avaient été transmises à l’autorité judiciaire. Il s’en suivra 583 réponses pénales, dont 189 condamnations. D’autres chiffres donnent à réfléchir :

« Le gendarme du Net, qui mise sur la prévention, a envoyé plus de 7,5 millions de “premières recommandations” aux internautes fraudeurs entre 2010 et 2016. [NDLA : durant cette période.] Seuls 72 ont finalement été condamnés ».

Je laisse au lecteur le soin de se faire sa propre opinion sur l’efficacité de l’approche.

Voilà pourquoi, à considérer les bénéfices escomptés au regard des risques encourus (rappelons qu’en 2016, six entreprises ont été condamnées pour pratiques commerciales trompeuses) je ne m’attends guère à une soudaine autodiscipline des coutumiers de cette pratique déloyale. Par contre, pour ce qui est du filtrage des commentaires afin de limiter la propagation des faux avis, l’approche d’Amazon (un exemple parmi les exemples, du fait de son histoire) montre les avancées qui peuvent être faites dans ce domaine : l’entreprise avait déjà limité en 2016 à cinq le nombre de commentaires par semaine qu’un utilisateur pouvait publier sans faire vérifier ses achats. Pour ce qui est de l’achat vérifié, il constitue un frein aux « faux commentaires » et se veut garant de véracité. Quand bien même il peut être contourné par des entreprises peu scrupuleuses * ce serait faire preuve de mauvaise foi que de considérer ce garde-fou comme une avancée « gadget ».

(*La méthodologie est simple : il suffit pour une entreprise d’acheter ou de faire acheter par le fabricant le produit sur Amazon. Une fois l’achat certifié, elle pourra procéder à une grandiloquente évaluation et d’élogieux commentaires.)

Cela ne veut pas dire qu’il faut se décourager. De nouveaux garde-fous seront inventés par les sites les plus exposés. Ces garde-fous finiront, probablement eux aussi par être contournés. À cela, rien de préoccupant, c’est ainsi que progresse Internet depuis toujours. C’est de cette façon que, pas à pas, « gruger » deviendra de plus en plus complexe*. (*tout du moins pour les sites soucieux de leur e-reputation et de l’importance de la qualité des commentaires clients qu’ils affichent)

Identifier les faux commentaires

Enquête du site The Hustle sur les faux avis sur Amazon en 2015. (The Hustle)

Dans la situation actuelle, les entreprises peuvent encore progresser. Cela ne signifie pas que l’usager soit exempt de sa part de responsabilité. Il est utile qu’il apprenne de son côté à distinguer le vrai du faux.

Pour les produits de la plateforme Amazon, Enrique Moreira propose ainsi six conseils pour identifier un faux commentaire, il précise que l’usager peut également recourir à des sites dédiés qui se sont emparés de ce phénomène pour l’aider à y voir clair :

« Avec le développement des avis frauduleux, des sites spécialisés dans l’analyse des sites de vente en ligne ont mis en place des outils pour aider les utilisateurs à s’y repérer. C’est le cas de « ReviewMeta » ou encore Fakespot. Il vous suffit de copier le lien du produit dans l’espace prévu à cet effet et un algorithme analyse l’ensemble des commentaires qui y sont liés. Il fait alors ressortir les commentaires les plus fiables et ceux qu’il vaut mieux éviter. Encore une fois, la machine n’est pas infaillible, mais elle peut, dans ce cas précis, aider un peu à défricher le vrai du faux. »

Un peu de bon sens

Dispositif de veille d’usagers de Trip Advisor contre les avis frauduleux des hôtels. (Trip Advisor, CC BY-NC-ND)

Internet est plus jeune qu’il n’y paraît. Il évolue continuellement avec les pratiques bonnes et mauvaises qui accompagnent son évolution. Chaque jour Internet apportent de nouveaux défis à relever tant par les entreprises que par les utilisateurs. De nombreuses pistes restent à explorer pour lutter contre les « fake-reviews ». Des pistes autres qu’une énième loi et/ou organismes dédiés, qui, si l’on s’en réfère aux expériences passées posent questionnement et apparaissent moins efficace que la pédagogie. Pourquoi, par exemple, les entreprises concernées n’intégreraient-elles pas sur leur propre site les outils du type de ceux développés par « ReviewMeta » ou « Fakespot » ? Ces outils seraient à même d’assister les modérateurs dans leur tâche difficile, de crédibiliser la plateforme, de décourager les falsificateurs. C’est là, une piste parmi d’autres.

C’est donc aussi à nous, usagers, de faire preuve de bon sens. Dans le doute, il ne faut pas hésiter à recourir à ces outils. De cultiver un bon sens de paysan du net. Il n’y pas de honte à se comporter comme un « Saint Thomas » des commentaires postés sur Internet. Alors seulement, une fois la fiabilité des commentaires dûment testée, se fier alors ce que l’on voit.

« La maison du menteur prit feu, mais personne ne le crut ».

Proverbe persan

Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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