Quand retentissent les premières notes de la comptine, tous les élèves de cette école sud-coréenne se mettent à chanter, et même Nam Yang-soon, 84 ans.
En raison du vieillissement rapide de la population et de l’exode rural, les établissements primaires des campagnes sud-coréennes font face à une pénurie d’écoliers. Alors pour éviter les fermetures de classes, certaines écoles ciblent désormais le sommet de la pyramide des âges, ces grands-mères illettrées qui, dans leur jeunesse, n’ont pu aller à l’école parce que là n’était pas la place des filles.
« J’ai toujours ressenti qu’on me prenait de haut du fait de mon illettrisme », avoue à l’AFP Mme Nam, qui suit les cours de deuxième année à l’école élémentaire de Woldeung, comme deux autres femmes âgées. Les mathématiques sont sa matière préférée: « C’est tellement drôle de faire des additions et des soustractions. Je veux rester à l’école aussi longtemps que ma santé me le permettra. »
La société coréenne est depuis des siècles très patriarcale. La préférence pour les garçons est à tel point gravée dans les esprits que les médecins n’ont toujours pas le droit de dévoiler le sexe des fœtus à leurs parents. Jusque dans les années 1960, il n’était pas nécessairement surprenant que les petites filles ne soient pas scolarisées, notamment à la campagne.
Une enquête menée en 2017 avait révélé que 67% des Sud-Coréens âgés de plus de 80 ans ne savaient pas lire et écrire, mais la part d’illettrés était largement supérieure chez les femmes. « Ma grand-mère me disait qu’une femme avec des connaissances finit toujours par se montrer rebelle. Alors elle m’a interdit d’aller à l’école », se souvient Jang Seon-ja, 75 ans, qui suit un cours d’apprentissage de l’écriture à Suncheon, à 320 km au sud-est de Séoul.
Le contraste est saisissant avec la situation actuelle en Corée du Sud, où l’éducation est une des priorités des familles et où les élèves étudient sans relâche, y compris après l’école, afin d’obtenir la meilleure carrière possible. « Mon grand-père répétait toujours que les filles comme moi n’avaient pas besoin d’aller à l’école », se rappelle Park Young-ae, 70 ans, une des camarades de classe de Mme Nam à Suncheon. « J’ai toujours regretté de ne pas avoir pu y mettre les pieds ».
Elle dit aujourd’hui vivre « les meilleurs moments » de sa vie au côté de quatre de ses camarades qui ont 60 ans de moins qu’elle et avec qui elle chante des comptines ou s’exerce à épeler des mots. Kim Seung-hyun, huit ans, s’adresse à ces inhabituelles camarades avec les formules de respect qui conviennent aux personnes âgées. Mais il espère bien qu’elles l’accompagneront jusqu’à la fin du primaire, et même au-delà. « Je serais triste si elles ne venaient plus à l’école », reconnaît-il.
Chaque matin pour se rendre à leur école, les grands-mères studieuses marchent à travers champs dans cette province rurale de Jeolla du Sud, située à l’extrémité de la péninsule coréenne. Le remarquable essor industriel qui a propulsé l’économie de la Corée du Sud au 11ème rang mondial dans les décennies qui ont suivi la Guerre de Corée (1950-53) s’est accompagné d’un exode rural qui se poursuit aujourd’hui.
En 30 ans, la population des familles rurales a baissé de près de 70%, selon les statistiques officielles. Dans le même temps, la société hyper-concurrentielle qu’est la Corée du Sud est confrontée à une très grave crise démographique car de nombreux Sud-Coréens en âge de procréer choisissent de ne pas avoir d’enfants pour ne pas hypothéquer leur carrière.
L’indice de fécondité, le nombre d’enfants qu’une femme a dans sa vie, qui était de 4,53 en 1970 est tombé sous la barre du 1,00 l’an dernier, l’un des chiffres les plus bas au monde. Et si elle est actuellement de 51 millions d’habitants, la population sud-coréenne devrait régresser à 39 millions en 2067, quand l’âge médian sera de 62 ans, selon les projections démographiques.
« La Corée du Sud connaît un processus de vieillissement à un rythme sans précédent », décrit Cho Sung-ho, de l’Institut coréen pour la santé et les affaires sociales, ajoutant qu’elle « peine à s’adapter à ce déclin ». L’école élémentaire de Woldeung est un exemple parfait du processus en cours. C’est en 1968 qu’elle a connu l’affluence la plus forte, avec 1.200 élèves. Elle n’en a plus que 29 aujourd’hui.
L’an dernier, elle a failli fusionner ses classes de première et deuxième années, faute d’effectifs suffisants. Pour éviter d’en arriver là, elle a proposé des places à des habitants qui n’avaient jamais été sur les bancs de l’école. Au moins trois autres écoles de cette province du Jeolla du Sud ont elles aussi ouvert leurs portes aux grands-mères qui le souhaitaient.
Les autorités provinciales ont refusé de communiquer sur le nombre d’écoles concernées au total ou sur le nombre de personnes âgées scolarisées, arguant d’un sujet « sensible ».
A Suncheon, l’institutrice Choi Young-sun, 43 ans, explique que la présence dans sa classe de ces aînées la rendait initialement « très nerveuse » mais que ces femmes âgées ont au final une influence positive sur la classe. « J’ai ainsi réalisé que mes élèves avaient un comportement beaucoup plus mûr et respectueux que les autres enfants de leur âge. »
D.C avec AFP
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