« On ne tourne jamais la page » : si aujourd’hui 80% des enfants atteints d’un cancer guérissent, les séquelles restent et peuvent même surgir des décennies après la rémission, prenant souvent au dépourvu des malades devenus adultes.
La vie de Cécile Favré, 47 ans aujourd’hui, a basculé à l’adolescence. À 16 ans, on lui diagnostique un sarcome d’Ewing, un cancer osseux. Son cancer est traité par neuf mois de chimiothérapie, une autogreffe, l’ablation d’un os de la hanche et un traitement orthopédique.
Trente ans après, les séquelles sont toujours là. Pour les anciens petits patients devenus adultes, « il y a constamment une épée de Damoclès au-dessus de notre tête », confie-t-elle à l’AFP. « Je vis avec des douleurs en permanence, qui arrivent sous forme de pics. J’ai été infertile, eu une ménopause précoce, des problèmes d’audition, des tumeurs bénignes au niveau des reins, et tout le côté gauche de mon corps s’abîme ».
Des répercussions lourdes
Le cancer pédiatrique est rare : chaque année, quelque 2500 nouveaux cas sont détectés en France, soit 1% à 2% des cancers tous âges confondus, selon l’Institut national du cancer. Le taux de guérison dépasse désormais 80% grâce à des traitements efficaces, mais aux répercussions lourdes. Ainsi, « plus une dose de radiothérapie est importante, plus le risque de séquelles est élevé », explique Gianpaolo De Filippo, pédiatre et endocrinologue à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP). Problèmes cardiaques, rénaux, auditifs, hormonaux ou encore de fertilité… 75% des survivants déclarent des séquelles sévères ou invalidantes 35 ans après, selon le centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, près de Paris.
À 70 ans, Bernard Chesa souffre encore des séquelles de la maladie qui lui est tombée dessus il y a plus de 55 ans. En 1967, il a 15 ans lorsqu’on lui diagnostique un sarcome. « J’ai été traité à l’ancienne, par chirurgie, chimiothérapie et curiethérapie (une technique de radiothérapie où la source radioactive est placée à l’intérieur ou à proximité immédiate de la zone à traiter) », raconte-t-il. Les contrecoups surgissent plusieurs années après sa rémission : au fil du temps, ses gencives se sont dégradées jusqu’à laisser l’os de la dent apparent. Sa peau s’est tant affinée que les muscles à l’intérieur de l’une de ses joues ont fondu.
Un manque d’accompagnement
Depuis, la médecine a énormément évolué. « Avant, on était tellement content que ces enfants soient guéris qu’on ne pensait pas à autre chose », déclare le Dr De Filippo. « Aujourd’hui, on peut faire en sorte de limiter les séquelles : par exemple, chez les enfants pré-pubères, on a la possibilité de mettre de côté des tissus testiculaires et ovariens pour les congeler, afin de préserver la fertilité ». Mais au-delà des souffrances physiques, Bernard Chesa se souvient du manque d’accompagnement du corps médical. « Une fois soigné, on m’a dit ‘vous êtes guéri, débrouillez-vous!’ ».
Pour Cécile Favré, également présidente de l’association d’adultes guéris d’un cancer pédiatrique « Les aguerris », cette situation d’isolement et d’abandon de la part des médecins reste d’actualité. « Les adultes anciens enfants malades ne sont pas assez accompagnés. Cela crée une souffrance psychologique énorme ». Le Dr Gianpaolo De Filippo nuance : « Il peut y avoir des loupés en fonction des hôpitaux, mais en pédiatrie, on est très attentifs au patient. Aujourd’hui, le modèle de suivi français reste un exemple en Europe ».
« Se faire suivre sur le long terme »
Au sein de son association, Cécile Favré incite les adultes qui ont connu la maladie au début de leur vie à prendre « leur santé en main »: l’organisation sensibilise ces anciens patients aux séquelles possibles et les invite à se munir de leur dossier médical pour se faire suivre sur le long terme. « Et certains ont aussi besoin de raconter leur histoire pour avancer ».
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