Entreprises 2.0 : le bonheur est dans l’espace

avril 27, 2016 7:00, Last Updated: avril 27, 2016 23:40
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Pour mieux accueillir leurs employés sur leurs lieux de travail, les jeunes entreprises voient grand.

Les études sur le bonheur au travail se suivent mais ne se ressemblent pas. S’il paraît qu’à même job et même salaire, les employés français ont la réputation d’être plus « grognons » que leurs homologues à l’étranger, d’autres études comme celle d’OpinionWay pour Nextdoor montrent que près des trois-quarts des actifs français se sentent « plutôt bien au travail », et 38% « très bien ».

De manière générale, les enjeux du bien-être au travail éveillent de plus en plus l’intérêt des directeurs RH et managers d’entreprises. « Un employé heureux est un employé performant » semble être un nouveau code des jeunes entreprises : à grand renfort d’espaces aménagés, de flexibilité et de personnalisation, elles inventent une culture et apportent une réponse à des employés plus exigeants.

« Un processus de nidification »

Depuis la fondation des grandes entreprises, un certain modèle s’est installé : les administrateurs occupent les étages supérieurs, les bureaux s’alignent dans les étages, impersonnels et identiques, les espaces de circulation et de repos ne sont que des lieux transitoires. Le premier changement notable s’est opéré depuis l’apparition des bureaux ouverts ou semi-cloisonnés dans les années 60. Ceux-ci se développaient en même temps que la tertiarisation gagnait l’économie.

Dans un ouvrage résumant quatre ans de recherches menées par Haworth et Philips Lighting et le Royal College of Art de Londres, un constat prédomine : « Le modèle idéologique prévalent pour l’aménagement du lieu de travail est l’usine ». « Les projets d’urbanisme autour de l’environnement de travail sont traditionnellement colossaux et pensés sur le long terme ; ils devraient au contraire être envisagés de manière plus temporaire, plus fluide », indiquent les auteurs.

Deux observations peuvent justifier le renouvellement nécessaire des lieux de travail. D’une part, le fait de pouvoir travailler n’importe où depuis son ordinateur n’impose plus d’être derrière un bureau, et d’autre part, les interactions des individus sur l’espace de travail sont de plus en plus nécessaires et encouragées. Une prolongation « naturelle » des bureaux semi-cloisonnés, en quelque sorte : la machine à café n’est désormais plus au bout du couloir, mais au milieu d’un espace étudié pour le confort et l’échange. Les espaces communs sont réfléchis de manière à être de plus en plus accueillants, fonctionnels et personnalisés. Ils sont souvent ouverts et certains sont situés en extérieur.

D’après Gustave-Nicolas Fischer, professeur de psychologie sociale et auteur d’ouvrages sur le bien-être au travail, l’adaptation d’un employé à son espace peut être « interprété comme un processus de nidification, c’est-à-dire un style d’occupation qui transforme un espace donné en un chez soi. »

Différences culturelles

D’une manière générale, quand on évoque la culture 2.0, les regards ne tardent pas à se braquer sur les États-Unis, où l’on ne lésine pas sur le bonheur du salarié – parfois jusqu’à l’excès. On y trouve aussi bien de nouvelles professions et outils de management (voir encadré) que des idées innovantes. Par exemple, le walking-desk : fraîchement importé et adopté dans quelques entreprises françaises, ce tapis roulant équipé d’un ordinateur permet de travailler ou d’assister à une réunion tout en faisant de l’exercice.

« Les Français sont attachés à leur statut. »

-Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS

Il est cependant plus facile d’importer un outil qu’une culture. D’abord, les sommes investies dans les start-up californiennes sont bien plus élevées : grands espaces, campagnes de communication, réceptions, etc. Ensuite, les codes culturels sont différents. D’après Gaël Garreau et al., auteurs d’une thèse sur l’aménagement de l’espace de travail1, les préférences entre Américains et Européens sont bien différentes. Par exemple, concernant le statut, « aux États-Unis, pour un Américain, un bureau d’angle est plus prestigieux qu’un bureau situé près d’un ascenseur ; pour un Anglais, un lord est un lord, quel que soit son lieu de travail ou de résidence » ; au sujet du confort, un Américain apprécie une « porte ouverte » quand un Allemand préfère l’intimité d’une porte fermée.

Et les Français ? D’après les auteurs de l’enquête, « l’aménagement de tous les lieux de vie, grands ou petits » est perçu de manière à « entretenir les contacts ». « L’intensité du regard est réelle et recherchée, sans ambiguïté possible. Les Français aiment jouir de la totalité de leur espace. Tous leurs éléments environnementaux (voitures, cafés, parcs, etc.) sont sources de jouissance des perspectives et de la diversité des sens et des odeurs », indiquent-ils, citant Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS, « les Français sont attachés à leur statut (une personne = un travail = un statut = un bureau) ».

Les professionnels du « happy » débarquent

Venu tout droit des États-Unis, une nouvelle profession s’installe dans les milieux d’affaires : le « Chief Happiness Officer ». Son but : améliorer le quotidien des salariés en organisant soirées, sorties et évènements. L’explosion du nombre d’offres d’emploi de « Chief Happiness Officer » sur le site d’annonces Qapa, – presque 1000% entre 2014 et 2016 – en dit long sur les nouveaux besoins des entreprises, mais aussi de leurs employés. On trouve désormais ces « Chief Happiness Officers » un peu partout, des sociétés de technologie aux banques.

Le constat est simple : avec un taux de chômage de 4%, les cadres sont très recherchés. D’après Fabrice Coudray, directeur de Robert Half France, quand « un haut potentiel » dans la finance, le digital, la comptabilité ou les systèmes d’information se met sur le marché de l’emploi, il « se voit proposer au minimum 2 à 3 offres simultanément ».

Ainsi, de nouveaux services voient le jour au sein des entreprises adoptant la formule : pressing, douches, conciergerie… rien n’est trop beau pour attirer les talents ou pour donner des sources de motivation supplémentaires aux employés. À son cabinet de recruteur de talent, Fabrice Coudray voit depuis 4-5 ans de plus en plus de candidats qui « posent des questions très précises » sur ces prestations.

1 L’aménagement de l’espace de travail : entre théories et pratiques, quels sont les véritables enjeux pour les DRH ? Thèse de Gaël Garreau, Aurélie Lezer, Patrick Peres, Delphine Roy‐Boulestin, Stéphanie Sereni, université Dauphine, novembre 2009

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