ARTS ET CULTURE

Escargots, bateaux et Césars : pourquoi le violet est la couleur de la royauté

Les origines visqueuses de la couleur préférée de la royauté sont révélées
juillet 10, 2024 17:15, Last Updated: juillet 11, 2024 1:07
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L’ancien empire des marins phéniciens reposait sur deux choses : le secret et les escargots.

Le mythe est le suivant : le dieu phénicien Melqart (qui est devenu avec le temps interchangeable avec Hercule) se promenait un matin au bord de la mer avec son chien et la belle nymphe Tyros. Le couple remarque que la gueule du chien, après avoir mordu un mollusque échoué sur le rivage, était devenue violette. La belle Tyros souhaitait être vêtue d’un vêtement de la même couleur enchanteresse, et c’est ainsi qu’est née l’industrie de la teinture pourpre de Tyr, connue dans le monde entier. Un tableau de Pierre Paul Rubens dépeint ce moment qui a changé le monde.

La Découverte de la pourpre, entre 1636-1638, par Theodoor van Thulden d’après Pierre Paul Rubens. Huile sur toile. Musée du Prado, Madrid, Espagne. (Domaine public)

C’est ainsi que les Phéniciens racontaient leur découverte de la teinture pourpre tyrienne, qu’ils ont été les premiers à fabriquer. Elle a transformé les vêtements, les voiles, les peintures, les enduits, les bijoux et les tissus funéraires en un violet envoûtant, changeant, palpitant et presque irisé.

Cette couleur rare et brillante a tellement captivé les peuples anciens du pourtour méditerranéen que la convoitise et la volonté de possession, qu’elle a cristallisées dans le cœur des rois, des reines, des empereurs et des nobles, ont parfois été comparées à une sorte de folie. Prenons l’exemple de l’infortuné roi de Maurétanie, assassiné à Rome en l’an 40 sur ordre de l’empereur. La raison de cet assassinat ? Il avait osé porter la couleur réservée à l’usage exclusif de l’empereur, le vêtement des Césars : la pourpre tyrienne. Il était interdit à quiconque de porter cette couleur et l’infraction était passible de la peine de mort.

Le peuple de la pourpre

Le processus de fabrication de la pourpre tyrienne reste à ce jour entouré de mystère et de secret, et c’est la récolte, la fabrication et le commerce de cette teinture rare et très prisée qui a fait la richesse du peuple phénicien. La connaissance bien gardée de la fabrication de la teinture et l’excellence des Phéniciens en tant que marins et commerçants, ainsi que leur réseau de colonies, leur ont conféré une sorte de monopole sur la pourpre tyrienne (nommée d’après la ville phénicienne de Tyr) et leur ont valu le surnom de « peuple pourpre ».

Le Bolinus brandaris, ou murex épineux, est utilisé pour produire la pourpre tyrienne. (M. Violante/CC BY 2.5)

L’une des colonies phéniciennes était Carthage, c’est auprès de leurs rivaux carthaginois que les Romains ont appris l’existence de ce pigment et l’ont adopté. Par la suite, les peuples de tout le bassin méditerranéen ont chéri cette couleur captivante, remarquable par le fait que, contrairement à la plupart des autres couleurs textiles, son éclat ne s’estompe pas, mais au contraire, comme un bon vin, s’enrichit avec le temps et l’âge.

Cléopâtre aimait tellement ce pigment qu’elle en a fait teindre les voiles de son bateau. Le roi perse Cyrus s’habillait de pourpre et l’Empire byzantin a hérité de la couleur royale de ses ancêtres romains, allant jusqu’à signer des édits à l’encre pourpre. Aujourd’hui encore, la famille royale britannique porte du pourpre pour certaines occasions, et c’est la couleur de la couronne de l’État impérial.

La couronne impériale est portée par les monarques britanniques lors de l’ouverture du Parlement. (Toby Melville/AFP via Getty Images)

Des escargots et du processus nauséabond

Nous ne connaissons pas tous les secrets de la fabrication de la pourpre tyrienne, mais nous savons certaines choses : il s’agissait d’un processus visqueux et malodorant. La fabrication de ce pigment était si âcre que, dans les endroits où il était préparé, la ville entière empestait. La teinture était fabriquée à partir des sécrétions des escargots de mer prédateurs Murex et Purpura que l’on trouvait dans les eaux scintillantes de la Méditerranée. En d’autres termes, la teinture était fabriquée à partir du mucus des escargots. Pour l’obtenir, le teinturier ramassait ou piégeait des escargots de mer le long des côtes, puis ouvrait leurs glandes muqueuses pour laisser suinter les sécrétions à collecter. Les escargots plus petits étaient écrasés en entiers. Le naturaliste romain, Pline l’Ancien, donne la description la plus probable des étapes suivantes, bien que les récits antiques diffèrent :

« Il suffit de les laisser tremper pendant trois jours, pas plus, car plus elles sont fraîches, plus la liqueur a de vertu. On la met ensuite à bouillir dans des vases d’étain, et chaque centaine d’amphores doit être portée à cinq cents livres de teinture, par l’application d’une chaleur modérée ; à cet effet, le vase est placé à l’extrémité d’un long entonnoir qui communique avec le fourneau ; pendant cette ébullition, la liqueur est écumée de temps en temps, et avec elle la chair, qui adhère nécessairement aux veines. Vers le dixième jour, en général, tout le contenu du chaudron est à l’état liquide, l’on y plonge alors, à titre d’essai, une toison débarrassée de sa graisse, mais la liqueur est toujours maintenue en ébullition, jusqu’à ce que la couleur soit jugée satisfaisante par ceux qui la préparent. La teinte qui tend vers le rouge est considérée comme inférieure à celle qui est noirâtre. »

Outre sa teinte audacieuse et scintillante, la pourpre tyrienne a été associée à la royauté en raison du coût et de la difficulté de sa récolte et de sa fabrication. Il fallait 10.000 à 12.000 mollusques pour produire un seul gramme de teinture ; des monticules de milliards de coquillages ont été découverts dans les lieux où la teinture était autrefois fabriquée. En l’an 301 de notre ère, une livre de teinture pourpre coûtait 150.000 deniers, soit trois livres d’or, ce qui équivaut à près de 113.000 euros d’aujourd’hui. La pourpre tyrienne valait littéralement plus que son poids en or. Il n’est pas difficile de comprendre comment le port de cette couleur a pu être associé à la richesse et au prestige.

Malgré sa valeur inestimable, les anciennes méthodes de fabrication de la teinture ont été perdues en 1453 lors de la chute de Constantinople, qui était devenue une plaque tournante de la fabrication. Ces méthodes n’ont été redécouvertes que récemment, en 2001, grâce à l’expérimentation.

Ce qu’une époque valorise peut facilement et rapidement être perdu à la suivante.

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