En juillet, la commission judiciaire de la Chambre des représentants a rendu un rapport accusant la Global Alliance for Responsible Media (Garm), qui représente 90% des investissements publicitaires dans le monde, d’avoir orchestré un boycott de X et des médias de droite, dans le but de promouvoir un discours idéologique marqué à gauche. En réponse, Elon Musk a déclaré mardi lancer une procédure judiciaire contre l’organisation. Cependant, coup de théâtre : jeudi, Garm a annoncé la cessation de ses activités.
« Nous avons tenté de régler cela pacifiquement pendant deux ans. Désormais c’est la guerre ». Mardi 6 août, Elon Musk a annoncé sur X monter au front contre la Global Alliance for Responsible Media, l’Alliance mondiale pour des médias responsables. Créé en 2019 par la World Federation of Advertisers (la Fédération mondiale des annonceurs), associé au Forum économique mondial, et composé de plusieurs grands groupes, comme le géant anglo-néerlandais de l’agroalimentaire Unilever ou la grande chaîne américaine de pharmacies CVS Health, ce groupe interprofessionnel ambitionne de « réduire la disponibilité et la monétisation des contenus nuisibles en ligne ». Dans leur ensemble, ses membres ne représentent pas moins de 90% des dépenses publicitaires mondiales.
Se basant sur un rapport de la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis, intitulé « Les préjudices de Garm : comment les plus grandes marques du monde cherchent à contrôler la liberté d’expression en ligne » et publié en juillet dernier, l’entrepreneur dénonce un « boycott illégal » de sa plateforme, la privant ainsi de « milliards de dollars de revenus » publicitaires.
« Les preuves obtenues par le Comité montrent que Garm et ses membres ont directement organisé des boycotts et utilisé d’autres tactiques indirectes pour cibler des plateformes, des créateurs de contenu et des organes de presse désapprouvés [par l’organisation, ndlr] dans le but de démonétiser et, en fait, de limiter certains choix pour les consommateurs », peut-on lire dans le document. De ce fait, X a porté plainte pour pratiques anti-concurrentielles devant une juridiction fédérale au Texas.
La collusion entre entreprises, une pratique anti-capitaliste
« Ces organisations ont ciblé notre entreprise et vous, nos utilisateurs. Les preuves et les faits sont de notre côté. Ils ont conspiré pour boycotter X, menaçant ainsi notre capacité de développement à l’avenir », a expliqué Linda Yaccarino, la directrice générale de X, dans une vidéo publiée sur le réseau social.
Dans ce rapport, on apprend que Garm a en effet ciblé directement le réseau social en « recommandant à ses membres de “stopper toutes les publicités payantes“ sur Twitter en réponse à l’acquisition de la société par M. Musk », le 28 octobre 2022. En outre, l’organisation « s’est vantée d’“affronter Elon Musk“, ajoutant que, depuis lors, “les revenus de Twitter étaient 80 % en dessous des prévisions“ ».
Si « chaque entreprise peut, en toute légalité, choisir de suspendre de façon indépendante ses campagnes publicitaires sur toute plateforme ou média de son choix », l’existence d’une collusion est ici « manifeste », note la Commission, qui, constatant le poids de ses effets, rappelle que les ententes sont considérées par la Cour suprême des États-Unis comme « le mal suprême dans les affaires antitrust ».
À l’appui de cette accusation, le document fait notamment état d’un email envoyé le 14 avril 2023 par le géant de l’éolien Orsted à la WFA ainsi qu’à Rob Rakowitz, dirigeant et co-fondateur de Garm : « Sur la base de vos recommandations, nous avons cessé toute publicité payante [sur Twitter] », écrit-il, ajoutant toutefois que c’est « pour nous une plateforme importante afin d’atteindre notre public. Donc nous aimerions envisager d’y revenir… »
Le rapport alors d’asséner : « En d’autres termes, aucune entreprise ne peut, sur le long terme, retirer unilatéralement ses investissements publicitaires d’une plateforme ou d’un média, car ses concurrents continueront à y faire de la publicité et ainsi à toucher leur audience. La collusion apparaît alors comme le seul moyen de garantir qu’aucun acteur ne profite individuellement des distorsions artificielles dans ce qui serait autrement un marché libre de l’espace publicitaire destiné aux consommateurs. »
Grand capital et extrême gauche main dans la main
X n’est cependant pas seule à avoir subi les foudres de Garm, des médias de droite comme Fox News et le Daily Wire ayant été nommément dans son collimateur, tout comme Joe Rogan. Après avoir estimé en avril 2021 dans son podcast The Joe Rogan Experience que les jeunes en bonne santé ne devraient pas se vacciner contre le Covid-19, puis, en décembre 2021, invité le Dr Robert Malone, pionnier de l’ARNm messager, Garm a « menacé Spotify », faisant « pression » pour que la plateforme « punisse » le célèbre animateur américain au motif qu’il propageait de la « désinformation », est-il relevé.
Au cours de l’affaire en question, Rob Rakowitz a « même admis les implications anti-concurrentielles s’ils venaient à être pris la main dans le sac », note le rapport, qui cite un de ses mails envoyés à Coca-Cola : « Je ne peux pas conseiller publiquement à tous mes clients de faire X – cela nous mettrait dans une situation délicate en raison de comportements anticoncurrentiels et collusifs. »
La commission judiciaire de la Chambre basse du Congrès souligne que « les documents internes de Garm fournis au Comité révèlent un biais manifeste qui imprègne le travail de Garm et favorise les médias d’information de gauche ».
Co-fondateur du Daily Wire, Ben Shapiro avait d’ailleurs été auditionné le 10 juillet par cette Commission sur les pratiques anti-concurrentielles de Garm et ses atteintes à la liberté d’expression : « Nous traversons une crise de confiance dans le monde des médias, en grande partie parce que les médias traditionnels ont menti pour protéger les narratifs de la gauche. […] Malgré cette perte de confiance, les médias traditionnels continuent de gagner des parts de marché dans la publicité. […] Garm prétend établir des normes de sécurité des marques » qui touchent « des choses indiscutables comme l’interdiction de la distribution de matériel d’abus sexuels sur enfants ». Mais « GARM ne s’arrête pas à ce qui est criminel, abusif ou dangereux. Leurs normes incluent également des restrictions sur les “discours de haine“, le “harcèlement“, la “désinformation“, ou encore “le traitement insensible, irresponsable et nuisible des questions sociales sensibles“. Ces critères sont, en théorie, très subjectifs et, en pratique, purement partisans. Par exemple, l’année dernière, YouTube, un membre de Garm, a complètement démonétisé les vidéos de l’animateur du Daily Wire, Matt Walsh. Pourquoi ? Pour “mégenrage“, ce qui pour Garm revient à dire que les hommes ne sont pas des femmes. […] Le temps est venu pour le Congrès de défendre le premier amendement de la Constitution ».
Garm a des opinions « anti-démocratiques »
Par ailleurs, le rapport de la Chambre des représentants fait état d’inquiétudes sur « les vues anti-démocratiques [de Garm, ndlr] concernant les libertés fondamentales américaines », prenant appui sur un email envoyé par Rob Rakowitz à la Fédération mondiale des annonceurs en 2019, peu après la naissance de l’organisation. Dans ce message, ce dernier se plaint des personnes ayant une « interprétation radicale » de la liberté d’expression, critiquant l’idée « d’appliquer les normes américaines [en la matière] à l’échelle mondiale », et s’opposant à l’utilisation de « principes de gouvernance appliqués comme des lois qui datent littéralement de 230 ans (créées exclusivement par des hommes blancs). »
Une vision de la liberté d’expression radicalement opposée à celle du propriétaire de X, dont le boycott organisé par les grands annonceurs adhérant à la mission idéologique de Garm a porté un coup sévère aux revenus de l’entreprise. « Au cours du deuxième trimestre de cette année, X a généré 114 millions de dollars de revenus aux États-Unis, soit une baisse de 25 % par rapport au premier trimestre et une diminution de 53 % par rapport à la même période l’année précédente », rapporte le New York Times : « L’entreprise vise un objectif un objectif de 190 millions de dollars de revenus aux États-Unis au cours du troisième trimestre, grâce à la publicité liée aux Jeux olympiques, au football et aux campagnes électorales. Cependant, cet objectif représenterait encore une baisse de 25 % par rapport aux revenus trimestriels de l’année dernière ».
Malgré cette tentative de saper la rentabilité de la société, X a toutefois connu en deux ans une forte croissance de son taux d’engagement, s’est félicitée Linda Yaccarino dans une lettre ouverte : « En utilisant une métrique héritée de Twitter sur les minutes actives des utilisateurs, en août 2022, les gens ont passé 7,2 milliards de minutes actives sur la plateforme. Aujourd’hui, ce chiffre dépasse les 9 milliards, soit une augmentation de 25 %. » Un développement dont bénéficierait aussi les vidéos diffusées sur le réseau social. « Par rapport à l’année dernière, les vues de vidéos quotidiennes ont augmenté de 45 % pour atteindre 8,2 milliards », se réjouit-elle. Autant de raisons qui la motivent à poursuivre la bataille pour la « défense de notre place publique mondiale ».
« À ceux qui ont enfreint la loi, nous disons que trop c’est trop. Nous sommes obligés de chercher justice pour le préjudice causé », a martelé la directrice générale de feu Twitter, ajoutant que « cette affaire va au-delà des dommages causés ; nous devons réparer un écosystème défaillant qui autorise ces activités illégales ».
Garm met fin à ses opérations
Dans la foulée de ce dépôt de plainte, Elon Musk a également enjoint chaque « entreprise qui a été systématiquement boycottée par les annonceurs à intenter une action en justice », arguant qu’il peut y avoir une responsabilité pénale en vertu de la « loi Rico », législation qui encadre les crimes et les délits commis en bande organisée aux États-Unis. Dans le sillage du libertarien, le site canadien d’hébergement de vidéos Rumble a déclaré s’associer à X pour poursuivre en justice « le cartel d’annonceurs et d’agences de publicité qui ont conspiré pour empêcher les revenus publicitaires d’aller à certaines plateformes et créateurs de contenus ».
De son côté, la WFA, par la voix de son porte-parole Will Gilroy, a déclaré mardi à Fox News que les « récentes accusations du Comité judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis contre Garm pour comportement anticoncurrentiel sont infondées. » Et d’ajouter : « L’adhésion à Garm est entièrement volontaire. Ses cadres et outils sont conçus pour être flexibles, et chaque entreprise est libre de les examiner, de les adopter, de les modifier ou de les rejeter à sa convenance. La décision concernant le choix du lieu et du moment de la diffusion publicitaire est toujours prise par l’annonceur, en concertation avec ses partenaires commerciaux si nécessaire ».
Pour autant, seulement deux jours après l’annonce du procès de X contre Garm, le directeur général de la WFA Stephan Loerke a annoncé jeudi qu’il « interrompait » les activités de l’Alliance mondiale pour des médias responsables, se disant néanmoins persuadé que l’issue du procès avec X « prouverait notre entière conformité aux règles de concurrence dans l’ensemble de nos activités ».
De quoi réjouir Linda Yaccarino, qui, en réponse à cette nouvelle, a déclaré sur X : « Aucun petit groupe ne devrait pouvoir monopoliser ce qui est monétisé. Il s’agit d’une reconnaissance importante et d’un pas nécessaire dans la bonne direction. J’espère que cela annonce une réforme de cet écosystème ».
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