Arturo Torres est un des seuls journalistes équatoriens à se pencher sur un phénomène mondial qui prend de plus en plus de l’ampleur dans nos sociétés : la désinformation. Ces recherches ont commencé en 2020, alors que les effets de la COVID-19 se faisaient sentir au niveau mondial. Il a alors démasqué 13 campagnes de désinformation qui agissaient simultanément. Poussées par des intérêts politiques, ces campagnes avaient comme objectif d’affaiblir le gouvernement du président de l’époque, Lenin Moreno. C’est sur Código Vidrio, site dont Torres est le co-fondateur, que celui-ci publia les résultats de ces recherches.
Le travail journalistique a révélé l’étendue d’un contenu alarmant et de choquantes vidéos à propos de la ville de Guayaquil qui firent le tour du monde. Nous avons vu qu’il y avait un lien et qu’il existait une machine à compte. Tout était bien planifié, rien n’était laissé au hasard. C’est alors que nous avons réalisé qu’il y avait beaucoup plus qu’il en paraissait, qu’il y avait une tête pensante et des personnes qui savaient très bien ce qu’ils faisaient, dit Torres. C’est ce qui en fait de la désinformation, non pas de la fausse information. Il est important de faire la distinction entre les deux : la fausse information est de l’information erronée partagée sans avoir une intention, tandis que la désinformation est transmise intentionnellement dans le but de tromper.
De plus, le journaliste souligne l’existence d’une expertise. Le succès est dû au fait que l’accent ait été mis sur l’entité responsable de la gestion de la pandémie — le gouvernement de Moreno — « oui, il a fait des erreurs, comme tous les gouvernements dans les premiers mois de la pandémie puisque l’on faisait face à une situation encore inconnue, mais cette situation a été grandement exagérée et amplifiée. Il y avait un objectif de nuire au gouvernement. »
Global Voices (GV): Arturo, comment peut-on l’expliquer à ceux qui ne sont pas familiers avec le sujet ? Dire que c’était de la désinformation nous donne l’impression que tout ce qui a été dit à propos de Guayaquil était un mensonge.
Arturo Torres (AT): Au début, c’était difficile de faire la distinction. C’est exactement en quoi consiste l’art de la désinformation, parce qu’on vous présente l’information comme étant délicate, avec une dose de vérité, un mélange de données véridiques et fausses. Cela alimente la désinformation et l’amplifie. Par exemple, dire qu’à Guayaquil, on brûle des corps. On brûlait effectivement des corps à Guayaquil, des corps qui étaient mis à la rue alors que personne ne venait les retirer des maisons. Puisqu’ils étaient une source de contamination, ils étaient mis à la rue, ce qui créa un débordement. C’est vrai. Mais c’est par la suite que les images furent mélangées entre elles. En effet, aux mêmes endroits, on brûlait des meubles qui étaient entrés en contact avec des personnes infectées par le virus. Puisqu’il n’y avait pas d’informations à ce sujet, les gens paniquaient ne sachant pas si le virus serait encore présent sur les objets qui avaient été touchés par ces personnes infectées. L’histoire était finalement qu’on brûlait les corps dans les rues de Guayaquil, ce qui était faux. En fait, ils utilisaient les images des corps, et les associaient avec les images des personnes qui brûlaient leurs meubles. Mais ce ne sont pas des corps qu’on brûlait. La même chose s’est produite avec les fosses communes, par exemple, alors qu’il y avait des rumeurs de fosses communes pour les corps alors que la situation semblait incontrôlable à Guayaquil. Ils utilisaient des images provenant d’autres pays avec une plus large population. L’objectif était de surestimer l’ampleur de la crise tout en montrant l’incapacité du gouvernement, surpassé et sans plan. Cela causa évidemment de l’anxiété et de l’inquiétude face à cette problématique qui était au cœur de nos vies à ce moment-là.
GV : Entre le moment où vous avez commencé à faire des recherches sur la désinformation en tant que journaliste au début de la pandémie et aujourd’hui, quelle est la situation au pays ?
AT : En Équateur, le gouvernement de Rafael Correa [2007–2017] a pris en charge la gestion de la désinformation. Ils étaient très méthodiques, on doit le reconnaître, ils partageaient plusieurs études, des informations appuyées par des données, ils mettaient toujours la réalité en contexte. Depuis 2010, ils voyaient déjà ce qui se dessinait au loin, le pouvoir qu’ils pouvaient en tirer et la pertinence des réseaux sociaux. Ils voyaient la transition des médias aux réseaux sociaux et ont commencé dès lors à travailler de façon durable, depuis 2012, à créer des comptes, arrimer les médias aux réseaux sociaux, contourner les grands médias traditionnels pour créer des comptes sur leur propre plateforme médiatique ainsi que sur Twitter, Facebook et Instagram – ce qui avait déjà débuté -, mais surtout sur Facebook et Twitter. Pourquoi ont-ils commencé à faire de la désinformation ? Surtout, parce que le gouvernement [de Correa] a commencé à persécuter des acteurs, des journalistes, des leaders sociaux et environnementaux et des activistes qui s’opposaient à lui. Ils ont donc commencé à les persécuter à partir de leurs propres plateformes médiatiques sur les réseaux sociaux […] C’est alors que débuta une campagne de diffamation contre les figures qui les gênaient. Il y avait un discours permanent de démonisation et d’accusations […] Le mouvement de l’ancien président Correa [correisme] est maintenant parmi un de ceux qui gèrent le mieux les réseaux sociaux. Il est toujours dans les plus lus sur Twitter. Chaque semaine, ses tendances se classent en première place sur Twitter. De plus, des schémas irréguliers et criminels ont été constatés, et c’est pourquoi des centaines de ses comptes Facebook et Twitter ont été fermés.
GV: Alors que la désinformation en Équateur a pris forme avec le Correisme, y a-t-il d’autres acteurs politiques qui utilisent ces pratiques à l’approche des élections locales prévues l’an prochain ?
AT: La désinformation s’est répandue comme un champignon. Pratiquement tous les politiciens ont recours à la même stratégie et engagent une agence de communications dans le but de divulguer des informations sur un candidat. Le troll center* est implicite, mais encore, fait partie du contrat. Ce modèle a été très efficace et avec la pandémie, l’exposition à tout ce qui est digital, comme nos téléphones cellulaires, est beaucoup plus importante celle des médias traditionnels. C’est ce qui définit une élection. Certains candidats sont devenus populaires sur les réseaux sociaux, et des plateformes comme Facebook, Twitter et TikTok les aidèrent à se rendre au deuxième tour [lors des élections nationales de 2021]. Cette pratique a commencé avec le Correisme et je crois qu’aujourd’hui, la majorité des candidats l’utilise.
GV : Est-ce que la désinformation est un phénomène avec lequel nous devons apprendre à vivre ?
AT : Oui, nous aurons à apprendre à vivre avec ce phénomène. C’est aussi ce qui se passe dans le monde réel des élections. Puisque les lois sont comme elles sont, celui avec le plus grand nombre de ressources économiques gagne pratiquement toujours, parce que nos institutions sont faibles et les gens sont facilement influençables. Je ne veux pas me concentrer sur l’Équateur, parce que c’est un phénomène qui est mondial. Nous avons vu ce qui s’est passé avec le Brexit, avec Trump aux É.-U. En d’autres mots, le fait de tomber dans l’émotion est seulement naturel. Les émotions sont plus fortes que la raison. Alors quand on trouve la voie pour atteindre les émotions à travers les réseaux sociaux dans le but de vendre une émotion comme étant un fait, nous sommes dans le monde de la fausse information…
GV : Pour finir, dans le cas de l’Équateur, existe-t-il des plateformes reconnues pour répandre plus de désinformation que les autres ?
AT : Oui, WhatsApp, parce que tout est partagé en groupes. C’est le moyen le plus utilisé pour la désinformation à cause de son caractère familier. Vous avez confiance en votre ami qui partage une information avec vous, alors vous ouvrez le contenu et il n’y a presque pas de filtres […] Je crois aussi que TikTok [est rempli de fausses informations]. TikTok a la forme de vidéos, mais comment filtrer la désinformation qui provient de vidéos? C’est plus complexe de filtrer la désinformation sur TikTok, une plateforme chinoise, que de la filtrer sur Facebook ou Twitter, qui ont d’ailleurs fait un plus grand travail à le faire. Mais sur TikTok, par son format, il est plus difficile de distinguer une information vraie d’une fausse information. Je crois que ce moyen sera le plus utilisé par les politiciens, et je n’aborde même pas encore Méta. C’est l’enjeu qu’amène le monde virtuel et ce qui arrivera avec Facebook en tant que réalité virtuelle. Ce sera un autre niveau de désinformation qui forcera les journalistes à sensibiliser leurs communautés. Tout de même, cette crise est aussi une opportunité, parce que, peu à peu, les gens commencent à reconnaître le chaos, le bruit. Les gens se familiarisent avec la désinformation, ce qu’elle cause et trouvent des moyens sérieux pour vérifier certaines données. C’est une pratique qui commence à gagner du terrain et qui renforce les médias à se doter d’un système de vérification solide.
*Note de l’éditeur : Un troll center est un groupe constitué d’utilisateurs qui veulent offenser et créer des conflits de manière intentionnelle en publiant en ligne des commentaires controversés et dénigrants.
Article écrit par Global Voices.
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