Épuisé par la répression menée dans la région à majorité kurde de Turquie, Ali votera dimanche pour le principal opposant au président Recep Tayyip Erdogan.
« Il est temps de changer », déclare à l’AFP cet habitant de Diyarbakir (sud-est), la « capitale » officieuse des Kurdes de Turquie. « Pour quiconque regarde la télévision, les Kurdes sont des terroristes », déplore le quinquagénaire, qui refuse de décliner son nom complet par crainte de représailles. Sans le nommer, Ali explique qu’il votera pour Kemal Kiliçdaroglu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), à la tête d’une coalition de six partis. « Mais je mentirais si je disais que je (lui) fais entièrement confiance », confie-t-il.
Privés de leurs droits à la culture et à leur langue
Les Kurdes – environ un cinquième des 85 millions d’habitants – ont été persécutés dans la Turquie post-ottomane créée par Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur du CHP. La république moderne a nié l’existence même de la communauté, privant les Kurdes de leurs droits à la culture et à leur langue. Lors de son arrivée au pouvoir en 2002, le parti AKP (islamo-conservateur) du président Erdogan a été populaire parmi les Kurdes, en recherchant un accord pour mettre fin à la lutte sanglante des Kurdes pour leur autonomie.
Mais l’échec de ces pourparlers en 2015 a conduit à la reprise du conflit armé opposant l’État turc au PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, groupe armé qualifié de terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux. Le principal parti prokurde de Turquie, le HDP, a aussi fait les frais de ce regain de tensions, accusé d’être lié au PKK.
« Diyarbakir est devenue une prison à ciel ouvert »
Selahattin Demirtas, sa figure de proue, est emprisonné depuis fin 2016 pour « propagande terroriste », et le Parti est menacé de fermeture. Après de longues tractations, le HDP a appelé fin avril à voter pour Kemal Kiliçdaroglu, un soutien qui pourrait s’avérer décisif pour l’opposition. Mehmet Emin Yilmaz, keffieh traditionnel sur la tête, suivra la consigne du parti, troisième force politique du pays : « Je suis kurde. Le HDP défend mes droits. Si la police me détient injustement, le HDP prendra soin de moi », fait valoir le sexagénaire. Malgré l’approche des élections présidentielle et législatives, les rues de Diyarbakir semblent insensibles à la fièvre électorale.
« Les gens sont sous pression, il y a des caméras partout. Si plus de deux personnes se trouvent ensemble, un policier en civil surgit immédiatement », affirme Erdem Unal, responsable local du CHP. « Diyarbakir est devenue une prison à ciel ouvert ». L’alliance nouée récemment entre Erdogan et le Hüda-Par, formation d’extrême droite, a également rouvert des plaies.
Le Hüda-Par est lié au mouvement kurde Hezbollah – distinct du groupe chiite libanais du même nom –, composé d’islamistes sunnites et impliqué dans les meurtres de militants kurdes et féministes dans les années 1990.
Erdogan en baisse dans les sondages
Certains analystes ont vu dans le Hezbollah kurde un outil des autorités pour combattre l’insurrection du PKK. Pour Eyüp Burç, fondateur de la chaîne de télévision prokurde IMC, désormais fermée, le soutien d’Erdogan au Hüda-Par trahit sa crainte de perdre des voix y compris chez les Kurdes les plus conservateurs. « Les sondages montrent environ 15% de soutien à Erdogan à Diyarbakir et ça continue de fondre », relève-t-il.
Le CHP dirigé par Kemal Kiliçdaroglu est presque invisible à Diyarbakir, mais le candidat de 74 ans s’attire des sympathies en raison de sa foi alévie – et de son identité kurde, même discrète. La plupart des Kurdes le surnomment « Piro », qui vient de « pir », mot kurde qui signifie grand-père et décrit également un chef religieux alévi.
Des réserves à l’égard de Kemal Kiliçdaroglu
Les Kurdes conservent toutefois des réserves à l’égard de Kemal Kiliçdaroglu, qui a soutenu les incursions menées en Syrie depuis 2016 par l’armée turque contre des groupes armés kurdes. Gülistan Atasoy Tekdemir, coprésidente du HDP à Diyarbakir, attend du « courage » de la part du candidat de l’opposition, prévenant que le soutien de son parti ne lui est pas acquis.
Abbas Sahin, dont le Parti de la gauche verte représentera les candidats du HDP aux élections législatives pour parer à sa possible interdiction, forme cependant le vœu que le double scrutin du 14 mai permette de jeter Erdogan « dans la poubelle de l’histoire ».
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