Au début du mois d’avril, le maire de Cannes, David Lisnard, dans une tribune du Figaro, a attiré l’attention des lecteurs sur le financement, par l’État et les collectivités, d’œuvres qui se veulent subversives.
Il citait, par exemple, cette version modernisée d’Antigone, coproduite notamment par un centre national d’art dramatique, dans laquelle l’héroïne, une jeune fille des banlieues qui veut enterrer son frère terroriste avec les mêmes honneurs que son autre frère victime de « violences policières » (sic), fait face à un Créon proviseur laïc de son lycée.
Cet exemple entraîne une réflexion sur le financement public à tout-va des festivals artistiques, qui ne sont que fort peu fréquentés par des personnes issues de classes sociales favorisées.
Il ne s’agit plus véritablement d’accompagner l’initiative privée, mais de s’y substituer : d’où une inflation vertigineuse du nombre d’évènements de ce type ces dernières années.
En 30 ans, le nombre de festivals a plus que décuplé, entraînant une hausse conséquente de la dépense publique correspondante
Au début de la décennie 90, seulement 600 festivals étaient organisés chaque année en France. Au début de la décennie suivante, c’est l’emballement : leur nombre passe à 2000 ; puis, en 2022, à 7822. En comparaison, l’Italie, un pays dont la culture est au moins aussi riche que la nôtre, n’en organise que 2000 chaque année. En Allemagne et au Royaume-Uni, c’est environ 1000.
Cette tendance s’inscrit dans la continuité de la politique culturelle de la gauche au pouvoir, essentiellement portée par Jack Lang, ministre de la Culture pendant près de dix ans sous les deux septennats de François Mitterrand.
L’objectif était de démocratiser la culture dans toutes les couches sociales et partout sur le territoire : d’où l’importance d’organiser des événements ailleurs qu’à Paris afin de toucher les habitants du « désert français ».
Entre 1980 et 1995, le budget de la rue de Valois a quadruplé, passant de 0,5 à 2 Mds€, et cela ne s’est pas arrêté puisque l’année dernière, il était de 4,2 Mds€ (hors audiovisuel).
Les crédits budgétaires de l’État alloués aux festivals suivent une pente identique. Comme le constate la Cour des comptes, ceux-ci, portés par le ministère de la Culture et les centres nationaux du livre, de la musique, du cinéma et de l’image animée, absorbent 50 M€ en 2022 contre 36 M€ en 2018.
En réalité, les fonds publics qui leur sont alloués sont globalement bien supérieurs car pour l’essentiel issus des collectivités territoriales : même si les dépenses engagées par celles-ci ne sont pas recensées dans leur intégralité, les estimations avoisinent 300 M€.
L’État, en effet, n’apporte son concours qu’à une portion congrue de festivals (8%) et un quart des aides se concentre sur deux d’entre-deux : le festival d’Aix-en-Provence et celui d’Avignon.
Le laxisme des collectivités locales en matière de contrôle
Les grands festivals nationaux sont majoritairement peu autonomes financièrement : seuls 25% des recettes du festival d’Avignon proviennent de sa propre activité ; autres exemples : 35% pour le festival de marionnettes de Charleville-Mézières, et même 6% pour le « Passages transfestival » de Metz.
Quelques-uns pourtant parviennent à s’organiser avec peu de subventions publiques, comme les Francofolies de la Rochelle (86% de ressources propres) ou celui des chorégies d’Orange (62%).
Mais les collectivités, peu soucieuses de vertu budgétaire, ne font pas de grands efforts pour développer ce modèle. Les documents censés évaluer l’activité de ce type de manifestations, qu’il s’agisse de conventions pluriannuelles de financement entre l’État et les collectivités ou de contrats de performances, souffrent de nombreuses lacunes.
La plus haute juridiction financière française remarque à leur sujet que : « Certains ne sont jamais produits, les périodes qu’ils couvrent s’enchevêtrent ou ne correspondent pas aux mandats des dirigeants, les critères retenus par chacun d’eux ne sont pas homogènes, les évaluations ex post ne sont pas réalisées. »
Entre 2013 et 2022, par exemple, le directeur du festival d’Avignon n’avait même pas reçu de lettre de mission…
Le festival d’Avignon justement, illustre assez bien l’échec de ce qui était à l’origine un objectif majeur, c’est-à-dire la démocratisation de la culture. Comme le montrent ses propres études de public, il est fréquenté à 73% par les catégories sociales les plus aisées et diplômées de l’enseignement supérieur, et seulement à 2,4% par les ouvriers. Entre 2014 et 2021, la part des jeunes de moins de 35 ans a également fondu, passant de 32 à 16%.
Une question fondamentale se pose : pourquoi l’État et les collectivités publiques financent-ils la culture ? Certes, les festivals sont une vitrine attractive pour les localités qui les organisent. Mais l’État doit-il s’en mêler ? Il peut difficilement justifier de critères objectifs de financement et dès lors il crée des déséquilibres fâcheux en attribuant des subventions aux uns et pas aux autres. Au surplus il finance nécessairement des œuvres et spectacles conformes à ses attentes. Il institue ainsi une culture conformiste, ce qui est peu compatible avec l’art, que l’on attendrait plus subjectif et créateur. Quand il ne tombe pas dans l’excès inverse en subventionnant des œuvres délirantes… Quoi qu’il en soit, il se trouve souvent en inadéquation avec les attentes des spectateurs, qui sont aussi des contribuables et à ce titre, il ne respecte pas ceux dont il utilise indument l’argent. Pour le moins, il conviendrait de cesser de financer les œuvres les plus politisées (et accessoirement les plus déconnectées).
Article écrit par Romain Delisle. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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