TRADITIONS CHINOISES

Être chinois et mandchou en Chine aujourd’hui

août 1, 2015 11:00, Last Updated: octobre 26, 2015 18:06
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La dynastie Qing (1644-1912) est la dernière dynastie impériale de Chine. Fondée par des envahisseurs de l’ethnie mandchoue, cette dynastie a été l’une des plus longues de l’histoire. Reconnus pour leurs jeunes souverains à la fois matures et éveillés, les Qing ont porté l’économie et la culture vers un âge d’or. Ils ont également étendu le territoire de la Chine aux régions reculées de l’Asie centrale et de l’Himalaya, ce qui a triplé la surface de l’empire.

Les Mandchous sont l’un des nombreux groupes ethniques de la Chine contemporaine. Ils sont les descendants des tribus nomades qui peuplaient de vastes plaines et collines forestières, au-delà de la Grande muraille de Chine. L’ancien territoire de la Mandchourie, dans le nord-est de la Chine, a été divisé en plusieurs provinces dont l’activité est principalement industrielle. L’histoire singulière de ce territoire a donné lieu à une expansion impériale, mais aussi à des échanges culturels, ce qui a contraint à une évolution des identités.

L’histoire de la Mandchourie et du peuple mandchou s’intègre dans les 5 000 ans de civilisation chinoise. Elle nous révèle aussi une face cachée plus profonde dans l’évolution actuelle de la Chine. Elle est à l’image de l’identité chinoise, constamment façonnée par l’interaction du yin et yang, qui conçoit le monde comme une dualité : le conflit et l’harmonie, la division et l’unité, une particularité régionale et des principes universels.

Des identités régionales

Les Chinois s’identifient depuis des siècles au « peuple Han », du nom de la glorieuse dynastie Han (206 av. J.-C. – 220). Pourtant comme le révèle l’histoire du peuple mandchou, la limite entre les Han et les étrangers est vague et indéfinissable, du fait des nombreuses conquêtes par des envahisseurs.

Les Mandchous sont les descendants des Jurchen, un peuple de nomades organisé en clans, vivant à la périphérie de la civilisation chinoise. Au 17e siècle, lorsque les Mandchous ont entamé leur conquête de la Chine, l’évolution de leur peuple pouvait se prédire à la manière dont ils abordaient la société qu’ils se destinaient à gouverner. Il en a résulté une mixité entre les Mandchous et les Chinois, où chacun a eu une influence sur l’autre.

Peinture coréenne du 18e siècle, représentant deux soldats Jurchen et leurs chevaux. (CC BY, Kim Yun-gyeom 1711 ~ 1775)

L’ensemble de la population mandchoue était organisée en unités militaires appelées les Huit bannières. Alors que se déroulait la conquête de la Chine, cette institution a marqué l’identité singulière mandchoue mais par la même occasion, cela a créé un obstacle à l’intégration des Mandchous dans le concept plus large de la Chine.

C’est ce paradoxe qu’a introduit Pamela Kyle Crossley dans son ouvrage Les Mandchous. L’unification des Bannières a permis de fonder une culture unifiée, partagée non seulement par les Mandchous, mais aussi dans un contexte plus large, par les Han et les Mongols qui les ont accompagnés dans leur conquête. À la fin de la dynastie Qing, écrit Pamela Kyle Crossley, des Han étaient devenus totalement mandchous, alors que l’identité mandchoue avait elle-même évolué.

Les empereurs Qing les plus victorieux que sont Kangxi et Qianlong ont tenté de démontrer, à travers leur politique, qu’il était tout à fait possible pour les Mandchous de se considérer chinois, sans pour autant nier leur héritage ou perdre leur statut de classe dirigeante.

Kangxi, qui a régné entre 1661 et 1722, encourageait ses fonctionnaires et les nobles mandchous à étudier la langue chinoise, à connaître l’histoire de la Chine et ses coutumes. L’héritage laissé par Kangxi à la Chine est, entre autres, un dictionnaire complet des caractères chinois et la construction d’un temple dédié à Yue Fei, général de la dynastie Song. Ce dernier est considéré comme un héros national qui, au 12e siècle, s’est battu bec et ongles contre les Jurchen, ancêtres des Mandchous.

Selon Robert B. Oxnam, auteur de Ruling From Horseback, les Mandchous voulaient « régner à dos de cheval » mais Kangxi « a trouvé plus aisé de descendre du cheval de la conquête pour s’asseoir sur le trône chinois ».

Des échanges universels

Des centaines de millions de Chinois d’ethnie han étaient dirigés par un empire qui s’est progressivement élargi aux Mongols, aux Turcs et aux Tibétains. La gestion de cet immense territoire et de cette diversité ethnique est à l’image du concept d’universalité transmis en héritage par Kangxi à son petit-fils, l’empereur Qianlong. Ce dernier a régné de 1735 à 1799, pendant une période de stabilité. Il s’est érigé lui-même en monarque universel dont la bonne gouvernance et l’ouverture culturelle a permis d’unifier les nombreuses ethnies dispersées dans l’étendue des terres Qing.

En même temps, l’empereur Qianlong s’inquiétait que les Mandchous puissent perdre leurs origines. Contrairement à Kangxi, Qianlong n’a pas encouragé les Mandchous à connaître la littérature chinoise et ses méthodes bureaucratiques. Il a plutôt insisté pour que les Mandchous étudient la langue de leurs ancêtres et maintiennent leur niveau d’excellence au tir à l’arc et à l’équitation, qui étaient les principaux attributs culturels de leurs ancêtres Jurchen.

Jaohûi (兆惠), un soldat des Bannières de l’armée Qing, sous le règne de Qianlong. Peint à la fin des années 1700. (CC BY 3.0)

Défendant sa politique dans ses écrits, Qianlong faisait remarquer que les rois légendaires vénérés par les Han avaient leurs propres coutumes, des coutumes qui, avec du recul, pouvaient paraître arriérées voire barbares pour les générations suivantes. Selon Pamela Kyle Crossley, Qianlong était dans la lignée de son prédécesseur Kangxi qui était un dirigeant ouvert et éclairé. Il attendait cependant des Mandchous de conserver leurs coutumes ancestrales.

Par exemple, Qianlong avait rendu obligatoire l’enseignement de la langue et de la culture mandchoue pour les nobles. Cependant, les mesures prises par Qianlong pour revivifier la mémoire Jurchen ont semblé archaïques et même intrusives aux yeux des Mandchous, dont la mentalité avait bien évolué par rapport à celle de leurs ancêtres conquérants, un siècle auparavant.

Qui sont les Chinois ?

À la mort de Qianlong, en 1799, les tentatives pour préserver les coutumes mandchoues d’avant la dynastie Qing ont été vaines. Allant à l’encontre des mesures impériales, les Mandchous continuaient à s’assimiler aux Han au point où la langue mandchoue n’a plus été utilisée que pour des événements prestigieux. Dans la vie quotidienne et pour les affaires, c’était le mandarin qui était employé.

Même s’ils se sont adaptés à l’immense culture chinoise, les Mandchous n’en ont pas moins oublié un des traits qui a fondé leur identité, à savoir le concept d’universalité. En cela, ils ne sont pas si différents des nombreuses élites qui ont accédé au pouvoir et fondé les précédentes dynasties « chinoises ».

Alors que la Mandchourie a été historiquement inaccessible aux immigrants Han, la cour Qing a dû réviser sa politique à la fin des années 1800, face aux intrusions étrangères qui affaiblissaient son pouvoir. Pendant les décennies qui ont suivi, des dizaines de millions de Han ont franchi la Grande muraille, pour s’établir dans ce qu’on appelle aujourd’hui les Trois provinces du nord-est (Dongshansheng), qui constituent le territoire de l’ancienne Mandchourie.

La dynastie Qing a réussi à établir et cimenter un long règne de l’empire chinois, malgré les barrières culturelles et ethniques. Les soldats des Bannières qui ont fondé ce dernier empire, devaient se battre pour protéger les frontières tout en gouvernant les Han. Ils étaient donc à la fois concentrés dans la capitale impériale de Pékin et dispersés dans tous les coins de l’empire – parfois très loin de leur Mandchourie natale, comme l’indique l’historienne Shao Dan dans son livre Remote Homeland, Recovered Borderland.

Des femmes mandchoues achètent des ornements pour leurs cheveux, à Peking, dans la province Pechilie (Chine). Photographie datant environ de 1871 ou 1872. (Wellcome Images/CC BY 4.0)

Les recherches de cette historienne se concentrent sur les défis rencontrés actuellement par l’ethnie mandchoue dans la Chine contemporaine. En observant les communautés existant en Chine et à Taïwan, elle a remarqué que les Mandchous ont su préserver et transmettre leur culture et leur histoire héritées de l’empire Qing.

Ces dernières décennies, après des générations de tumulte politique, de nombreux Chinois revendiquent leur identité mandchoue, élargissant ainsi le nombre de Mandchous à plus de 10 millions.

Même si les Mandchous ont été englobés dans la civilisation chinoise plus vaste que la leur, ils ont pu apporter leur contribution à cette civilisation. Une tenue vestimentaire contemporaine bien connue des chinois, le qipao ou cheongsam en est un exemple. C’est à travers la langue que l’empreinte mandchoue est la plus évidente. Le mandarin est la langue officielle en Chine, qui peut se vanter d’être parlée par plus de 800 millions d’habitants en Chine. Pourtant, elle emprunte une grande partie de sa prononciation et de son vocabulaire aux langues qualifiées aujourd’hui de « barbares », dont la langue mandchoue.

Aujourd’hui, la Mandchourie est constituée de plus de 100 millions d’habitants. Plus de 90% d’entre eux ont des origines qui remontent au berceau de la civilisation chinoise, qui se trouvait dans la vallée du fleuve Jaune. Cependant, comme le montre l’exemple des Mandchous, la « Chine » n’appartient pas à une région ou à un peuple. À l’image d’une riche tapisserie faite d’une multitude de fils entrecroisés, la Chine se définit comme une civilisation dynamique, qui s’est construite sur un faisceau d’histoires, de cultures et de langues parallèles.

Version originale : Manchuria, the Manchus, and What It Means to Be Chinese

 

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