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En adoptant la «taqiya», le terroriste faussement déradicalisé est difficilement identifiable

décembre 12, 2023 15:50, Last Updated: décembre 12, 2023 15:53
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Armand Rajabpour-Miyandoab le promettait en 2016 : « je me suis auto-déradicalisé ». Sept ans plus tard, il commettait près de la tour Eiffel un attentat pouvant laisser penser qu’il avait opté pour une logique de dissimulation rencontrée dans les affaires de jihadisme : la « taqiya ».

À l’origine, en contexte islamique, la pratique consiste à nier sa foi pour se protéger d’une menace. Les personnes radicalisées, elles, peuvent y recourir pour cacher leur extrémisme, et passer sous les radars des services de renseignement.

Se fondre dans le décor

Le concept de « taqiya » (« prudence » en arabe) n’a pas été inventé par les mouvements jihadistes contemporains. « C’est un terme issu du giron islamique chiite, qui s’est retrouvé dans le monde islamiste sunnite », explique à l’AFP Amélie-Myriam Chelly, sociologue à l’Université Sorbonne Nouvelle, autrice d’un « Dictionnaire des islamismes ».

« La ‘‘taqiya’’ était originellement de la prudence : celle de ne pas clamer sur tous les toits son appartenance à la communauté chiite minoritaire, dans un contexte où les relations avec les sunnites n’étaient pas au beau fixe », explique la spécialiste des islams politiques. « C’est ensuite qu’elle a été intégrée dans les stratégies islamistes. »

La « taqiya » s’apparente à une « subjugation des valeurs », qui consiste à considérer que des impératifs sont plus importants que le strict respect des règles de l’islam. Une notion théorisée par le théologien du XIIIe siècle Ibn Taymiyya, prisé de nombreux salafistes aujourd’hui encore.

« C’est ce qui explique notamment les vidéos qui ont décontenancé beaucoup d’analystes, dans lesquelles on voyait Hasna Ait Boulahcen, la cousine d’Abdelhamid Abaaoud (le chef opérationnel des commandos du 13 novembre 2015, ndlr) porter un niqab tout en tenant un verre de whisky », estime Amélie-Myriam Chelly.

Cette stratégie a déjà été imputée à d’autres auteurs d’attentats, comme ceux de Mohammed Merah en 2012 à Toulouse et Montauban. Il « allait en boîte de nuit, buvait de l’alcool pour se fondre » dans le décor, rappelait en 2020 un enquêteur de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure).

Cinq mois après les attentats de janvier 2015, François Molins, alors procureur de Paris, s’inquiétait de ces jihadistes capables de se faire oublier. « Il y a vingt ou trente ans, nous travaillions sur des cellules structurées et identifiées. Maintenant nous sommes face à des individus venus de nulle part, adeptes de la ‘‘taqiya’’, et qui n’émettent que des signaux très faibles, quasiment indécelables par les services de renseignement ».

Difficultés à sanctionner lorsque la persistance idéologique constatée

Lorsqu’il s’agit de défendre des personnes poursuivies par la justice antiterroriste, le soupçon de dissimulation peut avoir un lourd impact. « Il y toujours une présomption de ‘‘taqiya’’ évoquée côté accusation », estime un avocat ayant assisté des mis en cause dans ces dossiers. « Cela rend la défense impossible en matière de personnalité. Dès qu’il y a un rapport positif du quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR, en prison, ndlr), nous avons toujours l’argument des autorités de poursuites, selon lesquelles c’est de la ‘‘taqiya’’. C’est une situation où il n’y a plus de vérité », fait-il valoir.

Une affirmation que réfute le parquet national anti-terroriste (Pnat) auprès de l’AFP : « aucun procureur aujourd’hui ne parle de ‘‘taqiya’’ à l’audience. » « C’est une notion qui a été complètement déformée. Cela fait plusieurs années que le parquet préfère revenir à des concepts juridiques bien établis : l’adéquation entre le discours et les actes », poursuit-on de même source.

Ce qui intéresse le Pnat pour évaluer la radicalisation d’une personne « sont les éléments lourds : la consultation de propagande jihadiste, les propos apologétiques ou des liens avec des personnes connues pour appartenir à la sphère jihadiste », ajoute-t-on. « L’insertion dans une société ne se limite pas à aller en discothèque ou à boire de l’alcool », poursuit le parquet, qui voit là « une définition erronée de la réinsertion sociale ».

Une réalité peut mettre le ministère public sur une fausse piste : les condamnés sont souvent plus disposés à suivre les injonctions judiciaires que les autres mis en cause, sans que cela ne prouve leur déradicalisation. « On constate par exemple que les personnes vont continuer d’aller aux rendez-vous du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), mais sans investir de réflexion de fond sur les faits qui leur sont reprochés », note le Pnat.

Armand Rajabpour-Miyandoab a ainsi « toujours répondu à ses injonctions de soins ». « La seule difficulté pour nous est que lorsqu’on constate la persistance d’une idéologie terroriste, nous n’avons pas toujours les moyens juridiques de le sanctionner, sauf à ce que la personne re-commette une infraction pénale », souligne le parquet antiterroriste.

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