Emmanuel Dupuy : « La France n’est absolument plus écoutée au Moyen-Orient »

Par Julian Herrero
7 octobre 2024 11:34 Mis à jour: 21 octobre 2024 08:53

ENTRETIEN – Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE) répond aux questions d’Epoch Times sur la situation au Moyen-Orient.

Epoch Times : Emmanuel Dupuy, la semaine dernière, Israël a décidé de mener des opérations terrestres dans le sud du Liban destinées à viser des « cibles et des infrastructures » du Hezbollah. Téhéran a ensuite envoyé des centaines de missiles sur Israël. Comment analysez-vous la situation actuelle et notamment les affrontements entre Tsahal et le Hezbollah ?

Emmanuel Dupuy : Israël avait annoncé il y a longtemps qu’il franchirait sa frontière avec le Liban pour éradiquer le Hezbollah en élargissant les objectifs, menés à partir du 8 octobre contre le Hamas, au front du nord.

Évidemment, ces incursions terrestres fragilisent la stabilité dans la région et confortent l’idée selon laquelle l’État hébreu entend mener sa guerre jusqu’au bout sur sept fronts en même temps (Gaza, Cisjordanie, Syrie, Liban, Houthis au Yémen, milices chiites en Irak et Iran), ce qui est absolument considérable en matière de mobilisation militaire. On parle de près de 300.000 réservistes israéliens mobilisés !

Ces opérations confirment aussi aux Israéliens que la menace résiduelle du Hamas est presque jugulée – malgré quelques poches de résistance dans la partie sud de la bande de Gaza -, et qu’il faut désormais concentrer tous les efforts sur le Hezbollah et le Sud-Liban.

D’ailleurs, tout s’est fait de manière assez progressive. Le chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh a été tué le 31 juillet dernier à Téhéran. Il y a plus d’une semaine, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ainsi qu’une large partie du commandement de l’organisation terroriste chiite ont été tués par des frappes de Tsahal à Beyrouth. Et nous avons récemment appris que les Israéliens ont également abattu le successeur de Nasrallah, Hachem Safieddine, ainsi qu’Ismael Qaani, commandant de la force Al-Qods, successeur du général Qassem Soleimani, tué à la suite d’une frappe américaine à Bagdad en janvier 2020. Le sort du numéro 2 du Hezbollah, Naïm Qassem reste incertain.

Israël mène donc à bien ce qu’il n’avait pas pu faire jusqu’à présent en raison du blocage des Américains, c’est-à-dire anéantir totalement le Hezbollah. Mais cette volonté de détruire l’organisation terroriste chiite a un prix considérable puisqu’il y a de plus en plus de divisions qui sont mobilisées sur le front du nord. Cette mobilisation donne l’impression que le conflit est de haute intensité et pourrait s’avérer particulièrement périlleux pour les Israéliens.

Souvenez-vous qu’en juillet-août 2006, lors la guerre des 33 jours, 1200 civils libanais avaient trouvé la mort ainsi que 120 soldats israéliens. Cette opération mobilisant 10.000 hommes avait permis d’éliminer 600 à 800 terroristes du Hezbollah. Or, aujourd’hui, en moins de deux semaines, près de 700 Libanais ont déjà trouvé la mort. Et donc cela va évidemment être pris en compte dans la manœuvre militaire d’aujourd’hui.

Peut-on craindre de plus grandes tensions entre Tel Aviv et Téhéran ?

Paradoxalement, non. Les frappes iraniennes sur Israël ont été « mesurées » et proportionnelles à ce qu’aurait été une riposte israélienne. Mais Téhéran ne pouvait pas faire autrement, c’est-à-dire venger l’assassinat du chef politique du Hamas en juillet. Il s’agissait d’ailleurs peut-être davantage de venger Haniyeh que Nasrallah.

Le Hezbollah semble de moins en moins soutenu, voire peut-être déjà lâché par l’Iran. Ce qui peut être interprété comme un gage de faiblesse de la République islamique face à un Premier ministre israélien déterminé à essayer de provoquer une guerre contre elle.

Cependant, pour diverses raisons, l’Iran n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait une confrontation directe avec Israël : elle n’a pas la capacité militaire de battre l’État hébreu. La plupart des missiles, pour certains hypersoniques envoyés mardi dernier ont été interceptés par les différentes couches du système de défense anti-missiles israéliens (Dôme de fer, Fronde de David et système Arrow).

Maintenant, la question est de savoir comment Israël compte riposter. La riposte sera-t-elle aussi mesurée que celle du mois d’avril ? Ou frapperont-ils plus sévèrement les symboles et les outils du pouvoir iranien comme les infrastructures pétrolières voire les sites nucléaires ? Nous allons bientôt le savoir. La riposte pourrait être immédiate ou plus diffuse.

Et des débordements dans les pays occidentaux ?

Je pense qu’il serait tout à fait contradictoire de la part de ceux qui défendent la cause palestinienne de défendre le régime des Mollahs à Téhéran. On ne peut pas, d’un côté, dire que les femmes iraniennes doivent être libres, se dévoiler et appeler à ce qu’il y ait une chute du régime des Mollahs, et en même temps, soutenir ce même régime et le Hezbollah sous prétexte, qu’ils défendent les Palestiniens.

D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les Insoumis sont très discrets par rapport à la question iranienne, notamment Jean-Luc Mélenchon. Il y a comme un piège qui finalement s’impose à eux. La défense traditionnelle de la cause palestinienne, apanage de la gauche, semble également faire débat au sein du Nouveau Front populaire. Pour certains, la non-dénonciation du caractère terroriste de l’attaque du 7 octobre a mis à nu les contradictions internes à la gauche française.

Dans un communiqué à l’issue d’un Conseil de Défense à l’Élysée, Emmanuel Macron a « condamné avec la plus grande fermeté les nouvelles attaques de l’Iran contre Israël ». Il a aussi demandé aux autorités israéliennes de « mettre fin au plus vite » à leurs « opérations militaires » au Liban. Aujourd’hui, la voix de la France est-elle écoutée au Moyen-Orient ?

Non, la France n’est absolument plus écoutée et a perdu ses moyens de leviers au Moyen-Orient si ce n’est peut-être sur le Liban, à travers la pression qu’elle peut encore exercer en vue de la stabilité politique du pays. Il n’y a toujours pas de président au Liban depuis la non tenue de l’élection présidentielle. C’est un gouvernement démissionnaire qui « dirige » le pays depuis octobre 2022. Il y a un Premier ministre, qui gère les affaires courantes : Najib Mikati, mais qui n’a aucune légitimité démocratique.

Il y a toujours de la part de Paris la volonté d’appliquer les résolutions onusiennes sur lesquelles elle s’était particulièrement engagée, notamment celles de septembre 2004 (résolution 1559) et celle d’août 2006 (résolution 1701) portant sur le désarmement des milices et la mobilisation de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) pour empêcher de nouveau les incursions terrestres israéliennes. Mais malheureusement, aujourd’hui, la France ne peut que constater que les opérations israéliennes ont bien lieu, alors même qu’elle ne cesse de dire que cela contrevient au droit international.

Tel Aviv a aussi, en quelque sorte, administré un camouflet à Paris en frappant Beyrouth alors même que la délégation française, avec à sa tête le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, s’y trouvait pour apporter de l’aide humanitaire aux Libanais. C’est d’une certaine façon, la preuve, symboliquement, du très peu de cas que fait Israël de la position française.

D’ailleurs, la France fut à l’origine, avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, de la proposition d’un cessez-le-feu de 21 jours qui a été balayé d’un revers de main par Benjamin Netanyahou.

Je dirais également que l’Union européenne ne reconnaît pas à Paris la capacité de parler au nom des 27, car désormais elle n’est plus présidente du Conseil de l’Union européenne et la côte d’Emmanuel Macron est particulièrement dégradée à Bruxelles. Ce sont bien le Premier ministre hongrois Viktor Orbán et la présidente du conseil des ministres italien Giorgia Meloni, qui sont bien plus proches de la position israélienne, que ne le sont la France, l’Espagne ou l’Irlande.

À l’occasion de la 79e Assemblée générale de l’ONU, Emmanuel Macron n’a, in fine, pas osé procéder à la reconnaissance unilatérale de la Palestine comme cela était initialement prévu. Cela prouve bien que la voix de la France semble particulièrement démonétisée au Moyen-Orient.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky reproche aux Occidentaux de faire « traîner » les livraisons de missiles. La situation au Moyen-Orient a-t-elle détourné l’attention de l’Occident sur la guerre en Ukraine ?

Oui totalement. Même s’ils le réfutent, les Américains livrent beaucoup de matériels à Israël, à hauteur de 3,5 milliards de dollars par an.

Contrairement à la France, au Canada, à l’Espagne et aux Pays-Bas, les États-Unis n’entendent pas renoncer à livrer des armes à Israël. Ainsi, ils renforcent leur présence au Moyen-Orient avec la mobilisation de 40.000 soldats et de deux groupes aéronavals dont la sixième flotte.

Par ailleurs, Washington essaye de temporiser en vue des élections américaines du 5 novembre pour réaffirmer leur soutien plein et entier à l’Ukraine, alors même que les positions de Kamala Harris et de Donald Trump sont, sur ce point, radicalement différentes.

En résumé, les États-Unis continueront à soutenir l’Ukraine, mais cherchent à le faire sans Volodymyr Zelensky ou en amenant le président ukrainien à des compromis.

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