Tout parent peut se remémorer le subtil mélange d’excitation et d’angoisse qui accompagne le choix du prénom de son enfant. Ce prénom le suivra toute sa vie, et dans une étude qui vient de paraître dans le Journal of Personality and Social Psychology, nous montrons que le stéréotype qu’une société donnée (par ex., les Français) se fait d’un prénom (par ex., Véronique) influence… l’apparence du visage des Véroniques vivant en France. Eh oui, nous ressemblons à notre prénom. Nous en prenons l’apparence dans les traits de notre visage.
Un effet Dorian Gray
Dans huit études, nous montrons que des participants confrontés à des portraits (de type photo d’identité) de personnes qu’ils n’ont jamais rencontrées sont capables de reconnaître le prénom de cette personne, et ce bien au-delà du facteur chance.
Imaginez, par exemple, voir la photo d’une Claire. Sous la photo, quatre choix de prénoms sont présentés : Claire, Charlotte, Amélie et Julie. Ne connaissant pas Claire, et les autres prénoms étant donnés dans la même mesure que Claire en France, les participants devraient choisir Claire (ainsi que chacun des autres prénoms) environ 25 % du temps (c’est-à-dire au hasard). Cependant, nous trouvons que les participants choisissent le vrai prénom de la personne entre 35 % et 40 % du temps en moyenne. En d’autres termes, il y a quelque chose dans le visage de Claire qui… ressemble à « une Claire ».
Évidemment, si Claire ressemble à une Claire, même un ordinateur est capable de la reconnaître. Après avoir montré à un ordinateur quelques dizaines de Claires et quelques dizaines de non-Claire (par ex., Amélie, Charlotte, Amandine), nous lui avons soumis l’analyse de près de 100 000 photos de Français. Pour l’ensemble de ces visages, l’ordinateur a été capable de reconnaître le prénom au-delà du facteur chance. En fait, l’ordinateur est même capable de produire une « carte de chaleur », du visage de Claire indiquant en couleurs chaudes la/les zones du visage « trahissant » une Claire. Des exemples de cartes de chaleur tirées de notre étude figurent ci-dessous.
Comment comprendre cet effet ? Jusqu’à présent, en psychologie sociale, nous savions que l’apparence de notre visage influence la mesure dans laquelle les autres nous perçoivent comme intelligents, fiables, chaleureux ou attirants. Cette étude montre que l’inverse se réalise également : la perception de notre prénom par les autres finit par se traduire dans notre visage.
Comment cela est-il possible ? Nous suggérons que lorsqu’un enfant reçoit un prénom, ce dernier vient chargé de tout un ensemble d’attentes sociales, d’inférences et d’interactions. Il est possible que cet enfant soit traité en partant du postulat qu’il a déjà certains traits de caractère (par ex., une Héloïse est une bonne élève ; une Chloé est facétieuse).
L’attitude sociale envers un prénom, et sa pression continue sur le porteur de ce prénom peuvent influencer la perception que le porteur a de lui-même, et finir par peser sur le développement de ses traits faciaux. Par exemple, Chloé peut finir par adopter une coiffure, des expressions ou des traits faciaux (par ex., rides de sourire) cohérents avec le stéréotype que la société autour d’elle se fait d’une Chloé.
La prophétie autoréalisatrice est déjà bien connue lorsqu’il s’agit de la personnalité des gens (par ex., un stéréotype des Chinois étant qu’ils sont bons en mathématiques, une femme chinoise à laquelle on rappelle qu’elle est chinoise se perçoit comme meilleure en mathématiques comparée à une femme chinoise à laquelle on rappelle qu’elle est une femme). Plus généralement, la recherche sur la structuration sociale montre que les gens tendent vers les stéréotypes sociaux de leur groupe de référence.
La nouveauté de notre recherche est de montrer que notre tendance à nous assimiler aux stéréotypes sociaux finit par se traduire dans notre visage, du moins avec l’étiquette sociale que constitue notre prénom. Le processus peut être soit direct (par ex., Chloé porte les cheveux lâchés ; Angélique porte une tresse) ou bien passer par l’effet du prénom sur la personnalité (par ex., un prénom peut être associé à quelqu’un d’ouvert d’esprit, ce qui peut se traduire par la suite par un visage plus avenant).
Nous mettons donc en évidence une sorte d’effet Dorian Gray, du nom du protagoniste du roman d’Oscar Wilde, dont le portrait de son visage évolue au cours de sa vie et de ses viles actions. Le fait que notre prénom, choisi par d’autres que nous, influence profondément notre apparence à l’âge adulte, suggère un effet de structuration sociale puissant, qui nous marque dans notre évolution depuis la naissance.
Un marqueur de structuration sociale pertinent
L’effet visage-nom – le fait que nous reconnaissons le prénom d’un(e) inconnu(e) au-delà du facteur chance – connaît des limites qui illustrent d’autant plus sa nature sociale de prophétie auto-réalisatrice. Tout d’abord, nous trouvons que les individus d’une culture donnée reconnaissent le prénom d’autres individus de leur culture, mais sont incapable de reconnaître le prénom d’individus d’une autre culture.
Dans l’une de nos études, nous avons simultanément présenté des photos de Français et d’Israéliens à un échantillon de Français en France, et d’Israéliens en Israël. L’effet visage-nom s’est manifesté chez les Français confrontés à des visages français, et des Israéliens confrontés à des visages israéliens. L’effet visage-nom ne s’est pas produit lorsque les Français ont tenté de reconnaître le prénom des visages israéliens ; et vice-versa, l’effet visage-nom ne s’est pas produit lorsque les Israéliens ont tenté de reconnaître le prénom des visages français ; en d’autres termes, le taux de reconnaissance du vrai prénom ne différait pas du facteur chance lorsque la personne en photo et celle qui tâchait de la reconnaître n’était pas de la même culture.
Dans une autre étude, nous montrons que, si les gens en photo n’utilisent pas leur prénom socialement, mais un sobriquet à la place (par exemple, Charlotte n’est pas appelée « Charlotte », mais « Chachou »), l’effet visage-nom disparaît. À nouveau, cela est cohérent avec le fait que le porteur du prénom répond à une pression sociale lorsqu’il morphe son visage afin de tendre vers le stéréotype de son prénom. Avec l’usage d’un sobriquet, pour lequel il n’existe pas de stéréotype, cette pression sociale disparaît.
Enfin, une étude montre que l’effet visage-nom se produit même si nous ne pouvons voir que la coiffure de quelqu’un en photo (le visage est masqué, et seuls les cheveux apparaissent). Les cheveux sont la partie de notre visage que nous contrôlons avec le plus de facilité. Le fait que leur présentation suffise à nous faire pressentir le vrai prénom de la personne au-delà du facteur chance illustre bien une prophétie autoréalisatrice sous-jacente.
L’ensemble de nos travaux montre que nous portons donc notre appartenance sociale sur notre visage, et que nous transformons activement nos traits afin de nous faire reconnaître par notre groupe de référence. Le choix du prénom de son enfant demeure excitant et angoissant. Quel que soit le prénom choisi, celui-ci imprimera sa marque sur les traits de l’enfant.
Référence : Zwebner, Yonat, Sellier, Anne-Laure, Goldenberg, Jacob, Rosenfeld, Nir, & Mayo, Ruth (Feb 27, 2017), « We Look Like Our Names : The Manifestation of Name Stereotypes in Facial Appearance », Journal of Personality and Social Psychology.
Anne-Laure Sellier, Professeur Associé en marketing et membre du groupe de recherche CNRS-GREGHEC, HEC School of Management, Paris
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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