On a déjà pardonné à l’ancien ministre des Affaires Étrangères Hubert Védrine, au Directeur de l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) Pascal Boniface, à tous les autres penseurs de la géopolitique, de droite comme de gauche, qui affirmaient sur les plateaux et les réseaux qu’une invasion de l’Ukraine ne pouvait avoir lieu. Ils étaient rares, ceux qui reconnaissaient leur incapacité à anticiper les décisions du Kremlin. La conviction que la diplomatie et la négociation ramèneraient le calme était, alors, étayée par la réputation de « pragmatisme » de Vladimir Poutine ; les États-Unis s’agitaient à tort, disait-on partout, quand on ne les accusait pas simplement de propagande anti-russe.
Tandis que pleuvent aujourd’hui les bombes sur le territoire ukrainien, les mêmes experts distillent leurs nouvelles analyses, leurs convictions sur la façon dont le conflit doit être géré du côté européen. Ils détaillent « l’erreur » de Poutine et ce que seront, d’après eux, ses conséquences à court, moyen, long-terme.
L’ensemble des médias dits mainstream qui, comme à peu près tout le monde, n’avaient à peu près rien compris, manie maintenant la critique sélective sur les erreurs d’analyse de la situation : Éric Zemmour et Marine Le Pen sont vivement pointés du doigt pour avoir trop cru que la guerre n’aurait pas lieu, mais personne n’entame une analyse de l’échec des efforts diplomatiques menés en première ligne par le président Emmanuel Macron. Celui-ci, malgré une activité intense, a été « promené » plusieurs semaines par Vladimir Poutine. En dessous du Président, les experts (non militaires) qui ont longtemps cherché à convaincre que le pragmatique et intelligent Poutine « ne ferait jamais ça » (mener une invasion) le traitent maintenant de fou et le comparent à Hitler. Le dirigeant russe devient ce qu’on veut qu’il soit, fonction du sens du vent et pour autant que cela ne force pas à une lecture inconfortable des événements.
Cette conviction que « Poutine ne ferait jamais ça », qui a endormi les Européens, résume pourtant tout : nos intellectuels ont tenté – et tentent encore – de projeter leur propre rationalité, leurs propres schémas stratégiques, leur propre vision de l’histoire comme modèle de l’activité cérébrale de Vladimir Poutine. Cette croyance en une logique comparable à celle des Européens a été portée au point que, le 7 février, aucun grand média n’a jugé utile de relayer un moment essentiel de la conférence de presse d’Emmanuel Macron et Vladimir Poutine : interrogé par RFI, ce dernier rappelait posséder l’arme nucléaire, et demandait aux journalistes de bien le faire savoir au peuple européen : « Vous n’aurez même pas le temps de réagir » précisait-il.
Aujourd’hui encore, l’hypothèse d’un cessez-le feu en Ukraine, une fois la ville de Kiev prise, suit une logique européenne. Elle répond au souhait des gouvernements européens de retrouver au plus vite une normalité pour que le confort des peuples occidentaux ne soit pas affecté, pour que la stabilité revienne. La fantaisie du « Poutine ne ferait jamais ça » continue chez tous ceux qui supposent que le dirigeant russe n’ira en aucun cas plus loin que l’Ukraine.
Cette logique vaudrait si Vladimir Poutine était Européen, craignait la guerre, les hausses des cours des matières premières, s’il voyait dans la déstabilisation de l’ordre mondial un risque plus qu’une opportunité. Mais Poutine, peut-être, ne pense pas ainsi. Les États-Unis sous présidence Biden sont faibles, l’Europe l’est déjà depuis longtemps. Les réactions « compréhensives » du régime communiste chinois montrent de plus que le dirigeant russe ne restera pas longtemps isolé. Certains experts militaires supposent une planification de beaucoup plus long terme par le pouvoir russe : la destruction en novembre 2021 par la Russie d’un de ses anciens satellites, et la mise en danger par son nuage de débris des satellites américains, pourrait avoir été pensée comme un futur outil pour briser les capacités de communication américaine lors d’un conflit d’ampleur. Il est aussi possible que Poutine ait, avec le régime communiste chinois, déjà planifié l’invasion de l’Ukraine comme la première étape d’une recomposition mondiale et la formation d’un grand bloc Russie-Chine. Si la guerre en Ukraine grandit et diffuse sur l’Est de l’Europe, qui empêcherait Pékin de saisir l’occasion pour envahir Taïwan puisque les forces militaires de l’OTAN seront déjà mobilisées ailleurs ?
L’intelligentsia européenne projette malheureusement toujours sur le monde son désir d’une vie de salon. Dans son souhait de maintenir le calme et le confort, elle analyse le monde comme si le calme et le confort étaient une ambition partagée par les puissances émergentes ou les anciens empires. C’est ainsi qu’elle a laissé grandir le monstre chinois et qu’elle a cru pouvoir mépriser les aspirations russes à ne pas être encerclé par l’alliance atlantique. Mais nous ne vivons plus dans ce monde. Si Vladimir Poutine est bien le pragmatique que tout le monde décrit, il a dû voir que la force morale et le courage politique ont abandonné l’Europe. Il vaut bien mieux alors pour lui devenir provisoirement l’homme de main du régime communiste chinois pour construire un nouvel ordre dans lequel Russie et Chine, empires voisins, émietteront patiemment l’Occident. Jusqu’à ce que la guerre arrive dans Paris, nos chats de salon ronronneront cependant toujours que « Poutine ne ferait jamais ça » ou bien que « Xi Jinping ne ferait jamais ça. »
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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