Élections en Algérie : « Le système s’est mis d’accord sur la gestion de l’immobilisme », selon Xavier Driencourt

Par Julian Herrero
23 août 2024 17:45 Mis à jour: 23 août 2024 17:45

ENTRETIEN – Xavier Driencourt est diplomate, ambassadeur de France en Algérie à deux reprises (2008-2012 et 2017-2020). Il est l’auteur de « L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger » (l’Observatoire, 2022) et a publié pour la Fondapol en 2023, Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968. Pour Epoch Times, il livre son regard sur les élections présidentielles à venir en Algérie et les relations diplomatiques entre Paris et Alger.

Epoch Times – Les élections présidentielles en Algérie vont avoir lieu le 7 septembre prochain. Le président sortant Abdelmadjid Tebboune, le chef du Front des forces socialistes (FFS) Youcef Aouchiche et le président du principal parti islamiste, le Mouvement de la société pour la paix Abdelaali Hassani Cherif sont les trois candidats en lice. Qu’est-ce qui différencie les candidats en matière de programme ? Quels sont les enjeux de ces élections ?

Je crois qu’il faut rappeler que les élections en Algérie sont en réalité une formalité. L’essentiel, pour le candidat, est d’être adoubé et sélectionné par l’armée, ce qui a été le cas de Bouteflika pendant de nombreuses années, mais aussi de son prédécesseur Chadli Bendjedid, et de l’actuel président Abdelmadjid Tebboune.

La présence d’autres candidats n’est qu’un paravent démocratique. Dans le système algérien, on les appelle les « lièvres ». Ils sont des faire-valoir. Ils savent que l’élection est jouée d’avance, mais ils sont admis par le système politique à concourir et à se présenter aux élections et à servir de candidats de faire-valoir.

D’ailleurs, le seul chiffre qui compte lors de ces élections n’est pas le résultat, mais le taux de participation qui avoisine généralement les 30 %. Bien sûr, on le maquille en 70 ou 75 %. Dans certaines régions comme la Kabylie, le taux de participation était en 2019, lors de l’élection de Tebboune de l’ordre de 1 %.

Que signifierait pour l’Algérie, mais aussi pour la France la réélection du président sortant ?

Pour l’Algérie, la réélection de Tebboune serait simplement la continuité du précédent mandat. Le système s’est mis d’accord sur la continuité, c’est-à-dire la gestion de l’immobilisme. J’insiste sur ce point. L’immobilisme caractérise le pouvoir algérien. Nous l’avons vu pendant les 20 ans de mandats de Bouteflika et ces cinq dernières années avec Tebboune avec une répression particulièrement forte contre les journalistes et les gens qui publient des contenus hostiles au régime en place sur les réseaux sociaux.

Concernant la France, elle va devoir faire avec. Le président sortant n’est pas l’idéal, mais Emmanuel Macron est habitué à l’avoir en tant qu’interlocuteur depuis son élection en 2019.

Nous retrouverons toujours les mêmes problèmes : Sahel, Maroc, Libye, immigration,, questions mémorielle etc..

À la fin du mois de juillet, la France a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en décidant de soutenir le plan d’autonomie marocain, provoquant la colère de l’Algérie qui a rappelé son ambassadeur à Paris. Comment analysez-vous cette décision d’Emmanuel Macron ?

Il y a, de mon point de vue, deux raisons qui expliquent cette décision. D’abord, le président de la République a fini par comprendre que les gentillesses qu’il a faites à l’Algérie depuis 2017 n’ont servi à rien. Il a compris ce que je dis régulièrement, c’est-à-dire, qu’il n’obtiendrait rien du côté algérien, ni sur le plan des relations politiques en général, la gestion des OQTF, ni sur ce qu’on appelle le mémoriel. L’Algérie n’a jamais renvoyé l’ascenseur aux différents gestes de la France.

Deuxièmement, nous étions brouillés depuis 2018 avec le Maroc, et Rabat avait mis comme condition de retour à de bonnes relations diplomatiques avec Paris, la reconnaissance du Sahara marocain, de la marocanité du Sahara occidental. Et le gouvernement français a pesé le pour et le contre et a considéré qu’il y avait plus à obtenir du côté marocain que du côté algérien. C’est aussi simple que cela.

Il est donc impossible pour Paris de s’entendre à la fois avec Rabat et Alger ?

Non, ce n’est pas impossible. On a réussi pendant de nombreuses années à entretenir de bonnes relations à la fois avec le Maroc et l’Algérie.

Jacques Chirac était très proche des rois Hassan II et Mohammed VI, mais aussi du président Bouteflika. Il y avait une sorte de complicité entre les deux ex-chefs d’État. Jacques Chirac s’est rendu trois fois en Algérie durant ses mandats. C’est sous Jacques Chirac que Bouteflika s’est déplacé en France dans le cadre d’une visite d’État.

Donc, non, ce n’est pas impossible, mais depuis 2017 on s’y est mal pris du début à la fin.

Les sujets de politique migratoire sont également source de tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie. L’aile droite de la macronie, la droite et le RN le dénoncent l’accord du 27 décembre 1968 qui facilite l’entrée de ressortissants algériens sur le territoire français. Quel regard portez-vous sur cet accord ?

J’ai écrit une note sur le sujet pour la Fondapol qui est sortie en mai 2023. Je crois que le regard que j’ai sur cet accord est partagé par tous les hommes politiques, d’Éric Zemmour au Rassemblement national, en passant par Éric Ciotti, Manuel Valls ou Édouard Philippe.

Beaucoup de personnalités politiques ont découvert le caractère exorbitant de cet accord qui a été conclu entre Paris et Alger parce que les accords d’Évian de 1962 prévoyaient un régime de libre circulation entre les deux rives de la Méditerranée. À l’époque, les négociateurs français à Évian pensaient que les « Pieds-noirs » resteraient en Algérie et qu’il fallait qu’ils puissent venir en France sans difficulté particulière et librement.

Après l’indépendance, il y a eu le retour massif des Pieds-noirs et la liberté de circulation ne concernait finalement plus que les ressortissants algériens. C’est pour cette raison qu’il y a eu un régime transitoire entre 1962 et 1968, et qu’en 1968, la France a négocié un nouvel accord avec l’Algérie, qui d’une part, ne rétablit pas la liberté de circulation prévue par les accords d’Évian, mais qui d’autre part, donne à l’Algérie un régime plus favorable qu’aux autres pays, notamment le Maroc, la Tunisie et les pays d’Afrique noire. C’est un régime qui octroie beaucoup de privilèges aux Algériens sur le regroupement familial, les titres de séjour, les étudiants, les visas de circulation en contrepartie de l’abandon de la liberté de circulation qui avait été fixée en 1962.

Vous avez été en poste à Alger de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020, comment qualifieriez-vous les relations actuelles entre les deux pays ?

Elles sont d’abord toujours compliquées, pleines de sous-entendus et sinusoïdales. Il y a des périodes haussières et des périodes baissières. Depuis 1962, nous n’avons pas réussi à avoir une relation linéaire et stable. Les relations franco-algériennes ont toujours été marquées par des périodes de crises et de semblants d’amitié.

Que faudrait-il faire pour que les relations entre Paris et Alger s’apaisent ?

Il faudrait d’abord que du côté algérien, on le veuille et que le pouvoir ait une légitimité issue du suffrage universel, ce qui n’est pas le cas. La seule source de légitimité du pouvoir en place, c’est le discours anti-français. À partir de là, Alger n’a pas intérêt à avoir une relation cordiale et amicale avec la France puisque il tient justement sa légitimité de sa détestation de la France !

Je crois également qu’il nous faut établir un rapport de force avec Alger, c’est-à-dire ne pas céder en permanence au gouvernement de Tebboune, comme on a tendance à le faire parce que l’Algérie, c’est de la politique intérieure française et les gouvernements français, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont été très prudents à chaque fois qu’il s’agissait de l’Algérie.

La France est actuellement en proie à une situation de blocage parlementaire. Emmanuel Macron devrait nommer d’ici quelques jours un nouveau Premier ministre. L’Algérie surveille-t-elle de près la composition du futur gouvernement français ?

Oui, bien sûr. Ce qu’il se passe en Algérie concerne les affaires intérieures françaises, mais l’inverse est également vrai, c’est-à-dire que beaucoup d’Algériens ont de la famille, un frère, un oncle, un cousin en France. Et pendant les élections législatives, le recteur de la mosquée de Paris est intervenu dans le débat politique français en recommandant de faire le bon choix, autrement dit ne pas voter pour le Rassemblement national. Ils ont eu très peur de l’arrivée au pouvoir du RN. Ils sont donc très attentifs à l’évolution de la situation politique en France.

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