Si la libération de plusieurs opposants russes d’envergure à l’issue d’un vaste échange entre la Russie et les Occidentaux a suscité la joie dans les milieux anti-guerre européens, en Ukraine, leurs premières déclarations ont jeté un froid.
Lors d’une conférence de presse tenue en Allemagne au lendemain de leur libération, les opposants Vladimir Kara-Mourza, Ilia Iachine et Andreï Pivovarov ont tous les trois notamment appelé à « recalibrer » les sanctions occidentales pour qu’elles visent le régime de Vladimir Poutine et non les Russes ordinaires.
M. Iachine, qui était derrière les barreaux en Russie pour ses dénonciations répétées des crimes russes en Ukraine, a lui estimé que Kiev devait négocier avec Moscou pour épargner des vies.
Des propos qui ont fortement irrité en Ukraine. « Je ne crois plus aux bons Russes (…), mon instinct était le bon », a tranché sur Telegram la députée Iryna Gerachtchenko, en critiquant ces remarques.
« Libérer la Russie » de Vladimir Poutine
Pour Andriï Iermak, chef de cabinet du président Volodymyr Zelensky, « l’objectif commun de tous les Russes devrait être de libérer la Russie du dictateur fou Poutine et de son régime, et non de lutter contre les sanctions ».
« Les sanctions devraient être renforcées tant que la Russie poursuivra son agression armée (…) Les sanctions sont ce qui freine la machine militaire du régime », a-t-il martelé.
Des analystes ukrainiens ont même assuré qu’ils craignaient que la voix des opposants russes libérés et leur médiatisation ne pèsent dans la politique occidentale à l’égard de la Russie, créant des tensions avec l’Ukraine.
Il sera ainsi difficile d’exiger un renforcement des sanctions lorsque les symboles de l’espoir démocratique de la Russie en demandent l’allégement, veut ainsi croire Maria Zolkina, chargée de recherche à la London School of Economics (LSE).
Pour M. Kara-Mourza, pourtant partisan de longue date des sanctions contre la Russie, les restrictions adoptées depuis 2022 devraient frapper le régime de Vladimir Poutine et non les citoyens ordinaires pour ne pas servir la propagande du Kremlin présentant un Occident haïssant les Russes pour ce qu’ils sont et non pour la politique que mène leur État.
Une « impasse sanglante » des deux côtés
Quant à Ilia Iachine, qui a aussi critiqué l’échange de prisonniers dont il a fait l’objet, il a estimé que l’Ukraine devait s’assoir à la table des négociations car « la situation est dans une impasse sanglante avec des morts des deux côtés ».
Face à la colère suscitée par ses propos, M. Iachine a réitéré le lendemain son opposition à l’invasion « criminelle et barbare » de l’Ukraine par la Russie dans une vidéo de deux heures diffusée sur YouTube. « J’ai donné deux ans de ma vie pour avoir dit la vérité sur la guerre en Ukraine », a-t-il déclaré aux Ukrainiens : « Je ne suis pas votre ennemi ».
Ces tensions révèlent à quel point les attentes envers l’opposition russe ont changé depuis le début de la guerre. En février 2022, M. Zelensky avait espéré qu’un mouvement anti-guerre émerge pour renverser Vladimir Poutine, ou du moins l’amener à abandonner son invasion.
Le lendemain de l’entrée des troupes russes en Ukraine, il s’était adressé aux milliers de Russes descendus dans la rue pour protester. « Nous vous voyons. Cela signifie que vous nous entendez (…) Battez-vous pour nous, battez-vous contre cette guerre », avait-il dit, en russe.
Le mouvement de protestation avait été rapidement réprimé par les autorités, et des milliers de critiques ont été menacés, sanctionnés ou emprisonnés.
Plus aucune sympathie pour l’opposition russe
Plus de deux ans plus tard, l’opposition russe ne suscite plus guère de sympathie en Ukraine, même si elle affirme que la plupart des Russes sont opposés à l’invasion.
« Les Ukrainiens craignent à juste titre que l’accent mis sur les rêves de démocratie russe ne détourne l’attention de l’aide apportée à l’Ukraine pour gagner la guerre », explique Sam Greene, professeur de politique russe au King’s College de Londres.
Répondant aux critiques, M. Kara-Mourza a admis que la société russe partageait « la responsabilité de ce que fait le régime de Poutine ».
« On ne peut pas permettre à Poutine de gagner cette guerre. L’Ukraine doit gagner, et les pays occidentaux devraient la soutenir davantage pour que cela se produise », a-t-il assuré à la BBC.
Pour de nombreux Ukrainiens, leur position est aussi claire. « Ce n’est que justice que chaque Russe paie pour cette guerre. Les Russes doivent assumer une responsabilité collective », assène Iryna Gerachtchenko.
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