Créée le 11 octobre 2022, la commission d’enquête parlementaire visant à établir les raisons de la perte d’indépendance et de souveraineté énergétique de la France a multiplié les auditions des acteurs clés du secteur de l’énergie ces derniers mois.
Près de 90 intervenants – experts, scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires, anciens ministres et présidents de la République – ont été entendus sous serment par les députés de la commission, retraçant 30 ans de politiques publiques dans le secteur de l’énergie.
Expert en politique énergétique et auteur de deux ouvrages consacrés au nucléaire (Nucléaire : les vérités cachées, 2021, Éditions du Rocher) et aux énergies renouvelables (Éoliennes : la face noire de la transition écologique, 2019, Éditions du Rocher), Fabien Bouglé a analysé les conclusions du rapport délivré par la commission d’enquête parlementaire début avril et les enjeux de la relance de la filière nucléaire française pour Epoch Times.
Epoch Times : Quels enseignements tirez-vous du rapport de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte d’indépendance et de souveraineté énergétique de la France ? Quelle est la part de responsabilité de nos dirigeants successifs dans la crise énergétique que nous connaissons ?
Fabien Bouglé : Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique a été rendu public le 6 avril dernier. Le premier enseignement est que depuis au moins 20 ans la politique énergétique de la France a fait les frais d’accords électoraux de court terme qui ont considérablement nui à notre souveraineté énergétique de long terme.
Cela a commencé avec la gauche plurielle, moment clef où le Premier ministre socialiste Lionel Jospin avait besoin pour gouverner des députés Vert arrivés à l’époque à l’Assemble Nationale. Résultat, le réacteur d’avant-garde français Superphénix est arrêté en 1997, fragilisant la filière nucléaire dans son ensemble. Progressivement, les accords électoraux entre la gauche et les partis prétendument écologistes ont conduit à une baisse graduelle du nucléaire en France jusqu’à l’arrêt de Fessenheim en 2019.
Alors que la France devait fermer des réacteurs nucléaires, les dirigeants d’EDF n’ont pas investi dans une filière qui n’était pas considérée comme d’avenir. Résultat, en 2022 la France a dû importer pour la première fois de l’électricité venant de l’étranger pour une quantité assez proche de la production de Fessenheim avant sa fermeture. Ces 20 ans de politique anti-nucléaire ont considérablement fragilisé la France au moment où son parc de centrales nucléaires aurait dû être un formidable outil de relance économique lors du choc gazier entamé en 2021.
C’est le constat édifiant d’un sabotage politique du nucléaire français que j’avais dénoncé dans mon livre Nucléaire : les vérités cachées, paru en 2021, qui a été officialisé par l’Institution parlementaire.
Le pire, c’est que les auditions parlementaires ont mis aussi au grand jour l’incompétence et la légèreté coupable des ministres anti-nucléaire qui ont participé à la politique énergétique de la France. Tous ces faits relèvent d’une extrême gravité et d’une forme de trahison de la France et des Français. Cela étant, la commission n’a fait que mettre en lumière des faits connus de tous les experts et spécialistes de la question et c’est là son mérite.
Le projet de loi d’accélération du nucléaire adopté par l’Assemblée nationale en première lecture courant mars acte notamment la suppression de l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité ainsi que la réduction des procédures et des délais pour construire au moins 6 nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR 2. Ce projet de loi est-il suffisamment ambitieux, selon vous ? Les objectifs de relance de la filière nucléaire française sont-ils à la hauteur des enjeux ?
La suppression de la baisse du nucléaire à 50% du mix électrique était un préalable indispensable à tout développement du nucléaire en France. Il a été également décidé que le mix électrique ne ferait plus l’objet de pourcentage d’objectif de mode de production comme cela était le cas auparavant. Cela va réduire l’importance et l’intérêt du déploiement des énergies intermittentes comme les éoliennes et les panneaux solaires.
La loi d’accélération du nucléaire était un enjeu majeur et je me réjouis qu’elle soit adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. C’est un bon début. Mais il faut aller beaucoup plus loin avec un plan Messmer 2, c’est-à-dire envisager la suite du plan nucléaire lancé en 1974 après le choc pétrolier par le Premier ministre éponyme. Nous devons envisager la construction d’au moins 50 nouveaux réacteurs nucléaires.
Il y a de nombreuses réformes à adopter pour soutenir EDF. Il faut supprimer l’Accès régulé au nucléaire historique (Arenh) qui oblige EDF à brader son électricité nucléaire à des concurrents, ce qui lui a coûté plus de 28 milliards en 2022. Il faut quitter le marché européen de l’électricité pour le mieux ou modifier son mécanisme pour éviter que notre prix de marché dépende du prix du gaz en vertu du mécanisme européen du « merit order ».
Il faut d’urgence arrêter d’investir dans les énergies intermittentes éoliennes et panneaux solaires qui fragilisent notre mix électrique et nos réseaux, et surtout remercier les collaborateurs anti-nucléaire installés dans nos entreprises énergétiques. Bref, c’est un très grand plan de réforme que j’appelle de mes vœux.
En 2022, EDF a enregistré une perte record de 17,9 milliards d’euros et sa dette s’élève désormais à 64,5 milliards. Comment s’expliquent ces résultats ? L’énergéticien a-t-il les moyens de redresser la barre et d’atteindre les objectifs de relance de la filière nucléaire établis par le chef de l’État ?
Les résultats d’EDF en 2022 sont la conséquence de l’indisponibilité d’un grand nombre de réacteurs nucléaires en raison d’un principe de précaution poussé à l’extrême avec les fameuses corrosions sous contrainte. Le résultat est que nous avons produit 80 térawattheures de moins que l’année dernière. Comme le prix spot était de 275 euros le mégawatheure en moyenne sur l’année 2022, le manque à gagner a représenté 22 milliards d’euros.
Si l’on prend en compte les 120 térawattheures dilapidés au titre de l’Arenh et vendu à 42 euros le mégawattheure, le manque à gagner représente 28 milliards. À ceci s’ajoute le fait qu’EDF ne peut pas vendre sur le marché l’électricité d’origine éolienne, ce qui représente un manque à gagner de 7 milliards. Tout confondu, le manque à gagner pour EDF a représenté en 2022 – compte tenu de l’explosion du prix spot – un montant total de 57 milliards d’euros.
On pourrait me rétorquer que si les centrales nucléaires avaient toutes fonctionné en 2022, le prix spot aurait été inférieur et donc le manque à gagner plus faible. Mais comme le prix de marché électrique est indexé sur le prix du gaz et que ce dernier est resté très élevé en 2022, il est probable que même avec la disponibilité de nos centrales nous aurions eu un prix spot encore très élevé.
Ce qui fait que l’on peut estimer entre 40 et 57 milliards le manque à gagner global d’EDF en 2022. Cette perte est due essentiellement à une politique énergétique scandaleuse qui va à l’encontre des intérêts supérieurs de notre pays et le fruit de cette politique de trahison dévoilée par la commission d’enquête.
Le gouvernement souhaite doubler les capacités de production d’électricité renouvelable d’ici 2030. Une loi visant à simplifier les procédures de déploiement de parcs éoliens et solaires a été promulguée le 10 mars 2023. Quelle est la place à accorder aux énergies renouvelables dans le mix énergétique français, selon vous ? Sont-elles complémentaires du nucléaire ?
Nous devons impérativement stopper en urgence l’installation d’éoliennes en mer et sur terre, et de panneaux solaires. Leur intermittence nuit au bon équilibre de notre réseau électrique, obligeant à intégrer de l’électricité instable dans un réseau solide et fiable organisé autour des centrales nucléaires.
N’oublions pas que les énergies intermittentes sont prioritaires dans le réseau. Les chiffres de la part du mix des éoliennes n’intègrent pas les baisses de production électrique nucléaire que nous avons dû réaliser pour l’intégration dans le réseau de cette électricité aléatoire et non pilotable. C’est pourquoi je plaide non seulement pour l’arrêt de ces installations, mais également pour le démantèlement des installations existantes afin de sécuriser notre système électrique dans son ensemble.
D’ailleurs, aucune entreprise en Europe ne produit de panneaux solaires et la Chine vient de mettre en place une loi bannissant les exportations de terres rares, ce qui va détruire la filière industrielle éolienne du Danemark et de l’Allemagne. Nous n’avons aucun intérêt à alourdir notre déficit commercial.
Pour montrer à quel point les éoliennes ne sont vraiment pas une solution, il suffit de calculer combien d’éoliennes il faudrait pour compenser la production d’une seule centrale nucléaire. La centrale de Bugey a produit 20 térawattheures ces dernières années. Pour produire cette quantité d’électricité, il faudrait installer 5400 éoliennes terrestres, soit les deux-tiers des 9000 éoliennes déjà installées en France. Et encore, il s’agit d’une électricité intermittente et imprévisible qui doit être compensée par des centrales à gaz lorsque le vent ne souffle pas.
On voit bien que les éoliennes ne répondent pas à notre besoin massif en électricité souveraine. Et les militants pro-éoliennes et anti-nucléaire qui propagent cette idée sont soit des menteurs soit des lobbyistes de la filière éolienne, et bien souvent les deux en même temps. J’ai pu dévoiler qu’en réalité la promotion du modèle éoliennes/centrales à gaz puis au charbon était le fait d’une guerre économique menée par nos voisins allemands contre notre modèle nucléaire décarboné.
En quoi l’Allemagne mène-t-elle une guerre énergétique contre la France ? Quels sont les leviers et les relais sur lesquels elle s’appuie pour faire valoir ses intérêts et gagner ce conflit ?
L’Allemagne est avec le Danemark leader dans les éoliennes et souhaite imposer son modèle énergétique aux autres pays européens. Pour cela, il faut détruire le nucléaire français. C’est pourquoi la guerre allemande contre le nucléaire français se fait à trois niveaux :
À l’échelle européenne, l’Allemagne a littéralement infiltré les institutions liées à l’énergie. Le départ de la Grande-Bretagne a en quelque sorte facilité la tâche de l’Allemagne, qui a opportunément investi tous les rouages décisionnels sur ce thème. Un rapport de l’École de Guerre Économique intitulé J’Attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie, explique parfaitement comment le pays anti-nucléaire a procédé à des opérations d’infiltration économique couplées à l’installation à Bruxelles de nombreux lobbys éoliens comme Agora-Energiewende. Les « négociations » actuelles sur la place du nucléaire montrent bien la forte pénétration des officines anti-nucléaire qui freinent le nucléaire décarboné français.
À l’échelle française, l’Allemagne a installé au sein même du ministère de l’Écologie une officine de promotion du modèle Allemand d’Energiewende : l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE). Cet organisme de droit allemand a son siège à Berlin, au ministère fédéral de l’économie et de la protection du climat, mais ses bureaux sont situés en France au sein de la Direction du ministère de l’écologie (DGEC) chargée justement de la politique énergétique de la France (Bureau MTE DGEC 26S29). Pour être clair, le lobby éolien allemand, qui comprend parmi ses membres Greenpeace, est installé dans le cœur du pouvoir énergétique français.
Enfin, il y a l’ensemble des officines dites écologistes en lien avec l’Allemagne qui agissent plutôt comme des mercenaires économiques visant à détruire l’image du nucléaire. C’est le cas de Greenpeace, qualifiée par Thibault Kerlirzin dans son livre Greenpeace : une ONG à double fond(s) de « mercenaire vert » n’hésitant pas à mener des opérations illégales d’intrusions dans nos centrales nucléaires, ou même pire à projeter un drone contre un réacteur nucléaire. Cette organisation, qui a des partenariats avec des fabricants d’éoliennes, couple ses actions avec des opérations juridiques de guerre économique à Bruxelles. Ces opérations visent à disqualifier le nucléaire vis-à-vis de l’opinion publique.
WWF également ne s’occupe pas que de pandas et mène une véritable offensive dont l’objectif est le démantèlement d’EDF afin de fragiliser la filière nucléaire française. On est loin de la protection des espèces protégées. Toutes ces officines sont en liaisons très étroites avec leur siège allemand. Et tous ces acteurs sont clairement mentionnés dans une brochure (pages 77 et 79) publiée par le ministère des Affaires étrangères allemand intitulée « Qui est qui dans l’Energiewende allemand ».
La France a pris l’initiative d’une alliance d’une dizaine de pays qui vise à favoriser la coopération nucléaire en Europe, rappelant que le traité Euratom est à la base de la construction européenne. Quels sont les enjeux des questions énergétiques pour l’avenir de la construction européenne ? La France et les pays européens favorables à l’atome sont-ils en mesure d’obtenir gain de cause ?
Comme vous l’avez souligné, le traité Euratom est un traité constitutif de l’Union Européenne. Ce traité, signé le même jour que le traité de Rome, en mars 1957, visait à mettre en place une coopération industrielle dans le domaine nucléaire des pays créant la Communauté économique européenne (CEE). L’atome et l’industrie nucléaire sont donc indissociables de la construction des institutions européennes. L’offensive en cours n’est pas simplement une guerre économique, c’est un véritable bouleversement extrêmement dangereux des fondations de l’Union Européenne. Je dirais même que c’est une guerre contre l’Europe.
Je crains que les Allemands ne jouent avec le feu par une idéologie anti-nucléaire irrationnelle au détriment de la paix en Europe. Il est évident que leurs actions contre le nucléaire français sont un danger pour la paix et pour la stabilité européenne. Le problème c’est que dépendante désormais du charbon pour coupler avec ses éoliennes, l’Allemagne est dans une situation de grande fragilité. De ce fait, elle ne souhaite pas que la France tire – avec ses centrales nucléaires – un avantage compétitif considérable.
Elle fait donc tout pour nous ralentir, mais cela est illusoire : la riposte est désormais bien entamée et la France n’est pas décidée à se laisser faire face à cette véritable agression économique.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.