Deux bateaux de ravitaillement philippins ont tenté coûte que coûte d’approvisionner l’un des navires de Manille à l’ancre près d’un atoll disputé en mer de Chine méridionale, avant de faire demi-tour, talonnés par des navires des garde-côtes chinois.
Depuis avril, le bateau BRP Teresa Magbanua mouille dans les eaux de l’atoll Sabina pour affirmer les revendications de Manille face à Pékin et empêcher le régime communiste chinois d’en prendre le contrôle. Mais les marins stationnés à bord de ce navire manquent cruellement de vivres, que la mission « humanitaire » menée lundi par les deux bateaux philippins avait pour but de livrer.
Contraints de faire demi-tour
Des journalistes de l’AFP à bord de l’un d’eux ont observé les navires des garde-côtes chinois prendre en chasse les bateaux philippins pendant deux heures, avant de les encercler. Quarante navires chinois se trouvant sur leur route, les garde-côtes philippins ont été contraints de faire demi-tour, sans avoir pu livrer de nourriture aux marins du Teresa Magbanua.
Pékin revendique une grande partie des îles et récifs de la mer de Chine méridionale, y compris des eaux et des îles proches des côtes de plusieurs pays voisins, et a ignoré la décision du tribunal international de La Haye. La Cour permanente d’arbitrage du tribunal a donné raison à Manille en 2016, estimant que les revendications de Pékin sur la majeure partie de la mer de Chine méridionale étaient sans fondement.
Le Président Ferdinand Marcos Junior avait déclaré qu’il ne « permettr(ait) pas qu’un seul millimètre de nos droits côtiers maritimes soit piétiné ». « Nous parlons de la Chine. Nous parlons avec la Chine de manière cohérente et avec une voix ferme » avait-t-il ajouté.
Des navires chinois et philippins sont entrés en collision à deux reprises ce mois-ci près de l’atoll Sabina, situé à 140 km à l’ouest de l’île philippine de Palawan et à environ 1200 km de l’île de Hainan, terre chinoise la plus proche.
Conflits fréquents
Manille et Pékin ont une longue histoire de différends maritimes en mer de Chine méridionale. En 1995, la Chine a pris possession du récif Mischief, revendiqué par les Philippines, et l’a transformé en île artificielle pour lui servir de base militaire.
Après l’occupation de ce récif, les Philippines ont fait échouer en 1999 près de l’atoll Second Thomas le BRP Sierra Madre, un navire datant de la Seconde Guerre mondiale sur lequel des soldats philippins sont depuis installés pour y affirmer les prétentions de Manille.
Les troupes philippines stationnées sur cette épave rouillée dépendent d’un ravitaillement extérieur pour survivre, mais les missions de ravitaillement et de rotation du Sierra Madre sont devenues un déclencheur fréquent de conflits diplomatiques entre Manille et Pékin. En juin, un marin philippin a perdu un pouce lorsque des garde-côtes chinois armés de couteaux et de bâtons ont empêché une tentative de la marine philippine de réapprovisionner ses troupes.
Les deux pays sont toutefois convenues en juillet d’un « arrangement provisoire » pour le réapprovisionnement des troupes philippines stationnées à Second Thomas.
« Les Philippines et la République populaire de Chine sont parvenues à un accord sur un arrangement provisoire pour le réapprovisionnement en produits de première nécessité et des missions de rotation » vers l’atoll Second Thomas, avait indiqué le ministère philippin des Affaires étrangères. Les détails de l’accord n’ont pas été fournis par le ministère qui a déclaré que les deux parties reconnaissaient la nécessité de « désamorcer la situation en mer de Chine méridionale et de gérer les différends par le dialogue et la consultation ».
Mais Manille doit désormais relever un autre défi : celui de ravitailler ses troupes installées près de l’atoll Sabina, à 60 kilomètres à l’est de Second Thomas.
« Si nous perdons l’atoll Escoda, la Chine pourra facilement (…) empêcher l’opération de réapprovisionnement que nous avons l’intention de mener sur l’atoll d’Ayungin, car elle pourra nous bloquer des deux côtés », explique le contre-amiral Jay Tarriela, un porte-parole des garde-côtes philippins, en employant les noms philippins des atolls Sabina et Second Thomas.
À terme, l’objectif de Pékin est d’aller jusqu’à l’atoll Sabina, en grignotant la zone économique exclusive des Philippines et en normalisant peu à peu sa présence et son contrôle, selon les analystes.
La découverte, début 2024, d’amas de coraux broyés sur l’atoll Sabina fait craindre à Manille que Pékin n’envisage d’y construire un autre avant-poste militaire. Situé à seulement 140 km de l’île philippine de Palawan, l’emplacement de l’atoll Sabina est particulièrement stratégique.
« Si la Chine y accède, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne puisse, non pas envahir Palawan, mais exploiter des ressources dans cette zone », estime Andrea Wong, chercheuse à l’Institut pour les affaires indo-pacifiques en Nouvelle-Zélande.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle de 2012, lorsque Pékin a pris le contrôle du haut-fond de Scarborough, un anneau de récifs situé à 240 km de l’île philippine principale de Luzon, après un affrontement avec la marine philippine.
« Nous n’avons pas pu revenir en arrière dès que nous avons quitté Bajo de Masinloc », relate le contre-amiral Jay Tarriela, en utilisant le nom philippin du haut-fond. « Le commandant des garde-côtes philippins a été très clair : nous ne retirerons pas nos forces pour permettre à la Chine d’occuper de façon permanente (Sabina) ».
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