ÉTATS-UNIS

Evo Morales, clap quatrième en 2019 ?

décembre 17, 2017 15:48, Last Updated: décembre 17, 2017 15:48
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Le 28 novembre dernier, le Tribunal constitutionnel plurinational (TCP) de Bolivie a autorisé Evo Morales et Alvaro Garcia Linera – respectivement président et vice-président de « l’État plurinational de Bolivie » – à se représenter pour un quatrième mandat consécutif en 2019. Cette décision du juge constitutionnel bolivien fait suite à une première décision, en date de 2013, qui autorisait déjà le couple de l’exécutif à se présenter une troisième fois à l’élection présidentielle de 2014, après leurs deux premières élections en 2005 et en 2009.

Les différentes décisions du TCP, en plus de soulever une question relative à l’indépendance du juge constitutionnel vis-à-vis du pouvoir exécutif, remettent en cause la limitation du mandat présidentiel qui constitue une caractéristique essentielle du constitutionnalisme bolivien. En effet, la « prépondérance » du pouvoir présidentiel dans la plupart des régimes latino-américains oblige à un encadrement des prérogatives de l’exécutif afin de pouvoir assurer un certain équilibre des pouvoirs.

Une limitation inscrite dans la Constitution

À la faveur de l’adoption de la Constitution politique de l’État (CPE) en 2009, l’interdiction d’une réélection présidentielle immédiate est abandonnée avec l’article 168 :

« La période du mandat de la Présidente ou du Président et de la Vice-Présidente ou du Vice-Président de l’État est de cinq ans, et ils peuvent être réélus une seule fois de manière continue. »

Cette limitation du cumul des mandats présidentiels dans le temps est le fruit d’un accord politique entre le MAS (Movimiento Al Socialismo, le parti d’Evo Morales) et l’opposition durant le processus constituant (2006-2009). Cet accord politique comporte une modification discrète, avec l’ajout d’une « Disposition transitoire première » dans le texte constitutionnel. Celle-ci dispose, dans son second alinéa, que les mandats antérieurs à la présente Constitution seront pris en compte dans le décompte des nouveaux mandats – ce qui implique alors le renoncement du Président et du Vice-président actuels à une réélection en 2014.

Référendum sur fond de romance secrète

Malgré ces dispositions de la Constitution bolivienne, le pouvoir exécutif va faire pression sur le TCP pour « réinterpréter » le texte constitutionnel. En effet, le MAS et les organisations indigènes alliées considèrent qu’Evo Morales reste leur meilleur candidat ; il n’existe pas d’autres cadres masistes aussi charismatiques et populaires que le Président bolivien. Ainsi, au lieu de préparer la « succession » de l’actuel Président, le MAS préfère soutenir Evo Morales dans l’optique d’un quatrième mandat présidentiel. Certaines organisations souhaitent ainsi que l’actuel Président puisse se maintenir au pouvoir « pour toujours ».

Dans la perspective de l’élection présidentielle du 12 octobre 2014, un avant-projet de « loi normative d’application » est élaboré à la Chambre des sénateurs, afin de déterminer « l’application normative » de certaines dispositions constitutionnelles, notamment l’article 168 ainsi que la Disposition transitoire première de la CPE de 2009. Ce projet de loi considère que le premier mandat de l’actuel Président n’est pas celui qui était à l’œuvre lors de la promulgation de la CPE – c’est-à-dire entre 2006 et 2009 – mais celui qui a débuté en 2009. Le TCP a ainsi jugé que cette loi normative n’était pas inconstitutionnelle ; Evo Morales put ainsi se représenter pour un troisième mandat en 2014.

Une fois réélu en 2014 avec une large majorité, le pouvoir exécutif s’est employé à faire définitivement sauter ce verrou constitutionnel, par la voie du référendum. La campagne du référendum du 21 février 2016 a été structurée par une très forte polarisation du champ politique bolivien, entre les masistes et l’opposition, de gauche comme de droite.

Evo Morales en campagne en 2016. (Huacapú/Flickr, CC BY-NC)

Surtout, la campagne a été marquée par « l’affaire Zapata » révélée par le journaliste Carlos Valverde. Gabriela Zapata, une ancienne dirigeante de la filiale bolivienne de l’entreprise chinoise CAMC Engineering, qui a passé des contrats avec l’État bolivien à hauteur de 560 millions de dollars, aurait entretenu une liaison avec le Président bolivien à la fin des années 2000. De cette relation serait né un enfant, décédé depuis. Le scandale, digne d’une véritable telenovela, sur fond de romance secrète et d’accusations de trafic d’influence et de détournements de fonds, a considérablement pesé sur la campagne en faveur du « oui ». Le 21 février 2016, avec un taux de participation de 84,5 % des électeurs, les Boliviens ont rejeté par 51,3 % des suffrages exprimés le référendum visant à une modification de l’article 168 de la Constitution bolivienne.

Le pouvoir, s’il a reconnu sa défaite, a toutefois nuancé le rejet du référendum par la campagne de calomnies et de mensonges dont il aurait été victime de la part d’une partie de la presse. Il a renommé, au passage, le référendum du 21 février le día de la mentira, la « journée du mensonge ».

Le recours à la Convention interaméricaine des droits de l’Homme

Diverses solutions ont donc été trouvées, depuis, afin qu’Evo Morales puisse in fine se représenter une quatrième fois en 2019. En ce sens, la décision du TCP du 28 novembre 2017 s’inscrit dans une véritable stratégie mise en œuvre par l’exécutif bolivien pour se maintenir au pouvoir.

La « sentence constitutionnelle plurinationale n°0084/2017 du TCP supprime plusieurs articles de la Constitution, notamment le numéro 168 qui limitait le nombre de mandats présidentiels. Pour ce faire, le TCP s’appuie sur la supposée incompatibilité de la Constitution avec la Convention interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH). En effet, la Constitution bolivienne dispose, dans son article 256, que les traités internationaux, s’ils contiennent des dispositions relatives aux droits de l’Homme plus favorables que la Constitution, prévalent sur cette dernière.

Or, le TCP estime que l’article 23 de la CIDH, qui dispose notamment que n’importe quel citoyen peut accéder et participer aux fonctions électives, prévaut sur les dispositions contenues dans la Constitution. Du fait d’une interprétation très extensive de cet article, le TCP en a conclu que la limitation du mandat présidentiel – et par extension de n’importe quel mandat électif – était contraire aux traités internationaux. L’OEA (Organisation des États américains) a, par ailleurs, estimé que la lecture faite par le TCP de l’article 23 était pour le moins ambiguë.

Une décision contestable

Cette décision, qui fait sauter la limitation du mandat présidentiel, est cependant contestable à plusieurs niveaux. Au niveau démocratique, elle rejette la décision du peuple bolivien, exprimée par le référendum du 21 février 2016, qui ne souhaitait pas modifier l’article 168 de la Constitution. Elle s’oppose aussi à la volonté du constituant bolivien, qui n’avait pas souhaité introduire la réélection illimitée – notamment de la part des organisations indigénistes réunies dans le Pacte d’Unité.

Au niveau juridique, la chose n’est pas plus aisée puisque le TCP, en tant que juge constitutionnel, s’octroie le droit de modifier la Constitution. Or, il n’est qu’un organe constitué, et pas un pouvoir constituant ; celui-ci appartient normalement au peuple. Seul ce dernier peut, par la voie du référendum, décider de modifier la Constitution, voire d’en changer.

Enfin, au niveau théorique, le juge constitutionnel interprète de manière controversée une disposition de la CIDH, et place celle-ci au-dessus de la Constitution bolivienne. C’est un chamboulement total de la hiérarchie des normes, où prévaut normalement la Constitution sur toutes les autres normes, y compris les traités internationaux.

Un processus de « déconstitutionnalisation » ?

Le débat sur la réélection présidentielle est aussi ancien que les États latino-américains, et en particulier en Bolivie la tradition caudilliste a survécu à la période républicaine et au retour de la démocratie en 1982. On trouve aisément des arguments en faveur de la réélection indéfinie, le principal étant que l’élection du Président appartient au peuple souverain, et que seul ce dernier est à même de juger si un Président en exercice peut être réélu.

Cependant, Evo Morales, dans sa volonté de rester au pouvoir, a écarté l’avis du peuple bolivien. Celui-ci s’était pourtant exprimé à plusieurs reprises : durant le processus constituant de 2006, puis – on l’a dit – lors du référendum du 21 février 2016. Le Président, en tordant le cou à la Constitution qu’il a pourtant fait voter quelques années plus tôt, est donc passé outre la décision du peuple.

Le risque est grand de voir sa légitimité et sa popularité – encore forte dans les campagnes – s’effriter, obligeant le pouvoir exécutif bolivien à conserver le pouvoir par des moyens de plus en plus « extra-constitutionnels », notamment en verrouillant davantage un pouvoir judiciaire déjà peu hermétique aux pressions du MAS. Quant à l’opposition politique, si elle tend à se renforcer face à l’effritement de la base électorale du MAS, elle reste très divisée et encore marquée par ses différents passages – relativement négatifs – au pouvoir.

Ce qui distingue le constitutionnalisme latino-américain, et en particulier le constitutionnalisme bolivien, c’est la fragilité et la vulnérabilité des pouvoirs législatifs et judiciaires face au pouvoir exécutif et surtout face à la fonction présidentielle. Le constitutionnaliste José Antonio Rivera Santivánez explique que la principale menace de ce nouveau constitutionnalisme est de générer un phénomène de « déconstitutionnalisation » caractérisé par un manque de loyauté envers la Constitution de la part des gouvernants. Ainsi, l’État ne respecte pas la volonté du constituant en ne mettant pas en œuvre les dispositions législatives et réglementaires pour rendre effectifs les droits inscrits, et en prenant des décisions en contradiction avec la Constitution.

Si la Constitution bolivienne est de ce fait inopérante, on peut craindre que le rapport de force sorte du champ des institutions pour déboucher dans des moyens de contestation plus violents et moins démocratiques.

Victor Audubert, Doctorant en droit public, Université Paris 13 – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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