ENTRETIENS EPOCH TIMES

« En France, nous sommes dans la réplique presque tellurique de ce qu’il se passe aux États-Unis », déclare l’historien Jean-Marc Albert 

mai 17, 2024 7:41, Last Updated: mai 17, 2024 9:56
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Entretien – L’historien et enseignant à l’Institut Catholique de Paris, Jean-Marc Albert, analyse pour Epoch Times les ressemblances entre les mouvements de contestation pro-palestiniens aux États-Unis et en France. Il note quelques différences au niveau de la nature des manifestations.

Epoch Times – Jean-Marc Albert, depuis plusieurs mois, on voit des manifestations pro-palestiniennes se succéder dans les facs américaines et françaises. Outre-Atlantique, certaines remises de diplômes ont été récemment perturbées. En France, ces mouvements ont surtout été médiatisés avec les blocages ayant eu lieu à Sciences Po Paris. Établissez-vous un lien entre les mouvements américains et français ?

Jean-Marc Albert – Un lien existe. En France, nous sommes dans la réplique presque tellurique de ce qu’il se passe aux États-Unis. Déjà les événements de mai 68 ressemblaient à la révolte des étudiants de l’université Columbia en 1967. C’était extrêmement violent. Donc le lien est d’abord organique. Il y a un phénomène d’imitation de l’exemple américain. Cependant, des différences existent au niveau de la nature des mouvements de contestation.

Il me semble que dans le discours des manifestants à New York, il n’y a pas une polarisation aussi forte qu’en France sur la question de l’identité juive. Ce qui est très frappant outre-Atlantique, c’est qu’un certain nombre d’étudiants de confession juive, ont manifesté avec les pro-palestiniens. Il n’y a pas cela en France. Il y a une très forte communauté juive à New York, et je n’imaginais pas en voir dans les rangs des pro-palestiniens. On est vraiment dans la contestation progressiste, au sens politique du terme.

Le Palestinien devient le nouveau dominé, le nouveau prolétaire à défendre. Nous sommes dans le prolongement de ceux qui défendaient l’Afro-Américain qui était stigmatisé dans les années 1960.

En France, je ne crois pas avoir vu des étudiants de confession juive se mêler aux manifestations pro-palestiniennes, c’est-à-dire qu’une partie des étudiants glisse vers l’antisémitisme, tandis qu’aux États-Unis, on reste dans l’antisionisme. D’ailleurs, ils rejettent autant Donald Trump que Joe Biden. Je dirais qu’ils sont presque plus anti-Biden qu’anti-Trump puisqu’ils considèrent l’actuel locataire de la Maison-Blanche comme un traître à la cause démocrate.

Je pense que derrière les mouvements de contestation américains, il y a tout simplement une volonté de contester le pouvoir en place, l’establishment républicain-démocrate pro-israélien, notamment pour des raisons religieuses. Le soutien à Israël transcende le clivage démocrates-républicains. Ce qui explique pourquoi vous avez une centaine d’ONG américaines qui ont des partenariats avec Israël en matière, par exemple, de recherches archéologiques ou de recherches historiques. Avec ces partenariats, il s’agit de conforter l’idée que les Israéliens étaient bien les premiers possesseurs de la terre où ils sont actuellement. Tout ceci correspond à la théorie très évangélique de fin du monde avec la conversion des Juifs.

Cela étant, aussi bien Donald Trump que Joe Biden essaient de trouver des nuances pour se démarquer pendant la campagne électorale. On assiste peut-être à une rupture avec le choix de Joe Biden de ne plus livrer d’armes à Tsahal. Mais globalement, le soutien américain à Israël a toujours été indéfectible.

Vous avez dit que les manifestants pro-palestiniens français sont plus antisémites que ceux d’outre-Atlantique. Est-ce lié à notre passé sombre lors de la Seconde Guerre mondiale ?

La France est effectivement très liée à la mémoire de la Shoah. C’est pour cela que les mains rouges qui ont été taguées sur le mémorial de la Shoah ont suscité un scandale.

Les Américains entretiennent, quant à eux, un rapport différent avec l’holocauste. Les étudiants d’outre-Atlantique sont plus décomplexés et estiment que ce qu’il s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale ne doit pas être une excuse à tout. Il n’y a pas de tabou moral à dire qu’Israël est un État colonisateur, impérialiste et génocidaire pour reprendre leur vocabulaire, même si je pense qu’ils ne maîtrisent pas bien la notion de génocide. Mais il n’y a pas de coloration antisémite. C’est plutôt anti-israélien.

Alors qu’en Europe, on retrouve une coloration antisémite dans les non-dits et les impensés. En plus, en France, il y a des lois qui empêchent de dire tout et n’importe quoi sur la Shoah. Par conséquent, les manifestants expriment autrement leur ressentiment.

Un article de Marianne a relaté que la langue anglaise est très utilisée par les étudiants pro-palestiniens. On parle de « Town Hall » et des slogans comme « All eyes on Rafah » sont utilisés. Ces mouvements sont-ils donc le résultat d’une forme d’américanisation de nos universités ?

Oui. Quand vous regardez l’histoire des universités américaines, vous réalisez, qu’à chaque fois, c’est le reflet inversé de l’histoire des universités européennes.

Les universités américaines sont d’abord le prolongement d’universités européennes, c’est-à-dire qu’elles prennent le meilleur de ce qu’il y a en Europe, avec un esprit protestant, alors que l’université en France et en Europe était plutôt d’obédience catholique.

Ce qui explique d’ailleurs pourquoi il y a toujours eu des phénomènes de radicalité à l’université d’outre-Atlantique. C’est consubstantiel à l’histoire américaine. Il ne faut pas oublier que les universités américaines ont été créées par des dissidents, comme par exemple, les puritains d’Harvard, les presbytériens de Princeton ou encore les baptistes de Cornell.

Derrière chaque faculté, il s’agit de créer une société nouvelle. Les campus, c’est l’idée de recréer une espèce d’îlot utopique, une nouvelle forme de démocratie à la campagne où on coupe les enfants des parents pour bien les former. En France, les universités sont davantage situées au cœur des villes. La Sorbonne en est le parfait exemple.

Et puis, il y a un basculement dans les années 1950-1960 en France, particulièrement avec mai 68. La fac française va se moderniser et abandonner tout ce qui est traditionnel, comme le cours magistral ou le mandarinat. Au même moment, les États-Unis, qui apparaissent comme une nation moderniste, deviennent le conservatoire des traditions françaises et l’élite française a envoyé ses enfants à Yale, à Harvard ou à Columbia.

Peut-on comparer ces manifestations actuelles à celles des années 1960, notamment quand des étudiants protestaient contre la guerre du Vietnam ?

Il y a effectivement une ressemblance. Ceux qui protestaient contre la guerre du Vietnam faisaient du Vietnamien un individu dominé. Et comme je l’ai rappelé précédemment, les manifestants actuels voient le Palestinien comme un nouveau dominé.

En outre, il y a quelque chose de très intéressant : le changement de nature de la contestation. Dans les années 1960 aux États-Unis, il y avait un grand mouvement de contestation qui concernait d’abord les minorités ethniques, ensuite les minorités sexuelles, et enfin toutes les formes de minorités. Et que demandaient, par exemple, les Afro-Américains à cette époque ? Ils souhaitaient faire partie de la communauté américaine. Ils revendiquaient quelque chose qui visait à intégrer une culture. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Ceux qui manifestent ne veulent pas s’intégrer à une culture commune américaine, mais cherchent plutôt à la désintégrer.

Ils ont déplacé le champ de la discrimination. Avant, elle se trouvait à l’entrée des universités. Il n’y avait presque que les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) qui pouvaient entrer à l’université. Maintenant, l’objet de la discrimination porte sur les contenus des cours. Ce qui explique  le phénomène des bibliothèques épurées. Des œuvres classiques sont retirées et le latin et le grec sont renvoyés à une conception patriarcale et européocentrée.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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