« Tu renforces ta bande en éliminant une menace extérieure, et en plus tu en retires du prestige »: les règlements de compte meurtriers entre bandes des « quartiers » ébrèchent le pacte d’égalité sur lequel s’est bâtie la social-démocratie suédoise.
Le prix du sang, Eddy Paver aurait pu le payer pour son appartenance à une « famille » dont les liens sacrés entre ses membres obligent à une loyauté absolue.« L’idée c’est de renforcer la communauté et montrer qui est le plus fort, le plus courageux », explique à l’AFP l’ancien taulard de 47 ans d’origine croate aujourd’hui sorti du milieu.
En 2018 en Suède, plus de 300 fusillades ont fait 45 morts et 135 blessés, alors que le taux global d’homicides volontaires est l’un des plus faibles au monde (1 pour 100.000), selon les chiffres de la police. Les fusillades mortelles sont en régulière augmentation et ont atteint l’an dernier un niveau record. Mais 2019 pourrait être une nouvelle année noire: Stockholm a enregistré autant de tués sur les six premiers mois de l’année que sur l’ensemble de 2018.
Une majorité des tireurs et des victimes sont de jeunes hommes de moins de 30 ans, sans emploi, souvent sans diplôme de fin d’études secondaires, habitant des quartiers défavorisés. « Si tu as l’impression d’être en dehors de tout, tu as du mal avec la langue [suédoise], et tu vois ces types qui vendent de la drogue, ils ont des chaînes en or, ils conduisent des voitures clinquantes, ils ont les filles, ce n’est pas difficile de trouver sa place », raconte Eddy Paver.
Comme dans les autres métropoles d’Europe, la Suède a ses enclaves, au bout des lignes de métro, le long des périphériques. D’autres « quartiers », où pourtant sévit la violence, se dressent non loin des centres. Les bâtiments sont globalement salubres, les écoles correctement dotées, les rues propres, fleuries.
Mais la détresse sociale, le chômage, la forte densité de population d’origine étrangère nourrissent la relégation, le décrochage scolaire, l’économie parallèle. « Une partie des règlements de compte sont liés au trafic de drogues, aux conflits internes et aux dettes d’argent. Mais souvent c’est une question d’honneur, de petites copines par exemple. Le niveau d’offense justifiant des représailles et assez bas », analyse Gunnar Appelgren, commissaire de police à Stockholm.
« Les bandes n’ont pas de recours institutionnel pour régler les conflits. Le mobile objectif d’un règlement de compte n’est pas essentiel. Il s’agit de sauver la face », explique Torbjörn Forkby, professeur de sciences sociales. La capitale et la région de Malmö (sud) sont les plus touchées, même si la violence gagne aussi les villes moyennes.
Importée des Balkans pour des sommes dérisoires, l’arme de prédilection des bandes est la Kalachnikov, qui se revend entre 2.500 et 3.500 euros. « Plus cher en cas de conflit ouvert », souligne Gunnar Appelgren. Funeste singularité suédoise dans la guerre des gangs, les comptes se règlent aussi à coups de grenades et d’explosifs.
Le 7 juin, une explosion a ravagé les façades de deux immeubles résidentiels à Linköping, à deux heures de route de Stockholm. Miraculeusement, elle n’a pas fait de blessés graves. Des expériences ont permis, localement, de faire baisser la tension. Malmö a adopté le programme « Group Violence intervention » (GVI) qui a fait ses preuves à Boston ou La Nouvelle-Orléans. Ses retombées sont encore incertaines.
L’opposition de droite et d’extrême droite fustige le « laxisme » du Premier ministre social-démocrate Stefan Löfven aux affaires depuis 2014, réclamant notamment la suppression du « rabais » d’incarcération dont bénéficient les jeunes de moins de 21 ans condamnés dans ces affaires.
« Ces violences sont en train de ronger notre société et la Suède telle qu’elle devrait être », a lancé le député conservateur Johan Forssell lors d’un débat sur les bandes au parlement. A la réponse uniquement répressive, le gouvernement dit souhaiter la mobilisation conjointe des acteurs de la société civile et des forces de sécurité.
« On ne peut éradiquer les règlements de compte et les bandes criminelles qu’en s’attaquant à la racine, à condition de conjuguer l’action de la police aux efforts des services sociaux et à l’école », plaide Stefan Löfven. Eddy Paver, qui travaille maintenant dans un centre de désintoxication, estime lui aussi insuffisante la réponse pénale.
« On ne peut pas résoudre le problème à coup de peine de prison. Les peines pour possession illégale d’armes ont augmenté et ça n’aide absolument pas. Il faut commencer plus tôt avec l’école« .
E.T avec AFP
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