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En quête d’une nationalité autrichienne volée par les nazis

mai 3, 2021 11:40, Last Updated: mai 7, 2021 6:23
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Ils parlent rarement allemand, pour certains n’ont jamais foulé le sol autrichien mais bientôt 76 ans après la Shoah, ils ont accepté la main tendue du pays qu’avaient fui leurs aïeuls et récupéré une nationalité volée par les nazis.

« Pour moi, c’était crucial », confie l’Américaine Maya, 17 ans. Si elle a passé toute sa vie dans le Maryland, la lycéenne souhaitait recoller les morceaux de l’histoire toujours douloureuse de son arrière-grand-mère juive.

L’AFP a recueilli les témoignages de ces nouveaux citoyens de la République d’Autriche, bénéficiaires d’un changement de loi qui offre depuis le 1er septembre un passeport aux descendants des victimes de la Shoah.

Raisons affectives, devoir de mémoire, volonté de justice… Maya et Noah aux Etats-Unis, Gal en Israël, Tomas en Argentine ou Robert en Angleterre expliquent pourquoi ils ont fait ce choix.

Leurs récits commencent par des bribes de fuite parvenues jusqu’à eux.

Pour Stella Rinde Coburn, l’ancêtre de Maya Hofstetter, l’exil forcé a eu lieu en août 1939, après l’annexion par Adolf Hitler, le 12 mars 1938, de son pays natal au IIIe Reich.

-Un groupe de visiteurs participe à une visite de l’ancien cimetière juif de Waehring à Vienne le 18 octobre 2020 qui a souffert de négligence et de vandalisme. Photo par ALEX HALADA / AFP via Getty Images.

Le grand-père de l’Israélien Gal Gershon a quitté l’Autriche un an plus tôt. « Ce n’était pas sa décision », rappelle ce directeur des ventes pour le transporteur aérien El Al, âgé de 46 ans.

« A 13 ans, ses parents l’ont mis tout seul dans un bateau », direction un orphelinat en Palestine. Sans nouvelle de sa famille, il apprendra après la guerre que ses proches ont péri dans les camps.

Avant l’Anschluss, l’Autriche comptait 200.000 citoyens juifs. Plus de 65.000 d’entre eux ont été assassinés durant la Shoah. Pour survivre, l’immense majorité des autres a dû s’échapper, parfois jusqu’à Shanghai ou Buenos Aires.

Le père de Tomas Diego Haas a ainsi réussi à embarquer pour l’Argentine en soudoyant un diplomate, raconte ce sexagénaire sud-américain au métier très viennois: il est psychanalyste.

Quant au jeune Noah Rohrlich, 25 ans, qui vit à Washington, son grand-père est parti à 16 ans avant que la guerre n’éclate. Il intégrera Harvard en 1946, quatre ans après la mort de ses parents en camp de concentration.

-Noah Rohrlich, qui vient d’obtenir sa citoyenneté autrichienne, détient des documents appartenant à son grand-père Fritz Rohrlich, qui a fui le nazisme en Autriche, le 16 mars 2021, à Falls Church, en Virginie. Photo Olivier DOULIERY / AFP via Getty Images.

« On lui demandait chaque fois comment c’était de vivre à Vienne mais nous n’avions jamais de réponse très détaillée », déplore cet Américain aux courts cheveux noirs, qui montre à l’AFP le passeport à caractères gothiques de ses arrière-grands-parents Egon et Cilly, estampillé d’un imposant « J » rouge – pour « Juifs ».

Rares sont les réfugiés à avoir raconté les conditions de leur départ. Il fallait tirer un trait sur l’Autriche, tout reconstruire ailleurs.

Pour leurs descendants, obtenir la nationalité est souvent une manière de retisser des liens avec l’aïeul et le pays d’origine.

« Désormais, le fait d’être citoyen autrichien me donne le sentiment d’être plus proche de mon grand-père », affirme Noah, qui a choisi le même métier que lui – ingénieur.

Gal évoque « une émotion très forte »: « C’était une manière de boucler l’histoire, de la corriger en l’honneur de mon grand-père ».

-Un visiteur photographie l’entrée de la Berggasse 19 dans le 9ème arrondissement de Vienne, où se trouve l’appartement et l’ordination du psychologue Sigmund Freud, vu le 26 août 2020 à Vienne, en Autriche. Photo par ALEX HALADA / AFP via Getty Images. 

A son âge, Maya pourrait avoir d’autres préoccupations mais « le passé affecte le présent », dit-elle. « Il faut savoir d’où l’on vient pour espérer devenir quelqu’un de bien ».

Sa mère Jennifer Alexander, chercheuse en sciences sociales pour le gouvernement américain, parle aussi des motivations politiques: « mes grands-parents auraient été contrariés de voir l’Amérique de ces quatre dernières années », énonce-t-elle.

Le Britannique Robert G. W. Anderson, « enchanté » de renouer avec ses racines autrichiennes, justifie également sa démarche par le Brexit qui l’a « bouleversé », la Grande-Bretagne ayant quitté l’UE « pour toutes les mauvaises raisons ».

Prochaine étape pour ces nouveaux citoyens, visiter enfin l’Autriche, pays alpin de 8,9 millions d’habitants.

« Je n’y suis jamais allé et je veux ardemment m’y rendre, je l’espère avec mes enfants », lance Gal. Maya « rêve d’étudier là-bas, d’apprendre la langue, la culture ».

Robert Geoffrey William Anderson, conservateur à la retraite du British Museum et historien de la chimie, tient entre ses mains un décret de citoyenneté autrichienne qui lui a été accordé, à son domicile de Kings Lynn, dans l’est de l’Angleterre, le 12 mars 202. Photo par Lindsey Parnaby / AFP via Getty Images.

Noah voudrait y retrouver l’appartement de son grand-père. « Peut-être aussi faire un tour dans le parc Esterhazy, qui se trouve juste en face. Il y avait une patinoire qu’il aimait beaucoup, je ne sais pas si elle existe toujours ». 

Si la grande majorité des personnes rencontrées n’a pas l’intention de vivre en Autriche, la plupart veulent y voter, tenter d’y retrouver de la famille éloignée.

Certaines s’interrogent sur ce qu’auraient pensé les intéressés.

La naturalisation allait de soi pour Noah, convaincu que son grand-père aurait été « ravi ». Tomas, lui, imagine que son père « aurait eu des sentiments mitigés ».

« Il avait de merveilleux souvenirs de ses balades dans la forêt viennoise » ou de ses sorties à l’opéra « deux à trois fois par semaine », mais « il ne pouvait pas pardonner car on lui avait volé sa vie ».

« Je ne crois pas que mon arrière-grand-mère en aurait été très heureuse », réfléchit Maya. « Elle penserait qu’on l’a trahie. Ou peut-être pas à ce point-là mais qu’on se range du côté de ceux qui l’ont chassée ». 

Sur les centaines de milliers de descendants éligibles, plus de 1.900, principalement aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Israël, ont déjà obtenu le passeport, une porte ouverte vers l’Union européenne (UE) dont l’Autriche est membre.

Jusqu’alors, la nationalité ne pouvait pas leur être transmise, regrette Hannah Lessing, secrétaire générale du Fonds national autrichien pour les victimes du national-socialisme.

Face à ce qui était perçu comme une injustice, « il était de notre devoir de répondre à leur souhait avec humilité », souligne pour l’AFP le chancelier conservateur Sebastian Kurz, à l’origine de la réforme.

« Soyons bien clairs: rien ne peut effacer la douleur. La seule chose qu’on peut faire, c’est demander franchement pardon. Je suis ému de constater que ce geste de réconciliation est largement accepté », réagit le chef du gouvernement.

Les familles interrogées par l’AFP ont salué cette initiative et l’accueil chaleureux qui leur a été offert par le personnel des représentations diplomatiques présentes dans leur pays.

Comme si au bout de trois générations, l’Autriche avait pris conscience de la violence de son histoire.

L’Allemagne, désireuse de « s’excuser d’une profonde honte », lui a emboîté le pas en mars, décidant de faciliter les démarches.

Pour l’historien Oliver Rathkolb, ce changement d’attitude est « un signal important », qui montre que la société « prend au sérieux les conséquences de la Shoah » sur le long terme.

Longtemps, l’Autriche a tenté de se faire passer pour une victime du nazisme, niant la complicité de nombre des siens dans les crimes du IIIe Reich, même si sept lois de restitution (œuvres d’art, biens immobiliers…) ont été votées juste après le conflit.

Un regard critique a commencé à s’exercer au milieu des années 1980, lors de la candidature à la présidence de la République de Kurt Waldheim, un ancien officier de la Wehrmacht.

Mais c’est aussi en 1983 que le parti autrichien de la Liberté (FPÖ), créé en 1956 et dirigé dans ses premières années par un ex-officier de la Waffen-SS, a fait son entrée au gouvernement pour la première fois.

Il a de nouveau dirigé le pays en coalition entre 2000 et 2005, puis entre 2017 et 2019, période pendant laquelle cette nouvelle loi sur la nationalité autrichienne a été adoptée dans un large consensus politique.

Les visiteurs se tiennent dans la salle d’étude de l’appartement du psychologue Sigmund Freud à Vienne, Autriche le 26 août 2020. Photo par ALEX HALADA / AFP via Getty Images. 

Après avoir longtemps refusé ce qu’elle qualifiait d’autoflagellation, l’extrême droite autrichienne a nuancé sa position d’opposition frontale pour finalement soutenir les initiatives de réparation, dans une démarche de « dédiabolisation ».

Depuis Buenos Aires, Tomas Diego Haas se remémore amèrement la froideur du fonctionnaire qui l’avait reçu, lorsqu’il avait tenté de réclamer des papiers il y a quelques années à Vienne.

« L’employé m’avait répété trois fois, avec une sécheresse exagérée, que j’étais le fils d’un Argentin. C’était horrible, il ne voulait pas entendre que mon père et avant lui mon grand-père étaient Autrichiens ».

Désormais, les Autrichiens majoritairement catholiques, qui doivent beaucoup de leur rayonnement culturel aux Juifs, ont à cœur de dire à leurs enfants qu’ils ne les ont « pas oubliés », qu’ils peuvent « revenir quand ils veulent », souligne Hannah Lessing.

C’est grâce à sa minorité juive que Vienne devint le creuset artistique de l’Europe, à partir de la fin du XIXe siècle.

L’écrivain Stefan Zweig, le psychanalyste Sigmund Freud, le musicien Arnold Schönberg… la majorité des intellectuels qui ont fait la renommée de la capitale de la Mitteleuropa était issue de la bourgeoisie et des classes moyennes juives assimilées.

Robert Geoffrey William Anderson, conservateur à la retraite du British Museum et historien de la chimie, joue sur un piano à queue appartenant autrefois à ses arrière-grands-parents chez lui à Kings Lynn, dans l’est de l’Angleterre, le 12 mars 2021. Photo par Lindsey Parnaby / AFP via Getty Images.

Un « monde d’hier » comme l’écrit Zweig, dont surgit le « so British » Mister Anderson, qui reçoit dans sa maison à King’s Lynn, garnie de meubles viennois.

A 77 ans, pull vert et beau costume, il est un pur produit de cette élite austro-hongroise: son grand-père était à la tête d’une importante compagnie pétrolière et a fui à Londres avec toute sa famille.

En digne héritier, le petit-fils a pris la direction du British Museum en 1992. On lui doit avec d’autres le Queen Elizabeth II Great Court, la spectaculaire cour intérieure conçue par Norman Foster et inaugurée par la Reine à l’occasion de l’an 2000.

Et si ce n’est pas la langue, tous ont gardé quelque chose de l’Autriche.

Gal raconte que son grand-père, qui ne « partageait jamais ses souvenirs d’enfance », lui a transmis son goût des « Marillen Knödel », des quenelles d’abricot enrobées de chapelure, recette typique de la vallée de la Wachau. Aujourd’hui, il les cuisine souvent à ses enfants, comme « un petit hommage à sa mémoire ».

Robert Anderson a un piano viennois centenaire, de la marque Bösendorfer; Tomas Diego Haas une veste en loden achetée à l’occasion de son premier séjour à Vienne.

« Mon père me disait que je ne comprendrai jamais Freud, parce que je le lis en espagnol », s’amuse-t-il, mais « j’ai une culture et une éducation autrichiennes », résume Tomas. « J’ai toujours été Autrichien, je m’y sens à la maison. La différence, c’est que maintenant, l’Autriche le reconnaît« .

 

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