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Elections en Inde : un gouvernement fort et une opposition forte sont essentiels à l’équilibre de la démocratie

Selon des analystes des élections, l'Inde doit élire une majorité forte. Mais il est tout aussi important pour cette jeune démocratie de développer une solide culture de l'opposition.
mai 3, 2024 3:54, Last Updated: mai 3, 2024 3:54
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NEW DELHI – Près d’un milliard d’Indiens se rendront aux urnes pour élire le 18e parlement du pays. Le scrutin relatif aux 543 sièges au sein du Lok Sabha, la chambre basse du parlement indien, se déroule en sept phases, du 19 avril au 1er juin. Le nouveau parti au pouvoir sera proclamé le 4 juin. Cet événement majeur pour la démocratie électorale, le plus grand de son genre dans l’histoire de l’humanité, compte tenu de l’énorme population en âge de voter en Inde, marque également un temps de réflexion pour les observateurs et les leaders d’opinion en matière de démocratie – ceux qui tentent de rester à distance de cette bataille d’émotions intense généralement provoquée par les élections en Inde.

Ils analysent les campagnes électorales, observent les comportements politiques, suivent l’évolution de l’opinion publique et tiennent à jour une liste de messages à la fois forts et discrets lancés depuis les lieux des élections, tout en se demandant où et comment la croissance institutionnelle indienne est possible. Toute analyse exhaustive d’une démographie aussi vaste est difficile, car la communauté des analystes examine comment l’Inde émergente continuera à surmonter les défis auxquels sa démocratie est confrontée, tout en continuant à faire évoluer ses objectifs.

Dans le système parlementaire indien, les membres de la chambre haute, le Rayja Sabha, sont choisis par les membres des assemblées législatives des États. Les membres de la chambre basse, le Lok Sabha, plus grande et plus puissante, sont élus au suffrage universel des citoyens adultes.

Les élections au Lok Sabha revêtent donc une grande importance. Le parti qui obtient la majorité au Lok Sabha forme un gouvernement : son chef devient premier ministre et nomme les différents ministres. Si un parti n’obtient pas une majorité significative, une coalition de partis peut être appelée à former le gouvernement.

Les analystes indiens et étrangers qui se sont entretenus avec Epoch Times estiment que l’Inde a besoin d’un gouvernement fort à sa tête, et qu’un parti qui obtiendrait la majorité des sièges au parlement y parviendrait. Le gouvernement sera d’autant plus fort que la majorité sera importante.

Cependant, ils affirment qu’il sera vital de développer une culture de l’opposition forte, alors que l’Inde débat des amendements constitutionnels, de son empreinte mondiale, de l’instabilité de ses frontières et d’autres réformes politiques qui auront un impact sur sa stabilité interne et sa montée en puissance dans le monde. Une opposition saine apportera une profondeur politique compétitive, une orientation vers l’action et des options de leadership qui s’engagent dans des débats constructifs sur la direction du pays et son avenir.

Chandra Mishra, qui a travaillé comme stratège politique pour cinq gouvernements d’État et six premiers ministres, a déclaré à Epoch Times qu’il pensait que la faiblesse de l’opposition donnait lieu à une « bataille d’ego », quel que soit le parti. En d’autres termes, la politique indienne a longtemps été marquée par une culture où la capacité à stimuler le progrès du pays est considérée comme un moyen de contrôler en grande partie ses vastes ressources. On estime que c’est avant tout le rôle du gouvernement, et ce rôle est donc lui-même convoité en tant que pouvoir.

« Il ne faut jamais s’attendre à ce que le parti au pouvoir renforce l’opposition ou vice versa. Il est de votre devoir de vous rapprocher du peuple par vos politiques, vos actions, vos messages, etc. Le leadership doit être profondément enraciné et lié aux aspirations de la population. Le symbolisme ne fonctionnerait plus », a déclaré M. Mishra. Selon lui, le public indien n’est plus seulement influencé par l’attrait des grandes promesses, mais juge les partis politiques et les dirigeants selon les actions qu’ils mettent en œuvre sur le terrain.

L’analyse de M. Mishra a une portée plus profonde. L’Inde compte 28 États dotés d’un gouvernement élu et 8 territoires fédéraux appelés « territoires de l’Union ». À l’approche des élections de la Lok Sabha, le parti du Premier ministre Narendra Modi, le Bhartiya Janta Party, ou BJP (le plus grand parti politique au monde, avec 180 millions de membres), est au pouvoir dans 12 États. Le second parti national, le Congrès national indien (INC : Indian National Congress, souvent appelé le Congrès ou le Parti du Congrès) est au pouvoir dans 3 États. Le BJP fait également partie de la coalition au pouvoir dans quatre autres États, où le gouvernement est dirigé par des partis régionaux, tandis que le Parti du Congrès est confronté au même scénario de coalition dans deux États.

Deux autres États sont dirigés par le parti Aaam Aadmi (AAP), dont le chef, Arvind Kejriwal, est actuellement en prison pour une affaire de corruption. Un État, le Kerala, est dirigé par une alliance communiste.  Les quatre autres États sont dirigés par des partis régionaux.

M. Mishra pense que l’arrestation de M. Kejriwal a fait de lui un héros. Il estime que le moment choisi pour son arrestation est une stratégie du BJP visant à faire de l’ombre à la direction actuelle de l’INC, affaiblissant ainsi davantage la coalition formée par l’opposition.

Milan Vaishnav, directeur et chargé de recherche au South Asia Program et animateur du podcast Grand Tamasha au Centre Carnegie pour la paix internationale, a rédigé une analyse intitulée « Décoder les élections indiennes de 2024 » en décembre de l’année dernière, dans laquelle il décrit cinq questions à surveiller, notamment le « défi posé par la coordination de l’opposition » et « l’affaiblissement du pouvoir prédictif des élections au niveau de l’État ».

« En 2014 et 2019, le BJP a été aidé dans sa quête d’une majorité unipartite au Parlement par une opposition fragmentée. Dans de nombreuses circonscriptions, le BJP était confronté non pas à une opposition unifiée, mais à plusieurs partis d’opposition qui se faisaient concurrence autant qu’ils le combattaient », a écrit M. Vaishnav.

« Le résultat inévitable étant une fragmentation du vote de l’opposition », a-t-il ajouté.

Narendra Modi (Centre), Premier ministre de l’Inde et chef du Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir, tient le symbole du parti lors d’une tournée de présentation lors de la campagne électorale organisée avant les prochaines élections générales du pays, à Chennai, le 9 avril 2024. (R. Satish Babu /AFP via Getty Images)

Pouvoir, structure, préparation des élections

Kaush Arha est le président du Free and Open Indo-Pacific Forum. Il est chercheur en chef de l’Institut des hautes études diplomatiques de Purdue et du Conseil de l’Atlantique. Lors d’un entretien téléphonique accordé à Epoch Times, M. Arha a affirmé que la résilience d’une démocratie reposait sur sa force structurelle.

« La population peut-elle demander des comptes à ceux qui sont au pouvoir ? Des élections et une presse libres sont les fondements de la responsabilité démocratique. L’Inde peut se targuer d’avoir les élections et la presse locale les plus dynamiques au monde, avec un penchant pour le journalisme d’investigation », a-t-il assuré.

« Ceux qui chérissent la démocratie doivent chérir la volonté du peuple en organisant des élections équitables. On ne peut pas être pour la démocratie et mépriser les électeurs si leurs préférences diffèrent. »

D’ailleurs, le Parti du Congrès, le plus grand parti d’opposition indien et celui qui a dirigé l’Inde pendant le plus grand nombre de mandats avant les victoires consécutives du BJP depuis 2014, est également le troisième plus grand parti politique au monde, avec 50 millions de membres.

M. Vaishnav a indiqué que lors des dernières élections, en 2019, le BJP avait obtenu 45 % des voix du pays, ce qui suggère que plus de la moitié du pays ne soutenait pas le parti.

« Si leur position commune contre le BJP crée un plancher pour l’opposition, la coalition INDIA doit également proposer une vision alternative du gouvernement qui la distingue suffisamment du BJP », a-t-il ajouté.

Dans le contexte actuel, INDIA – l’alliance de l’opposition, dirigée par le Parti du Congrès – est sans leader, a-t-il rappelé. Cette situation la désavantage nettement par rapport à l’alliance au pouvoir, qui s’enorgueillit d’un leader plus grand que nature incarné par Modi, qui est non seulement le leader le plus populaire au niveau national, mais aussi au niveau mondial, selon le Morning Consult, qui suit l’évolution de l’évaluation des leaders mondiaux.

« Si l’opposition a raison d’affirmer que l’Inde est une démocratie parlementaire où le Premier ministre sera choisi par le parti (ou la coalition) qui constitue une majorité à la Lok Sabha, elle oublie que Modi a réussi à présidentialiser le système au cours de la dernière décennie. Face à un président sortant populaire, la coalition INDIA risque d’être écartée à moins qu’un leader n’émerge pour offrir un contrepoint à Modi », a souligné M. Vaishnav.

Le Congrès, quant à lui, n’a cessé de qualifier Modi d’autocrate et de reprocher au BJP d’éroder la culture et les institutions démocratiques indiennes.

Pour M. Mishra, les récits relatifs à l’autocratie des dirigeants forts ont prévalu pour tous les « dirigeants les plus forts » qui ont remporté des élections dans l’histoire de l’Inde. Il fut un temps dans l’histoire de l’Inde où le leader de l’INC, Indira Gandhi – la seule femme Premier ministre indienne à ce jour – qui a exercé trois mandats différents, était qualifié de dictateur, a-t-il noté.

Tout le monde sait qu’il y avait un slogan : « Indira est l’Inde et l’Inde est Indira ». Mais malgré tout, nous devons admettre qu’Indira Gandhi a créé une banque électorale et que toute la nation – au-delà de la langue, de la culture et des frontières – a voté pour elle. Il en va de même pour Modi », a affirmé M. Mishra.

Toutefois, avec des dirigeants forts comme Modi, il devient plus impératif que jamais de compter sur des dirigeants plus forts au sein de l’opposition pour maintenir l’équilibre de la démocratie, a-t-il souligné.

M. Arha a insisté pour rappeler qu’une démocratie forte et résiliente reposait sur une opposition forte.

« Toute inquiétude supposée concernant la démocratie indienne provient davantage des faiblesses de son opposition que de la virilité de son parti au pouvoir », a-t-il poursuivi, ajoutant que, du point de vue des États-Unis, ce qui importe avant tout, c’est que l’Inde devienne plus forte.

« Du point de vue américain, il ne nous appartient pas de choisir entre l’Inde de Modi et l’Inde du Congrès, tant que l’Inde est forte. C’est un fait que l’Inde est devenue plus forte ces dix dernières années », a-t-il relevé.

Le chef du Parti du Congrès indien, Rahul Gandhi (assis à bord d’une Jeep, vêtu de blanc), participe à une tournée de présentation dans le cadre de son « Bharat Jodo Nyay Yatra » (tournée « India Come Together Anew ») à Varanasi, en Inde, le 17 février 2024. (Ritesh Shukla/Getty Images)

Débattre de la menace qui pèse sur la démocratie

Alors que la campagne pour les élections de 2024 bat son plein, la plupart des campagnes de l’opposition présentent le BJP comme une menace pour la démocratie indienne. Le BJP, quant à lui, a adopté un slogan électoral ambitieux : « Ab ki baar 400 paar », ce qui signifie « cette fois-ci, nous franchirons les 400 sièges du parlement ». Ces 400 sièges représenteraient une majorité absolue. Les critiques et les opposants craignent que si le BJP arrive au pouvoir avec une majorité absolue, il utilisera son pouvoir pour modifier la constitution indienne.

Sunita Aron, auteur de trois livres sur la politique indienne et actuellement rédactrice consultante au Hindustan Times, a déclaré à Epoch Times qu’elle pensait que les discussions sur les modifications de la constitution étaient plus liées à la peur qu’à toute autre chose.

« Jusqu’à présent, tout le monde parle de deux [ou] trois choses, ce qui peut arriver dans un pays comme l’Inde. D’une part, ils parlent de la dernière élection, et d’autre part, de la modification de la constitution, qui priverait les musulmans de leurs droits politiques et sociaux, entre autres. Mais lorsque ces questions sont abordées lors des élections, il s’agit plutôt d’une propagande qui suscite des craintes dans certains secteurs », a-t-elle estimé.

Certains craignent que si le BJP obtenait la majorité absolue, il changerait le tissu du pays en déformant le tissu séculier de la société indienne, mais Mme Aron pense que c’est plus facile à dire qu’à faire.

« D’accord, vous êtes nombreux au Lok Sabha et au Rajya Sabha, mais le pouvoir du peuple est énorme », a-t-elle relevé. Elle a ajouté qu’il était toujours possible de modifier la constitution, notant que le Parlement indien avait déjà apporté de nombreux amendements aux 395 articles originaux de la constitution.

« Et lorsque l’opposition parle également de modifier la constitution, elle ne dit pas de quels changements il [le BJP] parle », a souligné Mme Aron, tout en concluant que, quel que soit le parti au pouvoir, elle est « très confiante » dans le fait que les fondements de la constitution indienne ne peuvent pas être modifiés.

Modifier la Constitution n’est pas un sacrilège en soi, tant que c’est fait correctement, a ajouté M. Arha, citant la Constitution américaine, qui « est meilleure grâce à ses amendements ». Il a ajouté : « Dans une démocratie fonctionnelle, l’alarmisme peut être aussi corrosif que l’intimidation proprement dite ».

Parmi les amendements constitutionnels les plus discutés proposés par le gouvernement du BJP figure « Une nation, une élection », en vertu duquel tous les électeurs voteraient pour élire des représentants au parlement national et aux assemblées des États la même année, voire en même temps. La proposition « Une nation, une élection » a été incluse dans le manifeste du BJP en 2019. Elle a suscité de vives critiques dans l’opposition, qui a invoqué des problèmes d’ordre constitutionnel.

« Ils se sont livrés à un tel exercice que nous ne devrions pas organiser d’élections tout au long de l’année. Chaque année, il y a l’une ou l’autre élection dans ce pays [immense]. Le gouvernement est impliqué dans l’une ou l’autre élection chaque année, au lieu de se concentrer sur ses performances », a indiqué Mme Aron.

« Mais même cela pourrait ne pas être facile à faire. Même si les gens proposent des amendements [constitutionnels], la mise en œuvre pourrait devenir un défi », a expliqué Mme Aron, tout en ajoutant que même les partisans de la ligne dure du BJP, qui ont multiplié les décibels sur cette question, ne sont probablement pas conscients du processus qu’impliquerait sa mise en œuvre dans toute l’Inde, où la diversité des partis régionaux et les questions intérieures continuent de poser des problèmes plus importants.

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