Ex-élue locale, ancien ministre : Huawei soupçonné d’atteinte à la probité en France

Par Germain de Lupiac
31 octobre 2024 04:25 Mis à jour: 12 novembre 2024 16:17

En février 2024, les bureaux du géant chinois des télécoms Huawei ont été perquisitionnés à Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine, dans une procédure portant sur des soupçons d’atteintes à la probité. Les atteintes à la probité regroupent les infractions telles que la corruption, le trafic d’influence ou la prise illégale d’intérêts. L’enquête préliminaire a été menée par les magistrats du Parquet national financier (PNF).

Dans un article de Challenges, on apprenait le 28 octobre que Jean-Louis Borloo, ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, est à l’origine d’une enquête judiciaire visant Huawei pour trafic d’influence, abus de biens sociaux et recel. Dans un autre article, c’est une ex-élue locale qui est dans le viseur de la justice, soupçonnée d’avoir perçu de l’argent du groupe chinois, pour permettre l’ouverture d’une usine Huawei en Alsace, d’ici à 2026.

Des affaires d’atteinte à la probité alors que Huawei est interdit dans plusieurs pays européens et accusé de participer à la répression des Ouïghours et du Falun Gong, en étant une arme technologique utilisée par le Parti communiste chinois (PCC).

Jean-Louis Borloo dans le viseur de la justice

L’ancien ministre Jean-Louis Borloo est visé dans une enquête judiciaire pour trafic d’influence, abus de biens sociaux et recel impliquant Huawei. En cause un don effectué par le géant chinois, en 2018, à la fondation « Énergies pour l’Afrique », créée par l’ancien maire de Valenciennes.

L’affaire s’ébruite en 2021 quand l’Agence française anticorruption (AFA) repère une convention signée en avril 2016, entre Huawei et la fondation de Jean-Louis Borloo, quelques mois avant l’entrée de ce dernier au conseil d’administration de la filiale française du groupe chinois. Huawei fait alors un don de 50.000 euros à sa fondation, avant sa dissolution. Or, aucune déclaration de non conflit d’intérêt, conformément à la loi Sapin 2, n’a été déposée.

Pressenti en 2019 pour prendre la direction de la filiale française, Jean-Louis Borloo avait finalement renoncé à occuper ce poste, avant de quitter Huawei l’année suivante, et d’être remplacé par l’ancien cadre du Parti socialiste, Jean-Marie Le Guen.

Une ex-élue locale soupçonnée par le Parquet national financier

L’ancienne vice-présidente (Modem) de la région Grand Est, Lilla Merabet, est également soupçonnée par le Parquet national financier d’avoir perçu de l’argent du groupe chinois, via sa société de conseil.

Selon Challenges, l’affaire a commencé par un signalement de Tracfin – le service de renseignement français dépendant de Bercy, chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la fraude fiscale, sociale et douanière – au printemps 2023.

La cellule de renseignement avait détecté des flux financiers de Huawei vers la société de conseil Oxymore Resolution, créée par Lilla Merabet alors qu’elle était en poste à la région. Quand Huawei cherchait un site d’implantation en France, puis en Alsace, Lilla Merabet était alors chargée à la région de la compétitivité, de l’innovation et du numérique. Elle avait été une des plus ferventes militantes du projet au sein du Conseil régional.

En janvier 2021, en présence du président LR de la région Jean Rottner, qui avait tout fait pour attirer Huawei sur son territoire, et du président de Huawei France, Jacques Biot, le groupe lançait officiellement l’implantation de l’usine à Brumath, près de Strasbourg.

La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait pourtant tenté à plusieurs reprises de mettre en garde l’intéressée sur ses liens avec Huawei. Fin 2022, un représentant du service de renseignement s’était même rendu au Conseil régional afin de sensibiliser les élus locaux sur les risques liés à ses investissements chinois en Europe.

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L’implantation de Huawei en Alsace soulève des questions de sécurité nationale

Le géant des télécoms chinois, qui prévoit  l’ouverture d’une usine Huawei à Brumath en Alsace, d’ici à 2026 – sa première hors de Chine, y débutera sa production d’équipements pour réseaux mobiles, notamment 5G, déclarait en décembre 2023 le directeur général adjoint de sa branche française. La filiale du groupe chinoise espère s’implanter grâce à cela en Europe. Pourtant de nombreux pays dans le monde entier ont banni de leurs infrastructures l’équipementier chinois, lié au régime chinois, en raison des risques touchant à la sécurité nationale.

La loi dite « anti-Huawei » de 2019 visait à prémunir les réseaux français de « risques d’espionnage, de piratage et de sabotage » permis par la 5G chinoise, obligeant les opérateurs français, Bouygues Télécom et SFR à démonter toutes les antennes de Huawei d’ici à 2028. Mais la France a ensuite autorisé en catimini la prolongation de la 5G de Huawei jusqu’en 2031. L’entreprise revendique à présent une part de 20 % du marché français des infrastructures télécoms.

Alors que son implantation se finalise à Brumath, l’Allemagne envisage d’interdire les pièces fabriquées par Huawei et par ZTE, autre constructeur chinois, dans ses réseaux 5G à partir de 2026. La Commission européenne a appelé également les 27 pays membres et les opérateurs télécoms à exclure de leurs réseaux mobiles ces deux fournisseurs qu’elle juge à risque pour la sécurité de l’Union européenne. La Suède, le Danemark, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, ou encore le Royaume-Uni ont déjà tous banni Huawei de leur réseau 5G. C’est également le cas de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle‑Zélande, et des États‑Unis.

Dans ce contexte, le 12 février 2021, la région Grand Est allouait une aide de 800.000 euros à l’équipementier chinois pour la construction de l’usine à Brumath. Cette subvention a fait polémique alors que l’industriel chinois est accusé d’avoir élaboré un système de reconnaissance faciale facilitant la persécution des Ouïghours et d’être impliqué dans l’espionnage industriel.

« Huawei n’est pas une entreprise indépendante » car derrière, « il y a le régime du Parti communiste chinois », déclarait Brigitte Guiraud, présidente de l’Association Initiative Citoyenne, lors d’un rassemblement le 18 mars 2021 à Brumath, pour dénoncer la répression par Pékin de la minorité musulmane des « Ouïghours, des Tibétains, des Mongols » ou celle du Falun Gong.

Huawei et le modèle de « techno-autoritarisme » chinois

Une étude publiée par l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) dépendant du ministère des Armées, dévoile le réseau tentaculaire d’influences du Parti communiste chinois (PCC) à travers le monde.

Selon le rapport, les entreprises de nouvelles technologies chinoises comme Tik Tok ou Huawei offrent un aperçu du « techno-autoritarisme », ou de l’ « autoritarisme numérique » chinois. Les smartphones et leurs applications servent à la surveillance et l’espionnage, et les fabricants chinois de smartphones, en particulier Huawei et Xiaomi, sont régulièrement mis en cause.

À propos de Huawei, RSF écrivait notamment que « la firme, qui est un partenaire clé de la censure de l’internet chinois et de la répression dans la province du Xinjiang, a aussi été accusée d’intégrer dans certains de ses produits une ‘porte dérobée’, lui permettant d’accéder secrètement aux données des utilisateurs, et de fournir ses technologies de surveillance au régime iranien ».

L’entreprise de technologie, qui fournit « des systèmes de surveillance de villes entières », a « un partenariat avec les forces de police », y compris au Xinjiang. Huawei a « signé un ‘accord de coopération stratégique’ avec le ministère de la Sécurité publique du Xinjiang » selon le chercheur allemand Adrian Zenz, docteur en anthropologie sociale et l’un des premiers à avoir dévoilé l’ampleur de la répression des Ouïghours.

Ce dernier affirme que « cette région est un laboratoire pour l’État policier du XXIe siècle auquel Huawei collabore étroitement » et estime probable « que la technologie de Huawei ait été directement mise au service de l’identification des personnes ouïghoures et contribua ensuite à leur internement ». Il conclut que « Huawei est une arme stratégique de l’État chinois pour réprimer les Ouïghours, et probablement un cheval de Troie majeur menaçant la sécurité des télécommunications ailleurs dans le monde ».

Selon l’Irsem, Huawei pose de véritables problèmes de sécurité pour les pays qui installent tout ou partie de leurs infrastructures 5G. Un rapport produit par Capgemini estime que Huawei est en capacité d’écouter les conversations « des numéros mobiles […] de manière illimitée, incontrôlée et non autorisée », y compris un accès à la base de données de tous les numéros de téléphone des utilisateurs d’une technologie de Huawei. Le magazine Forbes a confirmé de son côté que Huawei travaille avec Bo Yu Guangzhou Information Technology Co, une société considérée comme l’un des groupes de hackers travaillant pour le régime chinois.

Les liens étroits de Huawei avec l’armée et les services de renseignements chinois

Les employés du géant chinois des télécommunications Huawei auraient préalablement travaillé pour des agences de renseignement ou des agences militaires chinoises, selon une analyse de milliers de CV d’employés divulgués en ligne, ce qui soulève d’importantes questions sur les liens de l’entreprise avec le régime chinois.

Une étude de Christopher Balding, professeur associé à l’Université Fulbright au Vietnam, menée avec le groupe de réflexion Henry Jackson Society, basé au Royaume-Uni, a analysé une base de données de CV rendus publics lors de fuites en ligne, et a constaté qu’environ 100 employés de Huawei avaient des liens avec des organismes militaires ou de renseignement chinois.

« Il y a des preuves directes importantes que le personnel de Huawei agit sous la direction des services de renseignements chinois qui ont de multiples liens à travers toutes les structures de l’État chinois », conclut l’étude.

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