L’ampleur des informations disponibles et leur vitesse de circulation sont aujourd’hui inédites. Un nombre croissant d’individus y ont accès : c’est un progrès incontestable. Cependant, le risque est grand d’une équivalence des contenus accessibles et, pire, d’une instrumentalisation, à des fins politiques, de ce qu’on appelle fake news, « faits alternatifs », « vérité ressentie » ou encore « post-vérité ».
Fondés sur l’affect, l’émotion, une idéologie ou des préjugés, ces contenus informatifs peuvent être totalement ou partiellement faux ou mensongers, prendre la forme de « hoax » (canulars) ou d’« intox », et être relayés en connaissance de cause ou involontairement. Ils visent à détourner l’attention, à créer de la confusion ou à décrédibiliser un ou une adversaire politique.
Le procédé n’est pas nouveau. La rumeur, comme la désinformation, largement analysées par les sciences humaines et sociales, sont à l’œuvre depuis des siècles. Ainsi que le rappelait l’historien Robert Darnton, « la désinformation est une vieille histoire » depuis l’Antiquité. Mais l’actuelle démocratie d’opinion, qui rend plus que jamais possible l’expression de chacune et de chacun dans la sphère publique, n’est pas sans poser question.
Les réseaux sociaux-numériques donnent en effet à toutes et à tous le sentiment d’être autorisés et légitimes à produire et diffuser ce qu’ils ou elles estiment être de l’information, sans tiers médiateur. C’est alors que la promesse démocratique est rompue car avec la « malinformation », l’accès à la connaissance est perverti.
Les scientifiques ciblés
De nombreux scientifiques expliquent aujourd’hui, à propos des « fake news » et de la « post-vérité », qu’il faut « prendre au sérieux ce que l’adoption d’une nouvelle dénomination nous dit de l’état d’une société ». Dès 2016, l’Oxford Dictionary, autorité linguistique s’il en est, a désigné la « post-vérité » comme mot de l’année et l’a intégré dans ses pages en le définissant ainsi : « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ».
En Allemagne, la Gesellschaft für deutsche Sprache (« Société de langue allemande ») lui a emboîté le pas, parlant de « vérité ressentie ». En France, le dictionnaire Robert intègrera aussi l’expression dans son édition de 2017. Fake news, faits alternatifs et « post-vérité » constituent donc un véritable sujet d’intérêt.
Les populations les plus perméables à ces contenus sont celles qui n’ont plus confiance dans les élites. Cette réaction, qui n’a fait que progresser ces dernières décennies, se nourrit d’une impression de mépris venant des gouvernants, des médias et des intellectuels, contre les intérêts et préoccupations du « peuple » qu’il faudrait par ailleurs définir sociologiquement.
Les exemples actuels de populismes sont multiples qui, des deux côtés de l’Atlantique et ailleurs, ont instrumentalisé cette défiance que les champs politique, intellectuel et médiatique ont sous-estimée ou n’ont pas comprise. Les scientifiques ne sont pas épargnés car ils et elles sont considérés comme appartenant aux élites tant décriées, et sont parfois accusés de servir lobbies, intérêts particuliers ou pouvoir en place. Le climatoscepticisme, par exemple, procède de cette logique.
Les fake news, un objet de recherche à part entière
Aujourd’hui, journalistes, responsables de réseaux sociaux et décideurs et décideuses politiques s’interrogent. La communauté universitaire ne peut rester à l’écart de ces enjeux. Quel rôle les universités, les scientifiques peuvent-ils, doivent-ils en effet jouer, en tant qu’actrices et acteurs des mutations de l’espace public de débats et en tant que transmetteurs de savoirs ? Comment aider les étudiantes et les étudiants à faire le tri dans la pléthore d’informations quotidiennes, sans mettre en péril la liberté d’expression ? Comment gérer la question du temps long et du temps court dans le travail de recherche et sa diffusion ? Plus globalement, comment lutter contre la défiance dans la science, notamment au sein de la jeunesse ?
Alors que les universitaires voient parfois leurs productions renvoyées à une simple « opinion » parmi d’autres, et alors que le fact-checking montre ses limites, la communauté universitaire doit réaffirmer sa responsabilité dans la réhabilitation du savoir, de la science, de la raison, et promouvoir l’argumentation, l’esprit critique, l’analyse des contenus informationnels.
Le combat contre les fake news s’inscrit dans plusieurs des missions des universités : la formation, ainsi que la production, diffusion et valorisation de la recherche et de la culture scientifique et technique. Mais les universités doivent aussi jouer un rôle citoyen dans la cité, en luttant contre l’extrémisme et l’obscurantisme.
C’est pourquoi la Conférence des Présidents d’Université a souhaité, en partenariat avec The Conversation France, s’emparer de ce sujet à l’occasion d’un colloque universitaire qui se tiendra le 15 février à l’université Sorbonne Nouvelle. Il permettra d’aborder, avec des scientifiques de diverses disciplines, les nouveaux objets, méthodes et diffusions du savoir pour combattre les fake news, ainsi que l’engagement intellectuel qui pose, face à ces dernières, de manière renouvelée, la question de l’expertise en démocratie.
Gilles Roussel, Président de la Conférence des présidents d’université, Conférence des Présidents d’Université (CPU)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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