L’exhumation de celle qui devait être sa jumelle a levé ses derniers doutes. Les ADN ne correspondaient pas et Maria José Picó Robles devient alors certaine que cette sœur, qu’elle cherche toujours, est l’un des nombreux « bébés volés » sous le régime franquiste en Espagne.
« C’était là », dit cette salariée dans le paramédical de 60 ans, les yeux larmoyants et la gorge nouée, en montrant la fosse commune du cimetière d’Alicante (sud-est) où sa sœur était censée avoir été officiellement enterrée.
« On a dit à ma mère que ma sœur était morte deux jours après la naissance (en 1962). Elle n’a pas eu le droit de voir le corps et on ne l’a pas laissé assister à l’enterrement », raconte Maria José à l’AFP.
Il y a une dizaine d’années, lorsque les première affaires de « bébés volés » éclatent dans le pays, Maria José et ses parents, saisis par le « doute » et « l’angoisse », se demandent s’ils ne sont pas aussi victimes de ce scandale.
La justice ordonnera l’exhumation des ossements en 2013
Ils commencent alors à rassembler des documents, entachés d’irrégularités, avant de saisir la justice qui ordonnera l’exhumation des ossements en 2013.
Depuis, la sexagénaire, qui préside une association consacrée aux bébés volés, poursuit inlassablement ses recherches.
L’État prendra à présent en charge les recherches des plus de 110 000 victimes du conflit qui a ravagé l’Espagne, entre républicains et franquistes. https://t.co/4uKeyVdDLn
— La Croix (@LaCroix) October 5, 2022
Elle a laissé son ADN dans plusieurs banques génétiques et espère que sa sœur, prise d’un doute sur ses origines, aurait pu faire de même. « C’est l’ADN qui est notre espoir », explique-t-elle, priant pour « recevoir un jour un appel » d’un laboratoire.
Adopté définitivement mercredi par le Sénat, un texte phare du gouvernement de gauche reconnaît pour la première fois comme victimes du franquisme les bébés enlevés à leurs familles durant la Guerre civile (1936-1939) et la dictature (1939-1975).
Transmettre le « gène » du marxisme
Durant la répression qui a suivi le conflit, ce vol institutionnalisé avait pour but de soustraire des enfants à des républicaines accusées de leur transmettre le « gène » du marxisme.
Mais il a ensuite touché, à partir des années 1950, des enfants nés hors mariage ou dans des familles pauvres ou nombreuses.
Souvent grâce à la complicité de l’Église, ils étaient déclarés morts après l’accouchement, sans que l’on fournisse de preuves aux parents, puis adoptés par des couples ne parvenant pas à avoir de bébés et en général proches du régime « national- catholique » de Franco.
Les trafics de bébés ont perduré
Après la mort de Franco en 1975, des trafics de bébés ont perduré, principalement pour des raisons financières, jusqu’en 1987 et l’adoption d’une loi renforçant le contrôle de l’adoption.
Des vols similaires ont également eu lieu sous la dictature militaire en Argentine ou sous celle de Pinochet au Chili. En Argentine, l’organisation des Grands-mères de la Place de Mai estime qu’un peu moins de 500 bébés sont nés en captivité et ont été illégalement remis à d’autres personnes.
En Espagne, il n’y a aucune estimation officielle du nombre de bébés volés mais les associations de victimes parlent de plusieurs milliers d’enfants concernés.
Prescription des faits
La justice avait estimé en 2008 que plus de 30.000 enfants de républicains morts ou faits prisonniers durant la Guerre civile, dont certains ont pu être « volés », ont été placés sous tutelle par l’État franquiste rien qu’entre 1944 et 1954.
2.136 plaintes à ce sujet ont été enregistrées en Espagne entre 2011 et 2019 mais aucune n’a abouti, principalement en raison de la prescription des faits.
Si la justice est en panne, quelques rares Espagnols, comme Mario Vidal, ont tout de même réussi à retrouver par miracle la trace de leurs proches.
Parvient à identifier sa mère
« Mon père adoptif m’a dit qu’ils avaient payé 125.000 pesetas (725 euros), pour m’adopter », explique ce technicien -architecte de 57 ans vivant à Denia (sud-est) qui s’est lancé en 2011 à la recherche de ses parents biologiques.
Il se plonge alors pendant trois ans dans les archives de la région de Madrid, où il est né, et parvient à identifier sa mère… décédée 16 ans plus tôt.
« Cela a été l’un des jours les plus durs de ma vie », dit-il en confiant avoir été partagé entre « la satisfaction » de connaître ses origines et « le coup de massue » d’apprendre sa mort.
Issue d’une famille très conservatrice, sa mère l’avait eu hors mariage à 23 ans. Si un document officiel faisait état d’un abandon, un proche lui apprendra qu’elle avait tenté à plusieurs reprises de le récupérer à l’orphelinat mais en avait été empêchée et avait même été incarcérée pour cela.
Mario parviendra ensuite à retrouver son demi-frère, qui mourra trois ans plus tard, mais reste sans savoir qui est son père biologique. « Nous sommes les enfants d’une époque, dans laquelle ceux qui détenaient le pouvoir l’exerçaient comme bon leur semblait », dit-il.
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