Cofondateur du collectif Peuple libre, mouvement né en 2021 pour défendre les libertés publiques dans le cadre de la crise sanitaire, Rémi Tell est également l’auteur de plusieurs essais.
Il a récemment publié son quatrième ouvrage La Chute de Prométhée – Lettre à un démocrate américain, aux éditions Perspectives libres. Un livre dans lequel il s’adresse à l’un de ses anciens professeurs rencontré en 2015 dans le cadre d’un séjour à l’université d’Arizona, dans la ville de Tucson, aux États-Unis.
Dans cette lettre, nourrie de réflexions sur plusieurs événements majeurs (élection présidentielle américaine, crise sanitaire, guerre en Ukraine) survenus ces dernières années, l’auteur brosse le panorama de deux visions du monde contemporain que tout oppose.
Henri-Michel Thalamy : Ce nouvel ouvrage paraît quelques mois seulement après vos deux livres précédents, Vaincre le Covidisme et Paroles révoltées, également publiés aux éditions Perspectives Libres. Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?
Rémi Tell : La Chute de Prométhée est né d’une rupture amicale, sur fond de divergences idéologiques irréconciliables. Durant les trois dernières années, nombre d’entre nous ont été confrontés à de telles situations où la politique bouleverse jusqu’à nos liens les plus intimes. J’ai désiré faire le point sur ces désaccords, en tentant d’en retracer la cohérence et les enjeux.
Dans votre livre, vous fustigez « les adeptes de l’hygiénisme d’État » et la tentation de réduire la vie à la seule existence biologique. Que dit la crise sanitaire de l’évolution de notre rapport à la maladie, à la souffrance et à la mort ? Consacre-t-elle la prise de pouvoir de la science et de la médecine dans l’organisation de nos sociétés ?
La modernité a éloigné le tragique de nos vies : famines, guerres et épidémies ont peu à peu cédé la place au règne des plaisirs dans l’espace occidental. A bien des égards, c’est une formidable nouvelle, mais voilà aussi pourquoi il a suffi de si peu pour pétrifier nos contemporains au moment de la pandémie de Covid-19. Cette panique, alimentée à des fins politiques, a trouvé un semblant d’apaisement dans la pseudo-science. Etudes bidonnées, essais cliniques bâclés, déontologie jetée par-dessus bord…nous étions loin de Descartes et de Pasteur ! Les apôtres de la raison ont été particulièrement déraisonnables, précipitant la mort de centaines de milliers de personnes, victimes d’effets secondaires du « vaccin » ou laissées sans soins contre le Covid-19. La médecine n’a pas pris le pouvoir sur nos vies : ce sont les apparences qui s’en sont emparées. Cependant, il faut s’attendre à ce que la santé demeure le prétexte privilégié de toutes les ruptures : en effet, elle mobilise des affects si puissants qu’il est difficile de résister aux assauts de ceux qui prétendent parler en son nom…
Vous parlez également du rôle des médias de masse, notamment pendant l’épidémie de covid, que vous qualifiez de « machines à modeler la représentation du réel ». Quel regard portez-vous sur le rapport à l’information des médias de masse ? Participent-t-ils d’une forme de fabrique du consentement, selon vous ?
La crise que nous traversons est aussi une crise de l’information. De bonne foi, chacun présente ses faits, ses études… comment opérer le tri entre des données souvent contradictoires ? Les médias de masse devraient assurer ce rôle, mais lui préfèrent celui d’écho du pouvoir. Par paresse, par bêtise, mais aussi parce que leurs financements sont très dépendants de l’Etat, que ce soit via les subventions à la presse ou par la proximité d’intérêts entre actionnaires et politiques. Au bout du compte, ces échos identiques, incessants, intolérants à la moindre note dissonante, fabriquent un bain totalitaire dans lequel se noient la plupart des gens.
Vous soulignez aussi que l’usage du terme complotisme a fait florès pendant la crise sanitaire. Un terme qui permet, selon vous, de jeter le discrédit sur ceux qui ne partagent pas la même opinion à moindres frais. Que dit l’usage de plus en plus fréquent de ce terme de l’évolution du débat public ? Faut-il s’inquiéter de l’avenir de la libre expression ?
Il témoigne de l’abrutissement général. Evidemment, ce terme recouvre un objectif politique pour les comploteurs démasqués, qu’il s’agisse de médecins corrompus par l’industrie pharmaceutique ou de politiques français à la solde de Davos : museler l’accusation. Mais dans bien des cas, les procès en « complotisme » proviennent de personnes qui ne sont tout simplement plus capables d’appréhender les processus politiques dans leur globalité. Simone Weil l’avait prédit : nous nous sommes transformés en tacherons. La liberté d’expression en est la première victime…mais je crois que la vérité, notamment par l’intermédiaire des réseaux sociaux, n’est jamais étouffée très longtemps. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la censure signe avant tout l’extrême vulnérabilité du système qui la produit.
Vous évoquez également les fractures et les divisions nées parmi la population à la faveur de la crise sanitaire. Ces fractures laisseront-elles des stigmates durables, selon vous ? Comment refaire société, restaurer l’unité et la cohésion ?
Les masques sont paradoxalement tombés durant la pandémie… quand on a peur, on dévoile son véritable visage. Les plaies cicatriseront quand la Justice passera. Les coupables – que ce soit au niveau politique, médiatique ou industriel – devront être reconnus comme tels, de même que le préjudice – physique, psychique et économique – subi par les populations durant cette période lugubre. Une fois n’est pas coutume, je fais mien le slogan du mouvement Black Lives Matter : « sans justice, pas de paix ».
Vous expliquez aussi que la crise sanitaire « fut un grand test » et qu’elle a dévoilé « l’ampleur de notre effondrement civilisationnel ». Quels sont les principaux travers qu’elle a permis de mettre en lumière ?
La crise sanitaire a révélé l’état de décivilisation complet du monde occidental. L’interdiction de certains rites funéraires en est sans doute l’exemple le plus éloquent. J’observe d’ailleurs qu’au moment où le maintien de la vie semblait tout justifier, on a massivement euthanasié les personnes âgées en EHPAD et proposé de légiférer en faveur de l’avortement à 9 mois pour « détresse psychosociale »… Aucune société ne peut tenir sans principes. Nous sommes déracinés de tout terreau moral.
Votre ouvrage invite à réfléchir sur le progressisme, un courant de pensée qui traduit, selon vous, une forme de « fuite en avant vers le nihilisme » et qui constitue une « véritable menace ». Quels sont les principaux piliers sur lesquels repose ce courant de pensée ? En quoi représente-t-il une menace pour notre société ?
Le progressisme repose sur une doctrine de l’émancipation qui, poussée à l’extrême, se transforme en antimorale. Regardez les dérives de l’idéologie du genre, conduisant des enfants à subir traitements hormonaux ou mutilations sexuelles… En d’autres temps, on aurait envoyé les adultes complices de ces méfaits en prison, mais aujourd’hui ce sont les lanceurs d’alerte qu’on pointe du doigt. Cela m’amène au second pilier du progressisme : l’inversion accusatoire, arme indispensable pour réduire la contestation au silence et brouiller les repères éthiques. Enfin, le progressisme comporte évidemment une part de déréalisation, c’est-à-dire de rupture avec les choses telles quelles sont. A nouveau, l’idée délirante de pouvoir choisir librement son sexe illustre bien cet aspect du sujet.
Vous reprochez également aux générations nées après 1945, pendant le baby boom, « le manquement au devoir de transmission, ou plutôt l’abstention délibérée de transmettre ». En quoi le devoir de transmission est-il particulièrement important pour assurer la stabilité et la pérennité de notre société ?
Je suis profondément libéral, mais force est de reconnaître que le libéralisme commet une erreur grossière en supposant que la somme des individus forme le groupe et non l’inverse. C’est le groupe qui fait l’individu, au moyen de la transmission du langage, de rites, de croyances… Quand il n’y a pas de transmission, il n’y a pas d’individu. A la différence des animaux, l’être humain ne nait pas « fini ». Il doit passer par l’autre pour accéder à sa nature. Bref, une société sans transmission se condamne progressivement à la barbarie, notamment parce qu’elle oublie son Histoire. Comment ne pas le voir aujourd’hui, alors que les gouvernements occidentaux arment les disciples de Stepan Bandera en Ukraine…
À travers l’évocation du mythe de Prométhée, fil rouge de votre ouvrage, vous explorez notre rapport à la technique et à la modernité. Pourquoi avez-vous choisi d’évoquer ce mythe pour évoquer l’état du monde moderne ? En quoi doit-il nous inviter à réfléchir sur notre condition actuelle ?
Dans ce livre, je défends la thèse selon laquelle l’inconscient prométhéen, c’est-à-dire l’illusion d’une libération individuelle et collective par la technique, relie l’ensemble des crises que nous traversons. Nous l’observons de la bioéthique à l’écologie ou même de façon plus indirecte au travers du nouvel ordre géopolitique. L’Occident a tout misé sur l’émancipation par la technique, et cette logique se retourne aujourd’hui contre lui. Il ne s’agit pas de rejeter en bloc la modernité technicienne, mais de trouver pour elle un cadre préservant ses acquis nombreux tout en évitant la destruction et la dénaturation de l’Homme.
Dans un article intitulé L’homme et le fantôme paru dans L’Express en 1955, André Malraux explique que « toute la civilisation moderne […] a substitué un fantôme aux profondes notions de l’homme qu’avaient élaborées les grandes religions ». Il ajoute : « Le drame de la civilisation du siècle des machines […] c’est d’avoir perdu toute notion profonde de l’homme. » Dans votre ouvrage, vous évoquez aussi la question du déclin de la foi. Le retour de la transcendance, de la conscience du caractère sacré de la vie, est-il un préalable indispensable à l’émergence d’une société plus harmonieuse, où l’Homme retrouvera toute sa dignité ?
Sans le point de référence que constitue l’Absolu, le nihilisme l’emporte. Cet Absolu n’est pas forcément religieux. Certains le trouvent dans des idées par exemple, comme la République ou l’écologie radicale. Mais il est évident que la foi offre un appui plus solide que le concept. Sans préjuger de son existence ou de son inexistence, je crois donc que nous devrions nous comporter comme si Dieu était là. J’aime l’image d’un Homme « sel de la Terre ». Le sel est à la fois un conservateur et un exhausteur de goût : préserver ce que nous recevons et embellir le monde, voilà une enthousiasmante mission pour chacun de nous…
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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