Dans les 37 facultés de médecine en France, les étudiants viennent de faire leur rentrée. Le début des cours fournit l’occasion de revenir, plus sereinement, sur la question de la santé mentale des futurs médecins, après une année marquée par plusieurs drames.
L’an dernier, cinq internes – ces étudiants ayant déjà au moins six années d’études derrière eux – se sont donné la mort. Et 700 ont fait une tentative de suicide. Ce recensement implacable a été réalisé entre novembre 2016 et juin 2017 par l’Intersyndicat national des internes (ISNI), principal représentant d’un corps social plutôt discret comptant quand même quelque 30 000 personnes.
Derrière ces chiffres, on trouve un phénomène d’épuisement professionnel, dont la conséquence la plus grave est le suicide. Cet état semble se majorer au cours des années d’internat. Cependant, les symptômes dépressifs qui contribuent également au suicide sont présents dès le début des études. Signe que le problème doit être pris en compte bien en amont. Les causes sont connues, les solutions également. Ne manque plus qu’une prise de conscience générale.
Des étudiants en médecine avec un risque dépressif élevé partout dans le monde
La situation française n’est pas un cas isolé, le risque dépressif chez les étudiants en médecine étant élevé partout dans le monde. Une méta-analyse incluant 43 pays a évalué la fréquence des symptômes dépressifs chez ces derniers à 27,2 % et celle des idées suicidaires à 11,1 %. Ces chiffres ne variaient pas selon le pays concerné et étaient constants au cours des dernières années.
La France se situerait dans cette moyenne, d’après l’enquête menée par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) en 2016 auprès de 8 000 étudiants et jeunes médecins. Près du quart des répondants évaluait ainsi leur état de santé comme étant « moyen » ou « mauvais » et 14 % d’entre eux déclaraient avoir déjà eu des idées suicidaires.
Une étude réalisée au premier trimestre 2017 auprès de 22 000 étudiants et jeunes médecins dressait un tableau plus noir encore. Menée via Internet par plusieurs syndicats de jeunes médecins, elle utilisait l’auto-questionnaire HAD (en anglais, Hospital Anxiety and Depression scale), une échelle validée pour évaluer la souffrance psychique à l’hôpital et retraçant les symptômes dépressifs et anxieux au cours des sept derniers jours. Leslie Grichy, vice-présidente de l’ISNI, s’en est inquiétée en ces termes :
« [Ces résultats] sont pires que ce à quoi l’on s’attendait […] 66,2 % des jeunes soignants déclarent souffrir d’anxiété et 27,7 % de dépression […]. 23,7 % ont eu des idées suicidaires, dont 5,8 % dans le mois précédent l’enquête. »
Les étudiants en médecine présentent-ils un risque suicidaire plus élevé que d’autres ? Les études étant conduites avec des méthodologies, des périodes temporelles et des populations différentes, il est difficile de répondre simplement à cette question. Cependant, une étude américaine a pu montrer que le taux de symptômes anxiodépressifs était, à âge comparable, significativement plus élevé chez les étudiants en médecine et jeunes médecins que dans la population générale.
L’exposition à la souffrance et à la mort
Ces étudiants seraient davantage exposés aux risques psychosociaux du fait des spécificités de leur future profession. Plusieurs facteurs semblent en effet inhérents à la pratique et à la formation médicale, incluant l’exposition à la souffrance et à la mort des patients.
D’autres facteurs, par contre, sont modifiables. Le caractère hypersélectif du cursus médical a été incriminé, à l’échelle mondiale, comme pourvoyeur de symptômes anxieux. De son côté, le CNOM a pointé le manque de prise en charge des étudiants par la médecine universitaire ou la médecine du travail. Selon son étude, moins de la moitié des étudiants de second cycle et moins du quart des jeunes professionnels ont rencontré une structure préventive au cours des deux dernières années.
Les étudiants en général, et donc les étudiants en médecine, se soignent moins pour leurs difficultés psychiques, comparativement à la population générale. Ainsi, les études internationales indiquent que seuls 16,4 % des étudiants avaient reçu des soins pour leurs troubles dans les 12 derniers mois. La proportion était de 25,7 % pour la population générale en Europe et même de 37,5 % en France.
Plus de 70 heures de travail par semaine pour certains
Il existe également un lien fort entre temps de travail élevé et santé mentale, comme souligné par le CNOM. Or, « le temps de travail déclaré [par les internes] reste très majoritairement supérieur à 48 heures hebdomadaires. 39,9 % des répondants déclarent travailler entre 48 et 60 heures, 16 % entre 60 et 70 heures, et 8,6 % plus de 70 heures par semaine ». Les internes ont également des activités d’enseignement, de rédaction de thèse et parfois de recherche qui se surajoutent aux activités cliniques. Ces investissements semblent constituer des facteurs de risque, possiblement en raison de la charge supplémentaire de travail qu’ils produisent.
Cette surcharge de travail globale, outre l’épuisement physique et psychique qu’elle entraîne, compromet l’accès aux consultations médicales – 39 % des répondants de l’étude du CNOM déclarant n’avoir « pas le temps » de consulter un généraliste. Elle susciterait aussi une diminution du soutien social, en réduisant les moments informels d’échange avec les amis, avec les pairs ou les supérieurs hiérarchiques qui sont des facteurs protecteurs contre les troubles psychiques.
La quantité de travail importante dans les services hospitaliers empêche la supervision des étudiants par leurs aînés et conduit souvent les internes à prendre seuls leurs décisions. Cela intervient à un âge où l’autonomie de la pratique n’est pas encore totalement acquise, générant de l’anxiété. De plus, l’augmentation des tâches administratives dans les services est parfois perçue comme un travail inutile empiétant sur le temps clinique et contribue à l’émergence de symptômes anxio-dépressifs.
Des conséquences sur la qualité des soins au patient
Ces symptômes ont potentiellement des conséquences lourdes sur les soins apportés au patient. L’Isni souligne justement que « l’atteinte psychique peut entraîner […] une diminution de la qualité des soins prodigués ainsi qu’une augmentation du risque d’erreurs médicales ». Globalement, les retentissements en termes d’incapacité professionnelle, par exemple les arrêts de travail, peuvent avoir un impact économique non négligeable.
Des émotions négatives importantes par leur intensité ou récurrentes, peuvent constituer un facteur de transition – ou de rechute – vers un trouble psychique. Et ce d’autant plus qu’elles interviennent à un âge, celui du jeune adulte, où les pathologies anxiodépressives sont généralement majorées. Ce stress répété pourrait faire le lit de pathologies futures plus sévères et plus coûteuses pour la société que des mesures permettant de les éviter. Ces données sont donc à prendre en compte dans la logique d’une intervention préventive et précoce auprès de ces futurs médecins.
Des fragilités individuelles qui, autrement, seraient passées inaperçues
Le plus gros écueil, dans une réflexion sur la prévention, consisterait à expliquer le phénomène uniquement par des causes individuelles. S’il est évident qu’il existe des vulnérabilités personnelles aux symptômes anxiodépressifs, l’environnement stressant vient révéler des fragilités qui, autrement, seraient passées inaperçues. Un des défis, en santé mentale, est de surmonter la difficulté à penser conjointement les ressorts singuliers et ceux du collectif. Dans tous les cas, il demeure plus simple et plus efficace d’agir sur les causes environnementales, pour peu qu’elles soient clairement identifiées et modifiables, que sur des facteurs individuels par nature plus hétérogènes et difficilement accessibles.
Si les étudiants en médecine et les jeunes médecins sont à risque, peu en ont conscience. Et rares sont ceux qui sont entraînés à reconnaître les symptômes et à prendre les bonnes décisions, pour eux comme pour leurs confrères.
Plusieurs études ont été récemment entamées afin de mieux mettre en évidence les problèmes liés à la santé mentale des étudiants en France. Ainsi, l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), dans le cadre de la grande étude sur la santé des étudiants i-Share, et de son côté l’OMS, tentent de mesurer précisément les troubles, leurs évolutions au cours du temps et leurs conséquences. Les chercheurs veulent connaître l’impact de ces difficultés sur la capacité à étudier et identifier les facteurs qui pourraient permettre aux étudiants de mieux recourir aux soins.
Le CNOM a engagé de son côté une réflexion sur l’instauration d’un réel compagnonnage dans l’apprentissage du métier. Le compagnonnage y est décrit comme « un mode d’apprentissage qui repose sur la réalisation d’activités professionnelles en présence d’un pair qui transmet ses connaissances et son savoir-faire, en particulier par la démonstration, ainsi que les règles et les valeurs de l’organisation ». Dans cette définition le CNOM rappelle également « l’importance de la réciprocité dans les relations entre médecin et étudiant, chacun ayant des droits et des devoirs ». Les enseignants médecins ont donc officiellement la mission de se soucier de la santé de leurs étudiants.
L’organisation et l’évolution des techniques managériales est également questionnée. Au niveau organisationnel, il conviendrait d’améliorer l’efficience du système en dégageant le temps nécessaire pour les soins, en mettant les procédures administratives au service des patients et des médecins. Il est également recommandé d’adopter des relations professionnelles bienveillantes. En effet, une étude a pu mettre en évidence les effets non négligeables d’une communication dure au sein des équipes médicales, conduisant à de moins bons diagnostics et une qualité technique moindre des actes médicaux.
Autant d’initiatives qui devraient être soutenues par les pouvoirs publics, afin d’améliorer la qualité de vie à l’hôpital et de promouvoir les multiples démarches préventives possibles.
Boris Chaumette, Psychiatre, neurobiologiste, McGill University et Yannick Morvan, Maître de conférences en psychologie, psychologue clinicien, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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